Défense en France - L'exposition des matériels d'armement terrestres - Les manœuvres nationales 1973
L’exposition des matériels d’armement terrestres
Organisée tous les deux ans à Satory, près de Versailles, depuis 1967, l’exposition des matériels s’est tenue cette année du 4 au 8 juin 1973. Elle est l’équivalent, pour les armements terrestres, du salon aéronautique du Bourget et de l’exposition de matériels pour les forces navales qui se déroule également tous les deux ans, partie au Bourget et partie à Toulon.
Le but premier de cette manifestation est de favoriser l’exportation des matériels d’armement. Ceci explique que l’exposition n’est pas ouverte au public, mais accessible sur invitations adressées d’une part aux représentants de certains pays étrangers (ils sont 67 cette année, plus nombreux qu’en 1971) et d’autre part aux correspondants de presse français et étrangers accrédités pour leur permettre de faire connaître à leurs lecteurs ou auditeurs la qualité des réalisations techniques françaises. En effet, si les fabrications d’armement ne s’adressent qu’aux spécialistes, elles représentent néanmoins la synthèse de différents résultats acquis dans les domaines de la recherche, de la technique, de la technologie et de l’industrie qui débordent largement le cadre de l’utilisation purement militaire. Et il serait bon que le grand public en soit mieux informé. Aussi déplorons-nous qu’il n’y ait pas accès et que l’entrée en soit réservée à un nombre limité de militaires ou de civils liés à la défense nationale.
On recensait cette année plus de cent exposants, en grande majorité constructeurs civils en liaison, pour la plupart, avec la Direction technique des armements terrestres (DTAT) du ministère des Armées qui, au titre de maître d’œuvre ou de constructeur, constitue le principal exposant. C’est d’ailleurs pour mieux assurer ces deux fonctions que la DTAT a créé en 1971 le Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) dont le siège central anime et coordonne l’action de onze centres industriels (ateliers, manufactures ou établissements) notamment en matière de spécialisation ou de diversification des fabrications qui s’ouvrent sur certains marchés civils. Le GIAT, qui emploie 17 000 personnes, a réalisé en 1972 un chiffre d’affaires de 1 600 millions de francs.
On ne saurait attendre d’une exposition d’armements, même biennale, autant de nouveautés spectaculaires que peut en proposer un salon de l’automobile, même annuel. Néanmoins l’accent a été mis cette année sur diverses réalisations dans les différents domaines des armes, des véhicules, des équipements et surtout des services.
Armes
Au rayon des armes individuelles, les nouveautés les plus intéressantes, en plus de différentes grenades à fusil, sont incontestablement les deux fusils automatiques au calibre nouveau de 5,56 mm. Le MAS 36, actuellement en cours de développement, utilise un chargeur de 25 cartouches qu’il peut tirer au coup par coup ou par rafales courtes ou longues à la cadence de 900 coups minute. Légèrement plus long, d’un poids sensiblement équivalent (moins de 4 kg), le fusil HK-33 de Heckler & Koch, produit en série en coopération franco-allemande, peut utiliser au choix des chargeurs de 20 ou de 40 cartouches. Sa cadence de tir est plus faible (650 coups minute) que celle du MAS et, bien que doté d’un canon plus court (39 cm), sa longueur totale est supérieure (92 cm).
Le domaine de l’antichar est bien représenté, que ce soit par une nouvelle mine de 6 kg à haut pouvoir de destruction, par les lance-roquettes Strim 89 [NDLR 2023 : désormais appelé lance-roquettes antichar de 89 mm modèle F1 (LRAC F1)], qui tirent également des munitions anti-véhicules, fumigènes ou incendiaires, et APX-80, de portée moindre, enfin par les différents missiles d’Euromissile Milan, HOT (Haut subsonique optiquement téléguidé), tous deux franco-germaniques, et d’APX Acra (missile Anti-char rapide autopropulsé – ou autoguidé). Ce dernier système a été mené jusqu’à la fin de son développement mais l’industrialisation et la mise en commande en ont été suspendues.
Deux nouveautés en matière de canons : le 155 à Grande cadence de tir (GCT) monté sur châssis d’AMX-30 [NDLR 2023 : Automoteur modèle F1 (AMX AuF1)], masse imposante de 41 tonnes qui peut tirer 8 coups-minute en automatique, et le canon mitrailleur de 20 mm F1 qui tire plus de 700 coups-minute.
