Défense dans le monde - Otan : les réunions ministérielles de Bruxelles - États-Unis : le rapport de politique étrangère du président Nixon : les États-Unis et l'Europe - République fédérale d'Allemagne (RFA) : réactions gouvernementales aux positions américaines sur les relations atlantiques - Danemark : évolution actuelle de la politique étrangère
Otan : les réunions ministérielles de Bruxelles
Les quinze ministres des Affaires étrangères du Conseil de l’Alliance atlantique, réunis les 14 et 15 juin 1973 à Copenhague, se sont mis d’accord sur un communiqué final de compromis concernant la redéfinition des relations entre partenaires occidentaux. En effet, si l’article 3 consacré aux principes et objectifs de l’Alliance où les divergences entre les membres étaient les plus marquées, reconnaît l’opportunité d’un « examen » des relations interalliées à la lumière des changements intervenus, il n’y est pas question d’une « déclaration d’objectifs », sans que l’éventualité en soit exclue toutefois. Les autres articles, sur la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) (art. 5), les réductions de forces (art. 7) et la situation en Allemagne (art. 11) n’ont fait que réaffirmer des positions connues.
L’accord s’est fait d’autant plus facilement que les questions litigieuses ou concrètes ne figurent pas dans le communiqué. Les unes – Grèce, Islande – ont été officiellement passées sous silence ; les autres – touchant à la défense de l’Europe notamment – ont été discutées préalablement les 6 et 7 juin 1973 par les treize ministres du Comité des plans de défense ou DPC (Belgique, Canada, Danemark, France, Grèce, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Turquie) de l’Otan et les dix des pays de l’Eurogroup (République fédérale allemande, Belgique, Danemark, Grèce, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni). Plus que la session du Conseil de l’Alliance, ce sont ces deux dernières réunions tenues à Bruxelles, qui par leurs résultats et leurs conséquences sur la sécurité de l’Europe méritent de retenir l’attention.
La session du Comité des Plans de Défense de l’Otan a été consacrée en grande partie à l’étude des propositions américaines des deux derniers mois.
La conception de la défense de l’Alliance pour les années à venir a fait l’objet d’un examen approfondi, comme l’avaient demandé le conseiller à la sécurité nationale américain M. Henry Kissinger dans son discours du 23 avril 1973 et de façon plus explicite encore le président Richard Nixon dans son rapport de politique étrangère présenté le 3 mai 1973 au Congrès des États-Unis. « Compte tenu de la puissance croissante des forces du Pacte de Varsovie », soulignée par l’amiral allemand Günter Poser chargé du renseignement au Comité militaire, « les ministres ont passé en revue le potentiel actuel de l’Otan sur la base d’un nouveau rapport sur les problèmes de défense de l’Alliance pour les années 1970 (AD-70) » : ils ont chargé le Comité des plans de Défense en session permanente d’étudier, dans le cadre de l’AD-70, les mesures proposées par les États-Unis pour l’amélioration des forces d’emploi général : terrestres, navales et aériennes, concernant notamment la défense antichar et le système de protection des aérodromes.
Les ministres ont ensuite examiné les incidences pratiques des négociations sur les réductions de forces. Le Secrétaire général de l’Otan M. Joseph Luns a souligné la nécessité que les alliés, sans réduire leur effort de défense, parlent d’une même voix et élaborent une position commune dans les prochains mois ; ce sera une des tâches prioritaires du Comité des plans de Défense au cours de l’été.
Les représentants permanents ont été chargés d’examiner une meilleure répartition des charges de défense et notamment les excédents de balance des paiements découlant du maintien des forces américaines en Europe et de présenter des recommandations à la prochaine session ministérielle en décembre.
Dans ce même délai, les représentants permanents devront élaborer des recommandations concernant les possibilités de spécialisation des tâches de défense dans la région Centre-Europe entre les pays intéressés, afin d’alléger les charges financières de chaque nation tout en accroissant la capacité militaire de l’ensemble.
