Défense dans le monde - Grande-Bretagne : le concept de défense britannique remis en question - Irlande du Nord : retour en arrière - Italie : le budget de défense pour 1974 - Japon : politique et budget de défense
Grande-Bretagne : le concept de défense britannique remis en question
Le Gouvernement britannique procède à une révision de la politique de défense de la Grande-Bretagne qui, selon les termes de M. Roy Mason, ministre de la Défense, se présente comme le « réexamen le plus complet jamais effectué en temps de paix » en cette matière. Cette étude se poursuit mais il est dès maintenant possible d’en dégager quelques données essentielles.
Considérant que la sauvegarde du territoire national était liée à celle de l’aire européenne, face à une menace soviétique définie sans ambiguïté, le gouvernement conservateur fondait sa politique de défense sur l’Alliance atlantique et l’Otan ainsi que sur la libre disposition de sa force nucléaire de dissuasion.
Comptant d’abord sur l’effort national, les Conservateurs consacraient à la défense plus de 5 % du produit national alors que les autres pays d’Europe occidentale se limitaient aux environs de 3 %. Néanmoins, pour des raisons d’économie, la Grande-Bretagne acceptait une certaine dépendance logistique vis-à-vis des États-Unis auxquels elle achetait une partie de son équipement nucléaire stratégique.
Malgré la récente coloration européenne et l’adhésion à l’Eurogroup, la stratégie britannique n’en continuait pas moins de s’exercer à une échelle mondiale correspondant à l’étendue de la menace et aux intérêts traditionnels du pays.
Dans ce cadre, l’appareil militaire restait conçu pour répondre rapidement au danger d’une crise en n’importe quel point du globe grâce à son caractère équilibré et à sa mobilité stratégique. Celle-ci lui était assurée par une puissante flotte aérienne et navale disposant d’un réseau de bases réparties dans le monde entier.
L’arrivée au pouvoir des Travaillistes modifie les données politiques du problème par l’affirmation que le « pilier européen » doit s’effacer devant une solidarité plus grande vis-à-vis des États-Unis tandis que le « volet outre-mer » leur paraît être le vestige de l’époque coloniale.
Cependant, le premier souci des Travaillistes n’est pas de remettre en cause une doctrine. Il consiste à faire face à la crise économique traversée par le pays. L’esprit dans lequel ils le font a été défini par M. Roy Mason lorsque, s’adressant à un auditoire de mineurs il a déclaré : « Il n’est pas seulement souhaitable de restreindre les dépenses de défense pour maintenir un niveau de vie raisonnable ; il est tout aussi souhaitable de maintenir le système de défense nécessaire à la préservation du niveau de vie ».
Il s’agit donc avant tout de définir des priorités permettant de réaliser des économies sur ce qui n’est plus considéré comme essentiel. M. Mason définit la menace avec autant de netteté que ses prédécesseurs en insistant davantage sur la solidarité avec les États-Unis : « Faute de nous tenir la main dans la main avec les États-Unis en Europe, les nations du Pacte de Varsovie, renforcées par la puissance de l’Union Soviétique, pourraient militairement et politiquement dominer nos voisins d’Europe occidentale » … « L’Otan, qui est la clef de voûte de notre sécurité, aura la priorité dans les ressources attribuées à la défense, mais nous considérons que le fardeau que nous supportons dans l’Otan doit être rendu égal à ceux de nos principaux alliés européens ».
La priorité ainsi donnée au théâtre européen pourrait laisser supposer que la politique travailliste de retrait des forces de l’Asie du Sud-Est définie en 1968 sera reprise après consultation avec les alliés du Pacte des Cinq Nations. Il n’est pas exclu non plus que le regroupement du dispositif de défense atteigne les forces de Méditerranée. Dans les deux cas, l’arrière-pensée d’une quelconque forme de relève par un allié mieux placé demeure sous-entendue. Il est seulement possible de se demander si les économies ainsi réalisées justifient des changements qui peuvent être lourds de conséquence ; en effet 3 % seulement du budget sont actuellement consacrés aux forces d’outre-mer.
Quant à la force de frappe, rien ne laisse apparaître qu’elle soit remise en question. La raison tient sans doute à son faible poids dans le budget puisqu’en 1973 elle ne figurait que pour 39 millions de livres, soit 1,2 % du total.
C’est sans doute sur le chapitre des équipements (13 % du budget) que les économies les plus massives seront opérées, moins par suppression que par étalement des programmes dans le temps.