Les missiles anti-aériens sont représentés par le système Thomson-CSF Crotale R-440, monté sur deux véhicules, et par l’Euromissile Roland. Ce système, produit en coopération franco-allemande, est présenté dans sa version française (temps clair) sur un véhicule dérivé du châssis de l’AMX-30 et dans sa version allemande (Roland II version tous temps par adjonction d’un radar de poursuite) sur char SP-7.
Les missiles mer-mer Exocet et Otomat sont proposés en engins de défense côtière, le premier posé sur un simple camion plateforme, le second mis en œuvre à partir d’engins chenilles.
Le système d’arme SNIAS Pluton (véhicule de tir chenille, véhicules calculateurs sur roues) mettant en œuvre l’arme atomique tactique, n’est exposé que comme symbole d’une réalisation de très haute technicité. Il ne saurait en effet faire l’objet de commandes puisqu’il n’est pas question pour la France de vendre à l’étranger des armes nucléaires et que son utilisation avec un projectile à explosif classique est impensable en raison de son coût élevé.
Véhicules
À côté de ses divers modèles de servitude (camions, camionnettes) Berliet présente son VXB-170, blindé léger à quatre roues adopté par la Gendarmerie et qui existe en versions Véhicule tout-terrain (VTT), Poste de commandement (PC), cargo ou reconnaissance avec un canon de 20 mm sous tourelleau. De son côté Panhard expose sa gamme d’Automitrailleuse légère ou AML (canon de 90, mortier-canon de 60 ; bitube de 20, canon de 30 et modèle avec équipement amphibie) et les différentes versions du véhicule blindé à 4 roues M3 : VTT à 7 ou 9 places, PC, atelier, bitube de 20 AA, canon-mortier de 60. La nouveauté est le blindé M8 amphibie à 8 roues, armé d’un canon de 105 antichar, qui est le dernier développement de l’engin M2 présenté à Satory en 1971.
La famille AMX-13 dans ses différentes versions (lance-missile SSII, canon de 90, obusier de 150, 155 automouvant, VTT, véhicule PC, sanitaire, dépannage, véhicule de combat de génie) est déjà connue, à l’exception peut-être du modèle équipé du canon de 105 (tirant soit un obus explosif soit un obus antichar) qui n’est pas en service dans l’armée française. De même, les divers engins composant la famille AMX-30 (armé du canon de 105, bitube de 30 AA, dépanneur-niveleur) sont connus ; mais cette année on peut voir un modèle du char de bataille version « pays chauds » qui comporte un équipement de climatisation et un dispositif pare-sable. L’engin blindé léger amphibie AMX-10, présenté en prototype à l’exposition de 1971, est maintenant montré dans ses versions chenillées VTT, PC et traîne-mortier qui commencent à équiper notre armée. La nouveauté de cette année est le modèle AMX-10RC, à six roues, doté d’un canon de 105, apte au combat en ambiance nucléaire et au combat de nuit. Ce véhicule préfigure le véhicule de l’avant blindé (VAB) dont l’absence à l’exposition a été regrettée et dont les modèles à 4 et 6 roues de Saviem font actuellement l’objet d’une expérimentation comparative avec les Véhicule de l’avant blindé (VAB), M4 et M6 de Panhard.
À la frontière entre les véhicules de combat et de servitude, il faut signaler le VLRA (Véhicule léger de reconnaissance et d’appui) ALM en service dans les armées française et étrangères et qui, avec ses quatre roues et ses performances tous terrains, peut être aussi bien opérationnel que logistique.
Dans les domaines des armements et des véhicules de combat, une réalisation originale du GIAT consiste en la modernisation de matériels anciens d’origine américaine. C’est ainsi qu’on peut voir un obusier de 105 HM2 doté d’un nouveau tube de 30 calibres avec frein de bouche, l’automitrailleuse M20 et le char M24 Chaffee équipés d’un canon de 90 anti-chars sous tourelle et le char Patton M47 ou M48 valorisé par un canon de 105 en remplacement du 90 d’origine.
Équipements
C’est là le secteur le plus varié. Véritable concours Lépine, il rassemble la majorité des 700 matériels exposés à Satory cette année et qui va de la simple jumelle à l’ensemble de calculateurs le plus complexe, en passant par l’avion sans pilote. Pour plus de clarté il est bon de répartir les équipements entre ceux qui permettent la saisie de l’information, ceux qui la transmettent et ceux qui la recueillent et la centralisent pour constituer une aide à la décision.