Enfin, les ministres ont adressé aux autorités militaires de l’Otan des directives sur les données politiques, militaires, économiques et technologiques à prendre en considération lors de l’établissement des plans de forces pour la période se terminant en 1980… de façon à permettre l’adaptation constante des plans Otan de « défense vers l’avant » à l’évolution de la situation. À cet égard, le représentant américain M. James Schlesinger a souligné que « les alliés devraient être conscients du fait que la menace nucléaire et non-nucléaire continue à peser sur l’Alliance ». Il aurait ajouté que le concept de défense de l’Otan doit rester appuyé sur trois éléments : armes stratégiques, armes nucléaires tactiques et armes conventionnelles.
La session de l’Eurogroup (organisation dont on sait qu’elle se présente en principe comme distincte de l’Otan tout en orientant ses préoccupations et ses activités dans la ligne du DPC a, en fait, répondu aux deux points de la déclaration faite dès son arrivée à Bruxelles par M. Schlesinger, Secrétaire américain à la défense. Venue pour assister seulement à la réunion du DPC puisque les États-Unis ne sont pas membres de l’Eurogroup, cette personnalité a rappelé ce que son gouvernement attendait des Alliés : « une amélioration des forces d’emploi général de l’Otan nécessaire en dépit des Mutual and Balanced Force Reductions (MBFR), une répartition plus équitable des charges de défense… »
Concernant le premier point, la décision la plus importante qui a été prise est l’engagement par les dix pays de l’Eurogroup de continuer leur action en vue de renforcer concrètement leur coopération à la fois dans le domaine des fabrications d’armement et dans celui de l’instruction des personnels.
Les fabrications communes d’armement ont été sérieusement poussées, notamment celles du canon de 155 mm automoteur (RFA, Italie, Grande-Bretagne) et du missile air-air Viper (RFA, Norvège) : de plus, le développement de l’avion Multi Role Combat Aircraft (MRCA)-Panavia Tornado ainsi que les travaux sur le char ROF Leeds MBT-80 et le Lance-roquettes multiple (LRM) se poursuivent favorablement. Enfin, des normes ont été définies en vue d’assurer l’interopérabilité des matériels de transmission du champ de bataille et de rationaliser le fonctionnement des services de santé.
En matière d’instruction, un programme commun sera élaboré et présenté à la prochaine session. Il porte sur des points précis : instruction des pilotes d’hélicoptères et d’avions (le MRCA notamment), des conducteurs de chars, des personnels chargés du soutien MIM-23 HAWK, et des spécialistes des unités de défense antibactériologique et chimique.
Pour aider à la répartition des charges de la défense, il a été question de mettre sur pied un nouveau programme européen de participation, analogue au programme EDIP (1) approuvé en 1970 et qui se développe actuellement. Cependant aucune décision ferme n’aurait encore été prise, l’étude de la question étant confiée aux représentants des pays de l’Eurogroup. Il faut toutefois souligner que deux mesures adoptées en matière d’équipement constituent des contreparties non négligeables aux charges supportées par les États-Unis pour la défense de l’Europe : l’achat par la RFA, le Royaume-Uni, l’Italie et la Belgique du missile sol-sol Lance, et les normes définies pour les matériels de transmissions qui correspondent, pour la plupart, à celles des Américains, ce qui favorisera donc leurs firmes de télécommunications.
Ainsi, les récentes réunions des ministres de la défense ont, après celles de décembre 1972, fait passer dans les faits une coopération européenne en matière militaire dont l’évolution mérite une attention qui ne lui a pas toujours été accordée. Considérant l’Eurogroupe, il apparaît de plus en plus que la plupart de ses membres le voient, non seulement comme l’instrument d’une coopération fructueuse dans le domaine des armements mais comme le point de départ d’une construction pragmatique de la défense européenne.
