Le suicide des démocraties
Faut-il parler de suicide ou plutôt se demander si la démocratie n’a jamais existé ? Non seulement elle n’a pas atteint ses objectifs, ni incarné les valeurs qu’elle avait inscrites à ses frontons, mais elle s’en éloigne même de plus en plus. L’égalité n’est restée qu’un rêve constamment trahi. Aux États-Unis même, dont la prospérité a valeur de référence subsistent de larges zones de pauvreté et d’inquiétude. Le citoyen voit ses droits fondamentaux bafoués. La consultation électorale ne le met pas en mesure de formuler clairement ses choix et ne lui permet pas d’imposer aux élus un mandat impératif en faveur d’un programme constructif. Elle est essentiellement un acte négatif par lequel les citoyens choisissent ce qui leur apparaît comme le moindre mal et font barrage à ce qu’ils ne veulent pas. Ainsi se crée un divorce entre population et institutions qui apparaît dans l’indifférence et le mécontentement des groupes sociaux.
L’inégalité, l’oppression, la violence, le citoyen les ressent chaque jour dans le gigantisme de la concentration urbaine avec tout son cortège de laideurs, de pollutions et d’affairisme.
Notre civilisation est en crise. D’où vient le mal ? Du mythe auquel la démocratie a sacrifié ses valeurs : celui de la croissance à tout prix. Nous sommes ainsi entraînés dans ce cercle absurde où il s’agit de consommer davantage afin de produire plus, de préférer l’objet à tout ce qui permettrait à l’homme d’être plus homme : plus de justice, une meilleure santé, une culture plus large, un épanouissement de son être. L’analyse de Claude Julien rejoint ainsi celle de la majorité des participants aux Rencontres internationales organisées à Paris en juin 1972 par le ministre de l’Économie et des Finances et qui se sont également interrogés sur les finalités de notre société moderne. Comme certains d’entre eux, Bertrand de Jouvenel notamment, il affirme que c’est avant tout en développant ses valeurs morales essentielles que la démocratie se sauvera. Si les démocraties occidentales ne réalisent pas ce que les hommes attendent d’elles, elles continueront de dépérir et laisseront ainsi le champ libre aux aventures totalitaires. Puissions-nous tous entendre cet avertissement avant que ne soit scellé pour longtemps peut-être le sort de la démocratie dans notre pays. ♦