Le matériel optique présente une grande variété de jumelles, lunettes, viseurs, collimateurs et optiques de tir gyrostabilisés ou non. Pour la reconnaissance aérienne à basse altitude, le missile Nord-Aviation R20 est un véritable avion sans pilote équipé de trois caméras (ou de détecteurs d’infrarouge ou de radioactivité) lancé d’une rampe installée sur un simple camion. Une version améliorée R21 est en préparation.
Bénéficiant des progrès de l’électronique, ces différents matériels ressortissent à la technique que l’on appelle désormais l’optronique. C’est ainsi que l’infra-rouge équipe différents épiscopes ou lunettes de conduite, lunettes de tir, écartomètres, projecteurs, détecteurs d’alerte et appareils photos. Les techniques de l’amplification de la lumière ont été appliquées également à des lunettes et optiques de tir mais surtout à la télévision de nuit pour chars ou hélicoptères dont les résultats sont spectaculaires. Enfin le laser fait son apparition soit sous forme d’illuminateur portable par le fantassin pour la désignation d’objectifs, soit comme télémètre ou lunette télémètre pour char.
Les radars sont représentés par le Rasura, déjà en service, par des prototypes du Rasit (Radar d’acquisition et de surveillance terrestre ou Radar d’acquisition et de surveillance des intervalles), de portée supérieure, par une nouvelle version allégée du radar individuel Olifant et par le Rapace, destiné aux blindés et actuellement expérimenté sur AMX-30.
L’équipement pour le secteur NBC (nucléaire, biologique, chimique) est très varié puisqu’il va du simple dosimètre stylo à la station de détection et de localisation d’explosions nucléaires, en passant par tous les matériels plus ou moins connus de simulation, de protection et de décontamination.
Les matériels des transmissions exposés sont encore plus variés puisqu’ils peuvent être filaires, radio-électriques ou hertziens et leurs performances n’intéressent que les spécialistes. Une synthèse de l’ensemble est présentée avec le Réseau intégré de transmissions automatiques (Rita) destiné aux liaisons du haut-commandement et pouvant s’adapter rapidement à la situation tactique.
Dans les aides à la décision on pourrait ranger les équipements de navigation terrestre ou aérienne, mais ce sont plus spécialement les systèmes synthétiques qui méritent cette appellation. Parmi les composants de ces ensembles de traitement de l’information, on peut noter les ordinateurs du plan militaire Iris 55M qui en est au stade de la présérie, l’Iris 35M, fabriqué en série et le nouveau prototype 15M. Les deux systèmes nouveaux qui sont présentés sont le Sycomore (Système de commandement opérationnel et de renseignement) et Atila (Automatisation du tir et des liaisons de l’artillerie). Construit autour d’un Iris 35M, le Sycomore comprend un dispositif de transmission des renseignements, un ensemble de stockage et de traitement de l’information et deux ensembles de dialogue permettant simultanément à un opérateur de traiter le renseignement par visualisation en vue de son exploitation opérationnelle sur le terrain à l’échelon ou il est placé tandis qu’un second peut établir une synthèse de situation et la transmettre aux autorités concernées. Plus spécialisé puisqu’il est destiné à équiper les régiments de 155 GCT, le système Atila utilise également l’Iris 35M. Il se compose d’un ensemble de calcul équipé pour la réception et la mémorisation des données (topographiques et balistiques, implantation des batteries et des objectifs) et pour l’élaboration des éléments de tir, d’un réseau de réception des demandes de tir transmises par les observateurs et d’un réseau de transmission aux pièces des éléments de tir et des corrections par téléaffichage.
Services
L’exposition de Satory met l’accent cette année sur les possibilités d’essais techniques de matériels civils ou militaires que divers établissements de la DTAT sont susceptibles de proposer aux constructeurs.
L’établissement de Bourges dispose d’installations très complètes permettant de soumettre un spécimen de dimensions modestes (3 mètres) à des épreuves de résistance les plus variées (vent de sable, brouillard salin, pluie, immersion, température, hygrométrie, vibrations, chocs, accélérations, chutes). Par ailleurs des locaux de plus grande dimension permettent d’effectuer sur des véhicules des essais climatiques en les soumettant à des températures variant de – 55° à + 70°, dans des conditions d’hygrométrie pouvant varier de 20 à 95 % et à un vent, réglable en température, pouvant atteindre 40 mètres seconde. Le même établissement possède également un centre de décontamination et de protection nucléaire susceptible de tester les matériels et de former le personnel spécialisé.