La parution du Livre blanc sur la Défense ne doit pas intervenir avant l’automne prochain. Ce document précisera les modifications qui seront apportées à l’appareil militaire et indiquera dans quelle mesure la primauté sera accordée aux États-Unis. Mais en ce qui concerne la stratégie mondiale, les déclarations de M. Roy Mason sont à situer dans les inévitables professions de foi travaillistes et il n’est pas impossible que l’esprit britannique continue à prévaloir sur les aspirations de l’aile gauche du parti travailliste.
Irlande du Nord : retour en arrière
La construction patiemment élaborée par M. Whitelaw, ministre conservateur britannique de l’Irlande du Nord, à la fin de l’année 1973 s’est écroulée le 28 mai sous les coups des extrémistes protestants.
Ces derniers qui auraient pu à la longue se résigner à une certaine forme de partage du pouvoir avec les catholiques dans le cadre de l’Exécutif provincial présidé par M. Faulkner ont rejeté tout en bloc au moment de la ratification des accords de Sunningdale qui sont à leurs yeux l’amorce d’un processus de réunification de l’Île.
Parti de la rue avec un « Conseil des Travailleurs de l’Ulster » né des circonstances, le mouvement d’opposition a soulevé un puissant courant populaire que les leaders politiques ultras (West–Craig–Paisley) ont suivi plutôt que dirigé.
En déclenchant une grève de quinze jours les loyalistes protestants ont exigé la fin du partage des pouvoirs et des élections immédiates au scrutin uninominal à un tour qui les favorise.
Se sentant privé d’un soutien populaire suffisant, M. Faulkner a démissionné le 28 mai, entraînant derrière lui les ministres catholiques et protestants de l’Exécutif. Dès le lendemain le gouvernement de Londres décidait de revenir pour quatre mois au régime de l’administration directe sous l’autorité du ministre des Affaires d’Irlande du Nord, M. Merlyn Rees. C’était en fait le retour à la situation de 1972-1973.
La démission de l’Exécutif mit aussitôt fin à la grève. Malgré le maintien par les loyalistes de leurs exigences au sujet des élections, le retour au calme pouvait alors être espéré.
Ce fut le tour des catholiques de créer une nouvelle crise. Déçus par l’échec de leurs représentants modérés, ils tournèrent leurs regards vers l’IRA qui, par un concours de circonstances, se trouvait au même moment auréolée du martyre de ses prisonniers. En effet, huit condamnés, membres de l’IRA, poursuivaient une grève de la faim en vue d’obtenir le transfert en Ulster de ceux d’entre eux détenus en Grande-Bretagne. L’un d’eux, Michael Gaughan, mourait en prison le 3 juin tandis que les deux jeunes sœurs Price en grève depuis 205 jours n’avaient plus que quelques jours à vivre. L’opinion catholique était à ce point sensibilisée sur leur sort qu’une issue fatale aurait eu les plus graves répercussions dans la rue.
Au dernier moment cette nouvelle bombe fut désamorcée, les sœurs Price acceptant d’être réalimentées à la suite, semble-t-il, de l’assurance donnée par Londres que leur transfert en Ulster aurait lieu d’ici la fin de l’année. L’apaisement n’est cependant pas définitif car l’IRA a juré de venger Michael Gaughan dont l’enterrement a par ailleurs entraîné à Londres des manifestations dont le caractère provocant a été très ressenti par l’opinion britannique.
Celle-ci, estimant que les Irlandais sont décidément ingouvernables, et de plus en plus lassée par cette affaire, trouve déjà parmi ses parlementaires des deux bords des éléments favorables à l’abandon. Le retrait de l’armée est réclamé par certains, tandis que le Premier ministre lui-même, évoquant au passage les 400 millions de livres que coûte annuellement l’Ulster à la Grande-Bretagne, rappelle aux Irlandais qu’ils sont à tout le moins tenus de se soumettre à la loi britannique.
Ainsi l’idée de l’indépendance de l’Ulster, encore inconcevable il y a deux ans, fait peu à peu son chemin non seulement à Londres mais en Ulster. Les protestants y voient une possibilité de reprendre une autorité sans partage, tandis que chez les catholiques, qui ne croient plus à une solution modérée, certains pensent à la réunification de l’Irlande par ce biais.
Les solutions les plus opposées sont avancées : élimination par la force de l’une des deux communautés, administration directe, rattachement à l’Eire, indépendance, redécoupage de la province en comtés protestants ou catholiques, intervention des Nations-unies, sans exclure malgré tout un retour à une construction modérée inspirée de celle de M. Whitelavv.