États-Unis : le rapport de politique étrangère du président Nixon : les États-Unis et l’Europe
Dans son rapport adressé au Congrès le 3 mai 1973, le président Nixon fait, au terme de son premier mandat, le bilan de sa politique extérieure et précise les objectifs généraux des États-Unis à l’égard des grands problèmes internationaux pour les années 1970. Alors qu’au cours des quatre années écoulées, c’est dans le domaine des relations avec ses adversaires que le Président a fait porter ses efforts et peut se prévaloir de résultats marquants, son action future concernera surtout l’établissement de rapports plus équilibrés avec ses partenaires. Aussi, la politique américaine à l’égard de l’Europe occupe-t-elle une place importante dans le document présidentiel : après le récent discours de M. Kissinger sur l’Alliance Atlantique et dans la perspective des négociations commerciales de l’automne, les deux volets – économie et sécurité – du chapitre qui lui est consacré méritent particulièrement de retenir l’attention.
Les relations économiques entre les États-Unis et la Communauté européenne sont, reconnaît le président, rendues difficiles par l’existence d’un certain nombre de divergences. Les pays européens, selon lui, mettent l’accent sur l’autonomie régionale alors que Washington se veut fidèle au principe du libre-échange. En outre, l’instauration à l’intérieur de l’Europe de marchés commerciaux relativement fermés, en particulier dans le domaine agricole, ainsi que l’établissement d’arrangements préférentiels avec des pays tiers se sont produits à un moment où la balance américaine des paiements était défavorable.
Or cette politique de régionalisme économique, les Européens la poursuivent tout en demandant aux États-Unis de maintenir leurs engagements politiques de défense.
Pour le président Nixon, « ceci soulève une question fondamentale : le principe de l’unité atlantique dans le domaine de la défense et de la sécurité peut-il être concilié avec les politiques économiques à caractère régional croissant de la Communauté européenne » ? Sans répondre explicitement à cette question, le Président demande que les problèmes économiques ne soient pas considérés isolément ou d’un point de vue purement technique ce qui conduirait inévitablement à l’affrontement stérile d’intérêts nationaux mesquins. Chaque partenaire doit, au contraire, subordonner une partie de son autonomie nationale ou régionale à la poursuite d’objectifs communs. « L’unité européenne n’est pas en cause » ; bien au contraire, « l’absence en Europe d’un degré d’unité politique comparable à celui de son unité économique est un handicap pour la solution des problèmes économiques des États-Unis ». Celle-ci sera poursuivie au cours des rencontres importantes de l’automne prochain où les objectifs américains sont définis clairement : restauration d’un système commercial plus ouvert et arrêt du glissement vers le protectionnisme. M. Nixon ne dissimule pas que les négociations seront longues et difficiles, mais il estime que si elles peuvent être menées « dans le même esprit de coopération que celui qui prévaut dans le domaine de la défense, l’unité atlantique peut s’en trouver renforcée ».
En matière de sécurité, le rapport indique que l’Alliance Atlantique continue à jouer un rôle essentiel. Cependant les changements survenus dans la situation internationale – fin de la suprématie nucléaire américaine, relèvement de l’Europe occidentale, division du monde communiste – imposent d’aménager les relations des États-Unis avec leurs partenaires.
D’autre part, les critiques croissantes qui se font entendre aux États-Unis à l’égard des « lourds engagements » assumés en Europe ne sont pas sans fondement et plaident en faveur d’un « partage plus équitable des charges de la défense commune ».
– Pour les États-Unis, souligne le rapport, la présence des forces américaines sur l’ancien continent contribue de façon notable au déséquilibre de la balance des paiements. Elle s’est traduite par un déficit net de 1,5 milliard de dollars en 1972, déficit qui n’a cessé de croître depuis trois ans. Le président Nixon réaffirme cependant l’engagement de son pays dans les termes mêmes de sa déclaration de décembre 1972 au Conseil de l’Alliance : « Les États-Unis non seulement maintiendront mais encore renforceront qualitativement leurs forces en Europe et ne les réduiront pas, à moins d’un retrait des forces de l’adversaire ».
