L’honneur de vivre
On a le sentiment, en lisant cette très passionnante autobiographie du professeur Robert Debré, que la longue vie de l’auteur – il est né en 1882 – n’a jamais connu le moindre passage à vide. Elle se caractérise, dès la sortie de l’enfance, par une densité, une diversité et une qualité tout à fait exceptionnelles, et donne l’impression de n’avoir été construite, du sous-sol aux combles, qu’avec des matériaux nobles, tout ce qui aurait pu se révéler de mauvaise qualité, fragile ou sans consistance, étant délibérément écarté de l’édifice.
Il est donc difficile, dans une existence aussi riche et bien remplie, de distinguer quels furent, pour celui qui l’a vécue, les points forts. A-t-il mieux ressenti « l’honneur de vivre » lorsque, jeune étudiant et admirant profondément Péguy, il décidait de consacrer sa vie à la philosophie ? Ou lorsque, plus tard, ayant choisi d’être médecin, il se voue comme clinicien aux enfants malades, refusant un poste de professeur à la Faculté de Strasbourg ? Ou encore, avec l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, et l’accession de Michel Debré aux hautes fonctions de Premier ministre, lorsque l’occasion lui est offerte de réformer l’enseignement médical, la recherche et l’exercice même de la médecine en France ?
Dans ce dernier domaine, en tout cas, son œuvre aura été particulièrement importante. C’est grâce à lui qu’a été réalisée la fusion entre les membres du corps hospitalier et ceux de la Faculté de Médecine. Désormais, les médecins et chirurgiens des hôpitaux sont professeurs à la Faculté, les chefs de clinique sont en même temps assistants hospitaliers, les internes sont aussi moniteurs de la Faculté. Le prestige du corps médical français dont les maîtres ont accepté une vie austère en est sorti singulièrement grandi.
Mais ce n’est pas son seul métier qui passionnait Robert Debré. Dans les crises politiques et sociales dont il a été témoin en France et dans le monde, il a toujours choisi, il n’a jamais hésité à prendre position, en fonction de ses convictions et de ses croyances. Il est à noter que malgré la largeur de ses vues et la profonde connaissance des souffrances et des misères humaines qu’il a acquise tout au long de sa carrière, Robet Debré n’a jamais déserté la classe sociale à laquelle il appartenait. Il a vécu toute sa vie en bourgeois libéral, réformateur, patriote, républicain et foncièrement désintéressé. ♦