L’établissement d’Angers est spécialisé dans les mesures de bruit, ce qui peut intéresser, outre les fabricants de moteurs de véhicules, les constructeurs civils désireux de contrôler les niveaux sonores de moto-compresseurs et autres engins de chantiers. Enfin, les effets des explosions nucléaires peuvent être testés dans deux établissements au sein desquels, disons-le tout de suite, il n’est pas question de mettre en œuvre des matières nucléaires, comme la presse l’a rapporté il y a quelque temps, mais où il s’agit simplement de simulation. Utilisant, selon une technique originale, l’énergie fournie par deux fours solaires composés, le Centre d’Odeillo, près de Font-Romeu dans les Pyrénées, permet de simuler l’impulsion du rayonnement thermique d’explosions nucléaires de puissance variable permettant ainsi l’étude de la résistance des matériaux aux chocs thermiques et celle des phénomènes de propagation de la chaleur. De façon analogue le Centre d’études de Gramat, dans le Lot, dispose, dans un tunnel ferroviaire désaffecté à Sauclières, dans l’Aveyron, d’installations permettant de soumettre les matériels ou équipements les plus divers aux effets simulés d’une onde de choc et du souffle d’une explosion nucléaire.
L’exposition elle-même est complétée par des projections de films expliquant le fonctionnement technique de divers matériels et surtout par une présentation dynamique sur le terrain et au bassin. On a pu ainsi remarquer particulièrement : le RAP 14, lance-roquette de saturation qui tire, coup par coup ou par salves, 21 projectiles de 140 mm et qui en est au stade de la présérie ; un véhicule léger tous chemins, la Renault 6 Rodeo qui se présente en rivale de la Citroën Méhari avec en plus la possibilité de quatre roues motrices : une impressionnante grue lourde sur roue, G15, qui soulève et transporte un char AMX-13. Les évolutions des véhicules amphibies sont surtout spectaculaires par la pente des rampes qu’ils sont susceptibles d’attaquer en sortant de l’eau : 20 % pour l’AML, 40 % pour l’AMX-30, l’AMX-10 à roues et le Berliet VXB-170, et 60 % pour l’AMX-10P et le M3 VTT Panhard. Enfin, par sa puissance et sa maniabilité remarquable, la vedette de pontage FI, actuellement fabriquée en série et destinée aux sapeurs, a de quoi impressionner même les marins.
Par la variété et la qualité des matériels présentés, la biennale de Satory constitue bien un support privilégié de nos ventes de matériels, d’armement pour la plupart mais aussi d’application civile pour certains, étant parfaitement entendu que ces ventes ne sauraient être considérées comme une fin en elles-mêmes pour la satisfaction d’objectifs politiques. Ces ventes ne sont justifiées que par des considérations économiques visant à nous conserver une industrie d’armement nationale, indépendante de l’étranger, sans exclure pour autant la coopération technique considérée au contraire comme très souhaitable avec nos partenaires européens.
Les manœuvres nationales 1973 : Manat 1973
Organisées tous les deux ans au début de l’été, les manœuvres nationales se sont déroulées du 16 au 25 juin. Elles ont revêtu cette année une importance toute particulière en raison des changements intervenus depuis 1971 tant dans l’organisation que dans l’équipement de notre appareil militaire.
La refonte des structures a comporté en effet la redéfinition des attributions du Chef d’état-major des Armées (Céma), de celles des trois Chefs d’état-major et des inspecteurs généraux, ainsi que la création d’une Inspection des forces extérieures (1). Parallèlement ont été modifiées l’organisation des trois états-majors et celles de la DOT, de la protection des installations stratégiques et de la défense maritime du territoire (2). Pendant la même période, la puissance de nos forces s’est vue renforcée par la mise en service d’un deuxième sous-marin nucléaire, le doublement de la capacité des missiles du plateau d’Albion (3) et l’équipement des premières unités de l’Armée de l’air avec une arme nucléaire tactique. Tous ces éléments de nature à modifier un certain nombre de concepts d’emploi et de commandement des forces donnent aux Manat 73 un caractère de nouveauté puisqu’en dehors de leur but traditionnel qui demeure l’entraînement des forces, elles auront fourni au commandement l’occasion de tenir compte des réformes intervenues permettant ainsi d’en mesurer l’efficacité.