– Les alliés sont invités, en contrepartie, à un effort accru. Certes, le rapport reconnaît que les budgets de défense des pays alliés ont augmenté de près de 4 % en 1971 et 1972, et que l’équipement de leurs forces s’est amélioré de façon notable. Il admet également que la République fédérale allemande a fourni de substantielles compensations au déficit de la balance américaine des paiements. Mais c’est à l’Alliance tout entière qu’il revient d’étudier dès cette année l’ensemble du problème du partage des charges pour lui trouver une solution équitable et durable : pour Washington, celle-ci devrait aboutir à ce que le stationnement des forces américaines en Europe n’affecte pas davantage la balance des paiements que leur entretien sur le sol national. En outre, les États-Unis rappellent à leurs alliés qu’ils ne peuvent affaiblir leur position au moment où ils sont engagés dans de grandes négociations avec l’adversaire ; la parité des armements nucléaires stratégiques américains et soviétiques rendant leur emploi improbable, c’est par un effort dans le domaine des forces d’emploi général et par une nouvelle réflexion sur la défense de l’Europe, sous tous ses aspects, sans omettre l’emploi des armements nucléaires notamment tactiques et aussi en tenant compte de l’existence des « armements nationaux indépendants » (2), que l’Alliance peut espérer opposer une « riposte adaptée » aux initiatives adverses.
La vigueur avec laquelle les États-Unis tenteront de faire prévaloir leurs points de vue dans les prochaines discussions avec leurs partenaires ne peut faire de doute : elle trouvera cependant ses limites dans l’attitude, unie ou dispersée, des Européens et dans le souci américain de préserver l’unité de l’Alliance. Washington n’admettra pas en définitive de sacrifier à la solution de ses problèmes économiques la sécurité des États-Unis qui, rappelle le président Nixon dans son rapport, « est indissociable de celle de l’Europe ».
République fédérale d’Allemagne : réactions gouvernementales aux positions américaines sur les relations atlantiques
Les réactions ouest-allemandes aux propositions américaines sur la coopération atlantique ont témoigné du souci de Bonn de conserver ses bonnes relations avec Washington tout en ménageant les thèses françaises. En réalité, il faut bien reconnaître que la politique fédérale a gardé un tour résolument atlantique notamment dans le domaine de la défense.
Les thèses contenues dans le discours du conseiller de M. Nixon n’auront en effet pas apporté grand-chose que les Allemands ne sachent déjà : toutes se rapportant à des problèmes qui avaient déjà été largement évoqués en décembre 1971 lors des entretiens du Chancelier Willy Brandt et du président Nixon à Key Biscayne, et on se souvient que des convergences profondes étaient alors apparues entre les deux hommes. Le 27 février 1973, dans une interview publiée par le Times à l’occasion de la visite de M. Édouard Heath à Bonn, le Chancelier fédéral rappelait encore que « les conversations sur le commerce et la monnaie ne pouvaient être séparées des problèmes de l’Alliance » et qu’il était favorable à « un dialogue organique avec les États-Unis ». De fait, la première réaction allemande au discours de M. Kissinger accueillait avec « satisfaction » des propositions qui attestaient du désir de « définir et d’asseoir à long terme la coopération des États-Unis avec l’Europe ». Ce n’est qu’après le retour à Bonn du Chancelier qui se trouvait en Yougoslavie, que la RFA a exprimé des points de vue moins enthousiastes, cherchant manifestement à ménager les positions françaises.
Depuis, et notamment lors de la visite de M. Brandt à Washington, la politique fédérale a cherché à concilier les vues de ses deux partenaires. Dans sa communication au « National Press Club » le 2 mai 1973, le Chancelier soulignait que, dans un monde en mutation, les Américains et les Européens avaient besoin les uns des autres. Pratiquement, il estimait que l’essentiel était que les difficultés qui pourraient se poser dans certains domaines n’aient pas de répercussions inutiles dans les autres. À cette fin, le vice-chancelier ministre fédéral des Affaires étrangères M. Walter Scheel pour qui les problèmes militaires, économiques et financiers sont liés, en propose une approche globale qui n’exclue pas, au stade des questions concrètes, des discussions particulières dans le cadre des institutions compétentes qui, souvent d’ailleurs, en sont déjà saisies.
Sur le plan plus particulièrement de la sécurité et de la défense, la position fédérale ne souffre d’aucune ambiguïté : elle est fondamentalement basée sur l’engagement américain en Europe et sur l’adhésion à l’Alliance Atlantique et à l’Otan.
