Défense dans le monde - Brésil : orientation de la politique de défense - Grande-Bretagne : alternance des partis et constance de la politique britannique - Norvège : le budget de défense 1973 - Espagne : implications possibles de l'accord commercial hispano-soviétique dans le domaine des relations extérieures et de la défense ; le budget de défense pour 1972
Brésil : orientation de la politique de défense
L’arrivée à Rio, le 29 septembre 1972, du premier des seize Dassault Mirage achetés à la France, s’inscrit dans le cadre de la modernisation des Forces armées au Brésil. En effet ce pays qui vise à prendre place parmi les grandes puissances d’ici la fin du siècle a voulu donner un support militaire à cette ambition. C’est ainsi que le régime actuel a entrepris la transformation d’une armée de maintien de l’ordre en une armée moderne, non seulement apte à garantir des frontières nationales, terrestres et maritimes, mais également capable à plus long terme, d’intervenir à l’extérieur.
La défense du Brésil contre une menace venue de l’extérieur du continent repose essentiellement sur les États-Unis à travers le système de défense interaméricain défini par le Traité de Rio et l’Organisation des États américains (OEA). C’est pour cette raison que l’aide militaire nord-américaine a uniquement contribué jusqu’ici à faire des Forces armées brésiliennes (250 000 hommes), des forces de maintien de l’ordre en mesure de contrecarrer la subversion. Mais le nouveau régime militaire veut désormais que les Forces armées puissent faire respecter les limites terrestres et maritimes du Brésil qui sont devenues plus sensibles avec d’une part le projet d’occupation effective de l’Amazonie et d’autre part l’extension des eaux territoriales à 200 milles. Un effort considérable a ainsi été fait pour l’accroissement et la modernisation des moyens aériens et navals. Les impératifs de la surveillance et de la défense du ciel brésilien ont entraîné l’acquisition de Mirage, le projet d’une couverture radar, l’amélioration de l’infrastructure aérienne et la création d’une industrie aéronautique nationale (Embraer). La surveillance des eaux territoriales et du réseau fluvial a exigé d’entreprendre le renouvellement d’une flotte vétusté et insuffisante par un programme naval : achat de navires modernes, d’avions de patrouille et de sous-marins, création d’une infrastructure industrielle, formation du personnel des arsenaux. Quant à l’armée de terre, elle a quand même bénéficié d’une relative rénovation, notamment par l’achat de blindés. Enfin les Brésiliens, qui ne sont tenus par aucun traité restrictif dans le domaine de l’armement atomique, ont lancé un programme d’équipement nucléaire dont ils envisagent éventuellement des applications militaires. Ce renforcement des moyens brésiliens est prévu pour l’instant dans un cadre défensif et intérieur, mais est cependant susceptible, à plus long terme, de mettre le pays en mesure d’agir hors de ses frontières et notamment à l’intérieur du sous-continent et en direction de l’Atlantique Sud.
Dans le sous-continent, le Brésil n’a aucun litige frontalier avec ses voisins, encore qu’il existe une rivalité certaine avec le Venezuela et l’Argentine dont il surveille attentivement l’accroissement du potentiel militaire. Hors du sous-continent, le Brésil est particulièrement préoccupé par l’Atlantique Sud dont il est le premier riverain. Cette zone voit passer l’essentiel du commerce brésilien avec les États-Unis, l’Europe et l’Afrique, et récemment son importance stratégique s’est encore accrue avec d’une part la fermeture du canal de Suez et d’autre part la pénétration navale soviétique dans toutes les mers du monde. Pour l’instant, le Brésil surveille l’Atlantique Sud en coopération avec les autres marines de l’Amérique du Sud et des États-Unis par des exercices navals multinationaux et par un travail commun au sein du CAMAS (1).
L’accroissement du potentiel militaire n’est pas un phénomène uniquement brésilien puisque la plupart des pays de l’Amérique du Sud participent à la course aux armements. Mais dans le cas du Brésil il prend une signification particulière car il s’applique au pays d’Amérique Latine qui dispose déjà du potentiel humain et économique le plus puissant et qui, par ses résultats globaux et ses aspirations dépasse déjà nettement le cadre régional.