Pour ce faire, sans manquer de réalisme, le thème d’exercice choisi fait volontairement abstraction du contexte politique contemporain. Avec le souci de pouvoir étudier le plus grand nombre d’éventualités possibles dans le minimum de temps car on ne saurait prolonger la durée des manœuvres, ne serait-ce qu’en raison du rappel de réservistes, le thème retenu était délibérément pessimiste, envisageant une situation de crise internationale comportant, pour notre pays, une menace globale affectant tous les aspects de la défense.
C’est là l’occasion d’animer l’aspect interministériel des problèmes de défense. En présence d’une situation de crise, le but de la défense étant d’assurer la liberté d’action du gouvernement dans tous les domaines, tous les ministères concernés ont été amenés, en fonction des hypothèses d’exercice, à étudier leurs possibilités d’action. Celles des Affaires étrangères pourraient être déterminantes puisqu’il s’agit de dénouer une situation de crise, mais le thème d’exercice, entièrement fictif, ne s’y prêtait pas. Par contre, le ministre de l’Intérieur, chargé de la Défense civile, a eu l’occasion de mesurer l’efficacité de son corps de Protection civile. Également, tous les ministères concernés par la défense économique ont pu étudier les problèmes que leur poserait une situation de crise dans les domaines aussi variés que le contrôle de la circulation aérienne, la mobilisation industrielle et le maintien des approvisionnements, avec ses corollaires : le contrôle de la navigation maritime (4) et l’organisation des transports terrestres. C’est là aussi que le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) peut pleinement jouer son rôle de coordination entre les divers ministères et proposer au Premier ministre les mesures d’adaptation nécessaires.
Dans le domaine de la défense militaire, qui demeure l’aspect le plus concret de ces manœuvres nationales, l’objectif était triple. D’abord, sur un plan général, mettre à l’épreuve les possibilités de renforcement de nos forces, en cas de crise, en personnel, par rappel de réservistes, et en potentiel, en accélérant les remises en état de matériels indisponibles pour révision. C’est ce qu’on appelle la montée en puissance des forces. En deuxième lieu, il s’agissait de tester le fonctionnement des chaînes de commandement, c’est-à-dire vérifier si les structures nouvellement définies et les systèmes de transmission sont bien adaptés à différentes situations particulières. Enfin, les manœuvres avaient aussi pour but de vérifier les conditions dans lesquelles les forces peuvent mettre en vigueur les plans de protection dont on teste également l’efficacité à cette occasion.
Chronologiquement, les manœuvres comportaient un exercice d’états-majors et de transmissions (Exnat), des exercices réels mettant en œuvre des unités des trois armées et de la gendarmerie (Exrel), et un exercice de défense aérienne (Datex) impliquant seulement l’Armée de l’air, certains éléments de la Marine et des Forces terrestres antiaériennes (FTA). De plus, pendant toute la durée des manœuvres se déroulait l’exercice Fanex, concernant les forces nucléaires et se proposant lui aussi d’étudier la montée en puissance des moyens ainsi que l’efficacité des nouveaux systèmes de transmission modernisés récemment mis en place.
Exnat
Pendant trois jours, au cours de cet exercice, les hauts états-majors et les grands commandements ont étudié les différents problèmes que poserait une crise internationale affectant la France pour assurer la vie du pays au sens très général. Pour assurer l’animation de cette phase, la direction de l’exercice fournit aux états-majors des renseignements, échelonnés dans le temps, qui figurent les différents degrés d’évolution de la crise et nécessitent à chaque fois la décision de mesures fictives appropriées. C’est au cours de cette phase que se posent les problèmes de coopération des Armées avec certains ministères civils dans les domaines déjà évoqués.
Conformément au thème d’exercice retenu, à un certain degré de développement de la crise, le gouvernement a nommé le Céma, Chef d’état-major général des armées (CEMGA), faisant de lui le conseiller militaire du gouvernement et plaçant ainsi sous son autorité directe, d’une part les trois chefs d’état-major qui deviennent ses adjoints, et d’autre part les forces. Celles-ci articulées en grands commandements, comportent : les forces stratégiques (aériennes et océaniques), la 1re Armée et la force aérienne tactique, la défense aérienne, le transport aérien militaire, les forces navales (en Atlantique et en Méditerranée), la force interarmées d’intervention et les commandements outre-mer.