La déclaration gouvernementale du Chancelier Brandt le 18 janvier 1973 devant le Bundestag est révélatrice à cet égard : « l’Alliance atlantique reste la base de notre sécurité. C’est elle qui nous sert également d’appui pour notre politique de détente à l’Est. La présence politique et militaire des États-Unis est indispensable au maintien d’un rapport équilibré des forces en Europe. Le gouvernement fédéral œuvrera en même temps en vue de renforcer le pilier européen de l’Alliance ; l’Eurogroup en est le point de départ réaliste ». Depuis, le Chancelier n’a pas varié dans ses convictions. Son engagement atlantique est resté aussi ferme comme l’ont montré les assises du SPD tenues à Hanovre à la mi-avril 1973. Par ailleurs, l’opposition très vive d’une part importante de l’électoral à l’Ostpolitik impose à M. Brandt d’équilibrer à l’Ouest ses ouvertures en direction du bloc communiste. Pas de doute donc sur les orientations fédérales actuelles.
Quant aux vues ouest-allemandes en matière de construction européenne et plus précisément en ce qui concerne la défense, M. Rudiger von Wechmar, porte-parole du gouvernement fédéral, en a donné l’essentiel en déclarant à la veille de la rencontre au sommet entre le Président français Georges Pompidou et le Chancelier Brandt qu’il n’y avait pas de raison pour le moment de considérer la défense de l’Europe dans un autre cadre que celui de l’Eurogroup au sein de l’Otan. Pour Bonn, cet organisme, qui groupe la plupart des nations européennes membres de l’Alliance (hormis la France, le Portugal et l’Islande), reste une institution ouverte à la France et dans laquelle celle-ci trouverait sa place dès qu’elle le souhaiterait.
En fin de compte, il apparaît que les lignes de force de la politique extérieure fédérale vis-à-vis de l’Occident n’ont pas subi de modifications notables malgré les infléchissements tactiques que peut leur donner un gouvernement soucieux de ne pas heurter de front les intérêts de ses principaux partenaires. Dans les domaines de la politique et de la défense européenne, la RFA continuera de promouvoir une coopération qui ne saurait se faire contre les États-Unis, mais avec eux.
Danemark : évolution actuelle de la politique étrangère
Le discours tenu le 27 avril 1973 devant le Parlement danois par le ministre des Affaires étrangères M. Knud Børge Andersen a permis de préciser les orientations actuelles de la politique étrangère du Danemark. De fait, l’activité diplomatique danoise s’est intensifiée depuis le début de l’année et de récents événements, comme le rapprochement qui s’ébauche avec les États-Unis et la situation en Islande, donnent un éclairage nouveau à certaines évolutions. Il apparaît toutefois difficile de dissocier l’action du Danemark de l’ensemble des débats qui ont lieu actuellement au sein de l’Europe et de l’Alliance Atlantique.
Dans le cadre de l’activité diplomatique assez intense menée actuellement par le Danemark pour normaliser ou resserrer ses relations avec un certain nombre de pays (RDA, Corée du Nord, Grèce, Japon, Chine), les accords de Paris sur le Vietnam du 27 janvier 1973 lui ont donné l’occasion de tenter d’améliorer avec Washington des rapports quelque peu refroidis par les condamnations répétées de l’action expéditionnaire américaine. Le temps est venu, selon M. Andersen, de raviver « l’amitié traditionnelle qui forme la base des relations entre les deux pays ». De fait, dès le début de l’année, des approches ont été faites auprès du département d’État afin de préparer la visite aux États-Unis, effectuée en mai 1973, par le ministre des Affaires économiques extérieures, M. Ivar Nørgaard (3). Les entretiens qu’a pu avoir le secrétaire d’État William Rogers avec le ministre des Affaires étrangères danois à l’occasion du Conseil ministériel de l’Otan à Copenhague, ont été certainement une nouvelle occasion de renforcer ce dialogue, et la normalisation des relations avec la Grèce, annoncée avant la déposition du roi Constantin II de Grèce, entre sans doute dans le cadre de cette réconciliation.