Grande-Bretagne : alternance des partis et constance de la politique britannique
Si l’on s’en tient à la violence avec laquelle sont exprimées les divergences de vues des deux grands partis britanniques, que ce soit au Parlement, dans les déclarations à la presse ou dans les manifestes électoraux, l’alternance régulière de chaque parti au pouvoir devrait entraîner périodiquement des bouleversements politiques radicaux. En réalité, l’observation montre un accord tacite sur les options majeures et les problèmes importants notamment sur ceux de la défense. Dans certains cas, l’accord peut aller jusqu’à une collaboration de fait, sinon institutionnalisée, entre le parti au pouvoir et l’opposition.
Dans les domaines économique et social, l’alternance des Travaillistes et des Conservateurs (2) n’a jamais provoqué de remise en cause radicale et les mesures proposées ou adoptées sont souvent en opposition avec les déclarations électorales antérieures (projet de loi sur les relations industrielles des Travaillistes en 1969, nationalisation de Rolls Royce en 1971 par les Conservateurs, blocage des prix et des salaires par M. Wilson en 1967 et M. Heath en 1972). Le même pragmatisme se retrouve dans les mesures financières (dévaluation travailliste de la Livre en 1967, flottement conservateur en 1972, accord des deux partis sur le problème des investissements américains en Grande-Bretagne). La transformation du Commonwealth africain et asiatique entreprise par les Travaillistes a été poursuivie par les Conservateurs. Les politiques irlandaise et rhodésienne sont « bipartites » et l’on voit même dans le problème de l’Ulster, les initiatives de M. Wilson préparer les décisions de M. Heath. Quant aux divergences entre Travaillistes et Conservateurs sur la question de l’adhésion au Marché commun, elles portent plus sur les modalités que sur le principe même de l’adhésion dans la mesure où la Grande-Bretagne espère y trouver son intérêt.
Dans les affaires de défense on peut relever le même consensus sur les options essentielles.
Le problème de la sécurité européenne est considéré comme primordial par les deux partis et la menace, définie sans ambiguïté comme venant de l’URSS et du Pacte de Varsovie, est exposée dans des termes presque identiques. Travaillistes et Conservateurs conçoivent la défense de l’Europe dans le cadre de l’Alliance Atlantique et de l’Otan, et sous la garantie des forces nucléaires stratégiques américaines à laquelle participe la force des Polaris britanniques.
L’accord est moins parfait sur la défense de l’outre-mer. En 1970, les Conservateurs ont fait du problème du désengagement à l’Est de Suez prévu par les Travaillistes, un des arguments-clé de leur campagne électorale. Mais force est de constater qu’à l’exception de Singapour, où ils ont pu maintenir une force symbolique (un bataillon renforcé), les nécessités financières et les problèmes d’effectifs les ont contraints à suivre de très près la politique de leurs prédécesseurs, notamment dans le golfe Persique. Comme le prévoyaient les Travaillistes, c’est en jouant de la mobilité stratégique des Forces armées et en s’appuyant sur un réseau de bases encore dense, qu’ils maintiennent une présence et une capacité d’intervention outre-mer non négligeables.
Sur les problèmes d’organisation et d’équipement, les points d’accord sont également nombreux. Création conservatrice, le ministère de la Défense coiffant les anciens ministres des trois armées, a vu son rôle s’accroître, notamment sous l’impulsion de M. Healey, ministre travailliste de la Défense de 1966 à 1970. Décidé par ces derniers en 1968, le principe des forces armées de métier, effectif depuis 1963, n’a à aucun moment été remis en cause.
Bien qu’ils aient fait du démantèlement de la force de dissuasion britannique un des arguments de leur campagne électorale de 1964, les Travaillistes ont poursuivi le programme conservateur issu des Accords de Nassau (1962), et s’ils ont suspendu la décision de construction du 5e sous-marin, les Conservateurs en sont au même point, trois ans ou presque après leur retour au pouvoir.
En ce qui concerne les matériels conventionnels, on observe la même continuité, qu’il s’agisse de programmes britanniques, tels que le Through Deck Cruiser et le Hawker Siddeley Harrier dont les premières études furent entreprises sous le gouvernement travailliste, ou de programmes en coopération (MRCA [NDLR 2022 : Multiple Role Combat Aircraft, futur Panavia Tornado], Sepecat Jaguar, hélicoptères), dont les Conservateurs ont hérité de leurs prédécesseurs.
