République impériale. Les États-Unis dans le monde, 1945-1972
Le titre du dernier ouvrage de Raymond Aron ne doit pas créer d’équivoque : « impériale » n’est pas synonyme d’« impérialiste ». « L’historien ou le politique baptisera impériale une politique qui intervient dans le monde entier sans viser à l’édification d’un empire au sens juridique ou effectif du terme ; il baptisera impérialiste une diplomatie qu’il veut condamner, dont il veut dévoiler les intentions d’exploitation ou de domination ».
Raymond Aron n’a voulu entrer dans aucune querelle d’école, mais comprendre et expliquer la diplomatie effective des États-Unis à partir d’un fait d’évidence : « Pour la première fois dans l’histoire, une république s’est élevée au premier rang sans avoir aspiré à la gloire de régner. Pour prix de sa victoire, elle doit prendre en charge la moitié du monde, garantir la sécurité des Européens trop affaiblis pour se défendre seuls, s’intéresser à des régions entières de la planète prêtes à sombrer dans le chaos ». C’était en 1945. Aujourd’hui, les États-Unis se sont affrontés à des problèmes à bien des égards complètement différents, liés pour l’essentiel à l’affirmation d’une multipolarité politique dans un monde qui, militairement (du moins pour les engins du « second âge nucléaire »), reste bipolaire, à la promotion des alliés japonais et européens comme rivaux commerciaux, à la recherche d’accords avec l’Union soviétique, qui s’impose plus que jamais comme le partenaire-adversaire, à la naissance d’un nouvel âge du Pacifique.
Le quart de siècle qui se termine n’a pas été celui de la guerre froide, celle-ci ayant fait place à la coexistence pacifique à partir de la crise de Cuba de 1962. Il a été celui de l’après-guerre. C’est ainsi une période de l’histoire du monde qu’étudie Raymond Aron, au cours de laquelle les États-Unis furent amenés à jouer un rôle de plus en plus considérable : à partir du moment où ils décidèrent de s’opposer à l’extension du communisme en Europe (à la demande des Européens eux-mêmes) ils acceptèrent l’éventualité d’une application extra-européenne de cette même politique. D’où leur engagement planétaire, dont les deux moments décisifs furent le plan Marshall pour l’Europe, la guerre de Corée pour le monde. « L’extension à l’Asie de la doctrine de l’endiguement, résultat d’un événement, peut-être d’un accident, présentait exactement la même rationalité que la substitution des États-Unis à la Grande-Bretagne dans le rôle de garant de l’équilibre européen ou de protecteur des États marginaux (Grèce, Turquie) ». Le fil directeur de la diplomatie américaine a été la nécessité de l’endiguement. Dès lors, certains événements furent amplifiés par la signification symbolique qui leur était attribuée, et la réaction américaine répondit parfois plus à la signification qu’à l’importance réelle. De là naquirent des maladresses et des malentendus dont certains s’aggravèrent au fur et à mesure que s’élargissait le hiatus entre ce que voulait rester et ce qu’était effectivement le dollar. Celui-ci est apparu comme l’un des instruments d’une diplomatie dont certaines orientations et certaines formes étaient contestées.
Le hasard a voulu que ce livre paraisse au moment où les combats cessaient au Vietnam : on ne peut manquer d’en être frappé. Mais l’essentiel est que ce nouveau livre de Raymond Aron apporte des éléments de connaissance, de compréhension, de discussion, qui en rendent la lecture indispensable à qui veut apprécier sainement la diplomatie des États-Unis de 1945 à 1972. ♦