Du côté américain, on peut penser que le désir de renouer de meilleures relations devrait également prédominer. Il faut noter à l’appui de ceci que la situation régnant actuellement en Islande et ses répercussions sur l’avenir de la base de Keflavik donne une importance nouvelle au Groenland, territoire danois et éventuelle plate-forme de rechange pour le système défensif de l’Alliance dans l’Atlantique Nord.
Il serait insuffisant cependant de ne considérer que l’aspect bilatéral d’une évolution qui s’inscrit dans un cadre plus vaste puisque, selon les termes mêmes de M. Andersen, le Danemark appartient à une Europe « qui, vis-à-vis des superpuissances, n’est plus un simple objet de la politique mondiale ». Copenhague tient à jouer un rôle dans cette Europe-là, dans la mesure de ses possibilités. Celles-ci sont limitées dans le contexte économique actuel par l’élévation constante des coûts. En ce qui concerne notamment sa défense, le Danemark dit éprouver beaucoup de difficultés à faire face à toutes ses charges. Il est intéressant de relever, à ce sujet, qu’il considère son adhésion à une organisation telle que l’Eurogroupe comme étant de nature à faciliter son effort.
Cependant, bien qu’il ait décidé de réchauffer ses relations avec les États-Unis, le gouvernement danois tient à une Europe libre de toute sujétion. « À l’heure de la coopération européenne, le dialogue avec les États-Unis doit être une conversation entre amis prêts à tolérer la critique, les divergences d’opinions et les tensions ». Ainsi le cabinet Andersen s’est-il montré réservé à l’égard des propositions américaines sur les relations Europe-Amérique avancées en avril 1973 par le docteur Kissinger.
D’une manière générale, toute modification de structure ou de composition de l’Otan est jugée inopportune dans le contexte politique actuel mais il convient de relever l’erreur des observateurs danois lorsqu’ils comprennent que le Japon doit être inclus dans l’Alliance, ce qui, selon M. Kjeld Olesen, ministre de la Défense, provoquerait de vives réactions à l’Est. Quand M. Kissinger parle d’une association avec le Japon, il parle évidemment d’un point de vue économique.
Les autorités danoises d’autre part, répugnent à l’idée de globalisation du débat et insistent sur la nécessité de tenir séparément, dans les organes appropriés, les négociations monétaires, commerciales et militaires. Très réticentes au premier abord à l’égard d’une réunion au sommet, elles se sont pourtant rapidement montrées disposées à faire des concessions, sous l’influence certainement du Chancelier Brandt qui jouit au Danemark d’un prestige considérable.
Concernant la sécurité, Copenhague considère que le dialogue devra être mené avec franchise. M. Olesen a souligné que pour les États-Unis, la sécurité de l’Europe n’était qu’un aspect d’un vaste jeu d’échecs, que les Européens avaient des intérêts qui leur étaient propres et que les désaccords devaient être exprimés ouvertement.
La politique extérieure danoise cherche à répondre au souci de promouvoir la détente en Europe tout en sauvegardant la sécurité. Cette action, qui passe par le soutien à la CSCE et aux MBFR, provoque aussi la recherche d’une coopération européenne tant au niveau de la Communauté économique européenne (CEE) qu’à celui de l’Otan.
Les problèmes récemment posés par le plan de réorganisation de la défense danoise peuvent apparaître en contradiction avec l’objectif politique de Copenhague. En fait, et au-delà de la conception officielle du gouvernement pour qui cette réforme, malgré la diminution des effectifs, rend la défense plus efficace, il faut considérer d’une part, les difficultés du cabinet social-démocrate à assumer des charges de défense toujours plus coûteuses et, d’autre part, sa position précaire face à une opinion volontiers pacifiste, ce qui lui impose des concessions pour se maintenir au pouvoir. ♦
(1) « European Defense Improvement Program ». Coût : 5 milliards de dollars répartis sur cinq ans.
(2) Le Rapport de politique étrangère du président, présenté au Congrès le 3 mai 1973, 3e partie, p. 85.
(3) Première personnalité gouvernementale danoise invitée à Washington depuis 3 ans.