De si nombreux points d’accord ou de convergence dans des domaines aussi variés portent en eux-mêmes leur leçon.
S’adapter aux réalités n’est certes pas un privilège britannique, mais en considérant l’action de leur gouvernement, pragmatique, jouant avec son opposition une véritable « concertation » dans les domaines importants et sans doute encore fortement marqués du traditionnel « égoïsme national », il convient d’attacher moins d’importance aux déclarations, même officielles, et aux exposés de politique générale de l’un ou de l’autre, qu’aux faits qui les corroborent ou les infirment.
Norvège : le budget de défense 1973
Le projet de budget de la défense de la Norvège pour 1973 est en cours d’examen devant le Storling depuis le 12 novembre 1972.
Il s’élève à 3 484,9 millions de couronnes (1 couronne = 0,77 F), soit une augmentation de 7,5 % par rapport à l’exercice 1972. Mais l’accroissement reste en grande partie nominal, l’augmentation du coût de la vie (6,25 %) réduisant en effet la progression réelle à 1,35 %. D’autre part, on note une nouvelle diminution de l’enveloppe destinée à la Défense dans le budget général (11,3 % contre 11,7 % en 1972), tandis que le pourcentage par rapport au PNB est sensiblement égal à celui de l’année dernière (3,17 %).
Alors que les crédits réservés aux investissements (21,7 %) ne subissent pas de modification, les dépenses de fonctionnement augmentent très légèrement par rapport à l’exercice en cours (74,4 % contre 74,3 %).
La répartition des crédits, variable suivant les armées, est la suivante :
– armée de terre : 221,7 M de couronnes (236 M en 1972) ;
– marine : 207,6 M (236 M en 1972) ;
– armée de l’air : 180,8 M (88 M en 1972).
Compte tenu de cette ventilation, les Forces norvégiennes seront en mesure de poursuivre leur programme de modernisation dans les domaines ci-après :
– achat de matériel antiaérien et antichar pour l’armée de terre ;
– acquisition du système d’armes mer-mer Penguin et amélioration de la défense côtière pour la marine ;
– achat d’une vingtaine de chasseurs CF-104 canadiens en remplacement d’une partie des Northrop F-5 Freedom Fighter actuellement en service et renforcement de la défense aérienne de l’infrastructure, notamment des bases de l’armée de l’air.
Au total, l’effort financier de la Norvège pour 1973 en faveur de la défense reste modeste. La tendance reste constante à sacrifier l’investissement au profit du fonctionnement. L’enveloppe globale des crédits militaires, bien qu’elle se situe en dessous du plan quinquennal 1968-1973, permet néanmoins de procéder à la modernisation d’une partie des forces en vue de les maintenir, au sein de l’Alliance, à un degré de crédibilité suffisant.
Espagne
Implications possibles de l’accord commercial hispano-soviétique dans le domaine des relations extérieures et de la défense
L’Espagne et l’Union soviétique ont conclu le 15 septembre 1972 un accord commercial dont les implications possibles au plan de la politique extérieure et de la défense espagnole présentent un intérêt certain.
Cet accord vise d’abord à normaliser et à développer les échanges commerciaux existant déjà, à un niveau modeste, entre les deux pays. La valeur de ces échanges devrait atteindre cent millions de dollars annuellement pour chaque partie. Ils porteraient sur l’importation par l’Espagne de matières premières (pétrole, bois, minerais) et sur l’exportation vers l’URSS de produits fabriqués et agricoles. L’installation à Madrid d’une mission soviétique de 12 membres et la mise en place à Moscou d’une délégation espagnole similaire sont prévues. Ces organismes, qui bénéficieraient d’un statut quasi-diplomatique, pourraient constituer les noyaux de futures représentations consulaires.
Il est raisonnable de penser en effet que le récent accord va amorcer une reprise graduelle des relations diplomatiques, interrompues depuis trois ans, entre l’Espagne et l’Union soviétique. Malgré la vigilance espagnole à l’égard des entreprises soviétiques, on voit l’avantage que pourrait retirer l’URSS d’une telle évolution. Mais celle-ci, d’autre part, n’est pas sans intérêt pour l’Espagne qui pourrait profiter notamment de ce rapprochement avec l’Est pour affermir sa position vis-à-vis des Occidentaux. La marge de manœuvre de Madrid devrait s’en trouver élargie pour ses négociations avec la Communauté européenne comme par les futurs engagements à prévoir en matière de défense.