Obstinément, par des consultations élargies vers les extrêmes, le gouvernement de M. Wilson, approuvé en cela par Dublin, cherche encore à rétablir le partage des pouvoirs. Dans l’immédiat, il se refuse à céder à la tentation du retrait des troupes britanniques par crainte de la guerre civile généralisée. Son action consiste pour le moment à désamorcer les bombes successives faute de pouvoir faire prévaloir une solution constructive, aucune n’étant viable aussi longtemps qu’il n’y aura pas un large accord entre les deux parties.
Dans la recherche de cette solution, les responsables ne manqueront pas de tirer les leçons de l’échec qu’ils ont subi, car chacun en a sa part :
– Les Irlandais du Sud, pour d’obscurs motifs juridiques, ont trop tardé à ratifier les Accords de Sunningdale si bien qu’au moment où ils l’ont fait, les loyalistes de Belfast avaient déjà repris l’avantage à la faveur des élections générales.
– L’IRA par son action inopportune a contribué largement à développer l’exaspération, donc l’intransigeance, parmi les protestants.
Le gouvernement britannique enfin a montré au cours de la crise de mai une indécision qui ne lui a pas permis de contrôler le cours des événements. À ce sujet, il semble que par crainte d’une escalade, le commandement militaire se soit montré très réservé à l’idée d’intervenir dans le fonctionnement des services publics en grève.
Les choses en sont actuellement au point mort, le pessimisme règne. Tout pronostic s’avère impossible, l’alternance de l’espoir et de la désespérance étant une constante de la vie politique en Irlande du Nord où la situation rebondit beaucoup plus qu’elle n’évolue.
Italie : le budget de défense pour 1974
Le budget général italien atteint cette année 24 662 milliards de lires et se caractérise par un déficit record de 9 200 Md. Dans ce budget, les crédits alloués à la défense, 2 373,4 Md, sont en augmentation de 78,9 Md. Cette différence est modeste puisqu’elle ne représente qu’une progression de 3,5 %, loin de compenser les effets de l’érosion monétaire (1). Comparée au PNB estimé, l’importance des crédits militaires varie peu : on l’évalue à 3,1 % en 1974 contre 3,3 %. En revanche la part de ces crédits dans l’ensemble des dépenses de la nation est en nette régression puisqu’elle passe de 11,2 % en 1973 à 9,6 % en 1974.
Le budget de défense est donc encore cette année placé sous le signe de la plus stricte austérité. Les crédits destinés aux dépenses « d’équipement » (130,3 Md soit 5,7 % de l’ensemble du budget de défense) y sont comme d’habitude très limités par rapport aux dépenses de fonctionnement qui absorbent la totalité des 78,9 Md d’augmentation budgétaire (application de dispositions statutaires, 21,6 Md ; relèvement des traitements, 24,3 Md ; accroissement des réserves, 4 Md ; achats de biens et services (2), 23 Md).
Les crédits alloués à chacune des armées atteignent par ordre d’importance 452 milliards pour l’armée de terre, 414.6 milliards pour l’« aéronautique » et 195 milliards pour la marine. Les services communs se voient crédités de la plus forte somme puisqu’ils obtiennent 1.311 milliards dont 375 sont destinés à la gendarmerie.
Le budget de l’armée de l’air est le seul en diminution (- 12 milliards) par rapport à 1973. Cette mesure affecte particulièrement les crédits « d’équipement » qui sont réduits de moitié. L’armée de terre, malgré une légère progression de son budget général (+ 925 millions de lires), voit elle-même la part réservée à ses dépenses « d’équipement » ramenée à 28 milliards, en diminution de 4.6 milliards par rapport à 1973. Dans chaque armée, les crédits attribués au titre de la modernisation des forces sont largement inférieurs aux besoins tels qu’ils ont été définis par le ministère de la Défense : - 56 % pour l’armée de terre et la marine et - 50 % pour l’armée de l’air.
Dans ces conditions et de l’aveu même de M. Tanassi, ministre de la Défense dans le gouvernement précédent, les objectifs militaires nationaux définis dans le cadre de l’Alliance atlantique pour la période 1974-1978 paraissent impossibles à réaliser.
Les conséquences de la hausse des prix des matières premières et de l’inflation avaient déjà pesé sur l’exécution des programmes d’équipement prévus ; les fortes amputations effectuées dans le projet budgétaire conduisent une fois de plus soit à prolonger l’étalement de ces programmes dans le temps, soit à les ajourner sine die.