Les manœuvres nationales 1973 ont également fourni l’occasion d’inaugurer le nouveau Centre opérationnel des armées (COA) récemment construit dans les sous-sols du ministère, d’où le CEMGA assurait la direction d’ensemble, tandis que l’ancien COA de Taverny restait armé à titre de secours, permettant ainsi l’évaluation des moyens de transmissions opérationnels.
Exrel
La progression de la crise, le renforcement de la menace extérieure et l’apparition d’une menace intérieure fournissaient le thème des exercices réels qui mettaient en œuvre les trois armées et la gendarmerie. Pour faire entrer dans le jeu les forces interarmées d’intervention et compliquer encore les tâches de l’Armée de terre et de l’Armée de l’air, une compagnie parachutiste a été envoyée en renfort aux Antilles françaises.
Exrel Terre : Pour faire face à la menace intérieure, éléments étrangers parachutés ou débarqués sur nos côtes, l’Armée de terre et la Gendarmerie mettaient en œuvre 37 000 hommes soit 32 régiments et 20 escadrons de Gendarmerie mobile. Les manœuvres, volontairement limitées géographiquement, se sont déroulées sur les territoires des régions militaires de Rennes, Bordeaux et Marseille et les divisions de Tours, Amiens et Châlons-sur-Marne. Leur objet était la mise en place des plans de protection, notamment des points sensibles, et le recueil des renseignements, grâce à la gendarmerie et à la population, permettant de localiser et de neutraliser les éléments infiltrés. Dans la région de Rennes, en particulier, l’exercice a revêtu un aspect interarmées puisque la défense contre une pénétration aérienne venant du large était confiée à l’Aéronautique navale en liaison avec le dispositif à terre de guet aérien.
Exrel Mer : Chargée de la surveillance des approches aéromaritimes du territoire, la Marine bénéficiait, comme il est prévu en cas de crise, du renfort des moyens flottants de la Police et de la Douane. Elle a, à cette occasion, rappelé 3 700 réservistes. Elle a mis en œuvre plus de trente bâtiments en Méditerranée et, sur le littoral Manche-Atlantique, plus de quarante bâtiments et neuf flottilles de l’aéronautique navale. Un exercice particulier avait pour but d’étudier les conditions de sécurité de la sortie de Brest d’un sous-marin nucléaire partant renforcer, dans le contexte de la crise, notre potentiel de dissuasion. Divers éléments de l’Aéronautique navale devaient ultérieurement participer à la phase d’exercice de défense aérienne confiée à l’Armée de l’Air.
Exrel Air : l’Armée de l’Air a, elle aussi, rappelé 3 700 réservistes et mis en œuvre pratiquement la totalité de ses moyens avec 500 avions de combat, 200 de transports et près de 100 appareils légers. Elle devait faire face à des tentatives de pénétration isolées mettant ainsi en action, en plus des forces de défense aérienne, les dispositifs de guet à vue et les FTA. Parallèlement, elle se livrait à des exercices de redéploiement de formations en fonction de l’évolution de la situation.
Datex
Pour profiter de ce déploiement du dispositif de défense aérienne, Exrel Air enchaînait directement sur un exercice hors Manat, dirigé par l’Armée de l’air, visant par des attaques massives, à saturer la défense aérienne et à lui permettre d’étudier l’application des techniques de la guerre électronique. Pour cette phase, la menace aux frontières aériennes était concrétisée par des interventions de l’aviation de pays amis : Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Belgique, ainsi que par des appareils de l’Armée de l’air et de l’Aéronautique navale partis de notre territoire.
En recevant les représentants de la presse et de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) au centre opérationnel de Taverny, le 21 juin, le général François Maurin, Chef d’état-major des armées, a souligné que la mission essentielle des forces armées françaises en cas de crise est de permettre au gouvernement et au Chef de l’État de disposer de la capacité d’initiative la plus large possible. C’est en définitive ce que devait permettre de tester Manat 73 dans l’état actuel de nos forces.
Selon le thème d’exercice, la crise imaginée pour servir de support à Manat 73 devait finalement se résoudre sans « emploi » comme on dit en termes de stratégie (entendons par là sans engagement dans la bataille). Il n’en sera pas de même au mois de novembre où une manœuvre se déroulera dans l’Est de la France et comportera le déploiement réel des PC dans les conditions de guerre en vue de préparer l’engagement du corps de bataille. ♦
(1) Voir nos chroniques de janvier et décembre 1972.
(2) Voir nos chroniques d’avril et mai 1973.
(3) Voir chroniques d’août/septembre 1972.