Le gouvernement américain se préoccupe d’autant plus d’une telle évolution qu’il voit approcher le moment de renouveler les accords hispano-américains sur les bases – et notamment sur l’utilisation de Rota pour 9 sous-marins nucléaires. Aussi s’efforce-t-il d’améliorer encore ses relations avec l’Espagne. Significative à cet égard est la désignation de l’amiral Rivero comme ambassadeur à Madrid : de souche hispanique, l’ancien commandant en chef sud-Europe (CINCSOUTH) connaît de plus parfaitement les problèmes politiques et stratégiques de la zone méditerranéenne.
Le budget de défense pour 1973
Le projet de budget espagnol pour 1973 a été récemment approuvé en Conseil des ministres et envoyé aux Cortès pour discussion. Sur une enveloppe globale de 474 milliards de pesetas (100 pesetas = 8 F), la part de la défense s’élève à 63 Md, soit environ 13 % du budget général, pourcentage très voisin de celui des années précédentes. Il semble donc que l’accroissement considérable de l’effort espagnol de défense annoncé l’année dernière ne doive entrer que progressivement dans les faits. C’est d’ailleurs ce que montrait déjà l’examen du budget actuel pour 1972, publié en juin 1972, et qui dénotait néanmoins les tendances nouvelles de la politique de défense espagnole, tant sur le plan du personnel que sur celui du matériel (3).
Les traits les plus marquants du budget espagnol pour 1972 sont les suivants : pour la première fois il fait l’objet d’une présentation annuelle, alors que jusqu’à présent cette présentation avait lieu tous les deux ans : il est en augmentation de 21 % sur le budget de 1971, alors que celui de l’État n’augmente que de 13,4 % ; le chapitre « soldes » bénéficie d’un accroissement de 18 %, ce qui représente un progrès d’autant plus notable qu’il n’y a pas eu création de postes budgétaires nouveaux : les crédits d’investissements, enfin, sont en accroissement sensible par rapport à l’année précédente, surtout dans la part attribuée à la marine. En marge du budget des armées, il faut noter une augmentation de 35 % des crédits alloués à la Guardia Civil (Gendarmerie) et le maintien au niveau de l’année précédente des retraites militaires (4).
Ce budget laisse d’autre part apparaître une anomalie due au fait que les crédits d’investissements sont loin d’atteindre le montant que le vote, en 1971, de crédits extraordinaires d’équipement laissait prévoir. Ces derniers devaient s’élever, pour la période 1972-1980 à 240 Md de pesetas, la tranche pour 1972 devant être de 19,6 Md. Or, le total des investissements inclus dans le budget publié n’est que de 11,5 Md et il se peut que la différence ainsi relevée ait été affectée au remboursement partiel des emprunts contractés pour la modernisation des forces armées (achat de McDonnell Douglas F-4 Phantom II, de Mirage, d’AMaX-30 et réalisation de la première tranche du programme naval). Il n’est pas exclu qu’une telle situation se prolonge encore un certain temps, comme du reste l’enveloppe du budget prévu pour 1973 le laisse prévoir.
Le budget militaire espagnol reste modeste puisqu’il ne représente encore que 2,26 % du PNB. En tenant compte des crédits importants affectés à la Garde civile et aux retraites, ce pourcentage est porté à 3,6 %, ce qui parait peu en regard des retards à rattraper dans tous les domaines et qu’une aide américaine – même substantielle – ne suffit pas à compenser. ♦
(1) CAMAS : Coordination de la zone maritime de l’Atlantique Sud. Organisme créé en 1969 et qui regroupe tous les renseignements sur le trafic des bateaux marchands.
(2) 1945 : gouvernement travailliste ; 1965 : gouvernement conservateur.
1964 : gouvernement travailliste : 1970 : gouvernement conservateur.
(3) Pour 1972, l’effort global de défense (avec la Garde civile et les retraites) est de 93 Md de pesetas, ce qui représente 7,4 Md de francs, soit à peu près 20 % du budget militaire français.
(4) Les retraites militaires représentent 66 % du budget public des retraites. En termes d’effort global de défense, elles représentent le quart des crédits de défense. Par rapport au budget annuel des Forces armées et de la Guardia Civil, elles représentent 33 %.