Les perspectives sont donc dans l’ensemble peu favorables mais la législation italienne n’exclut pas la possibilité de recourir à l’attribution de crédits additionnels votés en cours d’année par le parlement. Il est douteux toutefois que la conjoncture autorise, dans l’immédiat, de telles mesures.
En tous cas l’incertitude qui pèse sur l’avenir des programmes d’équipement prévus attire l’attention sur les propositions de réforme du budget exprimées par la marine italienne dans son « livre blanc ». Celle-ci demande la mise au point d’un plan à long terme pour les trois armées pouvant être réajusté chaque année et faisant l’objet de lois programmes.
Dans des circonstances normales cette réforme du budget donnerait une nouvelle impulsion à la mise au niveau de l’équipement des forces armées. Mais la situation tout à fait préoccupante de l’économie italienne risque de la priver de tout son sens. Toutefois, si elle était adoptée, elle parviendrait peut-être dans une certaine mesure, à ralentir le processus de dégradation du potentiel militaire de l’un des membres les plus importants de l’Alliance en Méditerranée.
Japon : politique et budget de défense
Maintenue dans un mode mineur jusqu’aux élections de la Chambre Haute en juillet, la politique de Défense devrait évoluer dans les mois à venir d’une manière plus significative.
Au cours de son séjour aux États-Unis en mai dernier M. Ohira a réaffirmé la position officielle : maintien sous la protection nucléaire américaine, pas d’effort d’armement classique et a fortiori nucléaire. M. Tanaka de son côté s’en tient au statu quo : pas de révision du 4e plan de défense en baisse ou en hausse ; quant au 5e plan de défense on n’envisage nullement d’en discuter pour l’instant. M. Yamanaka, directeur général de l’Agence de Défense, a pratiquement admis pour la première fois le 11 mai devant la Diète, qu’il y avait peu de chances pour que les objectifs du 4e plan soient atteint en 1976. Actuellement un retard d’un an semble généralement admis.
Le Japon a condamné l’explosion nucléaire indienne.
Les autorités japonaises essaieraient de lutter contre la phobie nucléaire du public. Dans ce but les essais du premier navire japonais à propulsion nucléaire, le Mutsu lancé en 1969, ont été annoncés. Par ailleurs, les escales des sous-marins nucléaires américains sont à nouveau autorisées depuis juin à Yokosuka et depuis juillet à Sasebo et Okinawa.
Le budget pour l’année fiscale 1974 a été voté par la Chambre haute le 10 avril. Il s’élève à 17 099 Md de yens, en augmentation de 20 % par rapport à 1973.
Le budget de l’Agence de Défense n’a été augmenté que de 16,8 % et s’élève à 1 093 Md de yens, soit 0,83 % du PNB et 6,39 % du budget total contre 0,83 % et 6,55 % en 1973.
Les objectifs fixés par le 4e plan de défense ne seront donc pas atteints en 1974.
Progression des budgets relatifs à la défense japonaise (année fiscale : 1er avril-31 mars)
(en milliards de yens) |
70 |
71 |
72 |
73 |
74 |
1 - P.N.B |
73.237 |
81.446 |
95.564 |
109.800 |
131.500 |
2 - Budget |
7.949 |
9.414 |
11.467 |
14.284 |
17.099 |
Augmentation du budget (%) |
17,9 % |
18,4 % |
21,8 % |
24,6 % |
19,7 % |
3 - Budgets relatifs à la défense |
569,5 (128,7) |
670,9 (256,4) |
800,2 (252,8) |
935,5 (267,9) |
109,3 (258) |
Taux d’expansion (%) |
17,7 % |
17,8 % |
19,3 % |
16,9 % |
16,8 % |
- Dont Agence de Défense |
534 (128,7) |
630,2 (256,4) |
730,6 (252,8) |
854,9 (267,9) |
985,4 (249,6) |
– Armée de Terre |
|
|
|
373,3 |
436,0 |
– Marine |
|
|
|
214,4 |
238,9 |
– Armée de l’Air |
|
|
|
241 |
280 |
4 - Budgets défense/PNB (%) |
0,78 % |
0,82 % |
0,84 % |
0,85 % |
0,83 % |
5 - Budgets défense/Budget général (%) |
7,16 % |
7,13 % |
6,98 % |
6,55 % |
6,39 % |