Force et stratégie nucléaire du monde moderne
Successivement diplomate et homme politique, l’auteur cherche, en exploitant le rapport qu’il avait jadis présenté à l’Assemblée nationale sur le sujet, à nous faire connaître les interactions de la politique et de la stratégie militaire, telles qu’elles apparaissent impliquées par les récents accords soviéto-américains sur la limitation des armements stratégiques, quelle fut leur genèse et quelles peuvent en être les suites. Celles-ci lui apparaissent dangereuses et il veut nous mettre en garde contre des concessions faites par le leader du monde occidental sans contrepartie sérieuse à son avis.
Ce livre suppose chez le lecteur une certaine connaissance du jargon et de la pensée des stratèges modernes. Par exemple, ce qui est dit de la « dissuasion stable » ne donne pas les moyens d’assimiler cette notion, pourtant indispensable à la compréhension des SALT I. Une forme assez concise et abrupte ne permet pas toujours de distinguer ce qui est une opinion de l’auteur et ce qui est un fait objectif. Est-il vraiment confirmé que les SALT I ont pour origine la peur réciproque d’une première frappe ? Ne peut-on penser plus simplement que le coût croissant des armements nucléaires défensifs ou offensifs et la volonté d’assurer l’équilibre des forces à un moindre prix furent des motifs suffisants pour pousser les deux parties à l’arms control ? Peut-on dire que l’on est à mi-chemin entre une stratégie anti-cités et une stratégie anti-forces alors que les deux stratégies sont très probablement complémentaires et visent à donner aux dirigeants américains un large éventail de choix stratégiques ? Quelques autres affirmations ne sont pas moins contestables. Peu de marins, par exemple, seront d’accord pour considérer que la « proximité immédiate » des bases permet aux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de disposer de l’abri le plus sûr, alors que leur avantage majeur réside dans le fait qu’ils disposent de l’immensité des sept mers. Des comparaisons entre missiles britanniques et missiles français paraissent peu probantes, car le vrai problème dans ce domaine, comme l’a fait autrefois remarquer Henry Kissinger, est que chaque missile puisse remplir sa mission stratégique. Mieux vaut, en effet, un engin de portée moindre mais strictement national qu’un engin étranger, à plus longue portée, mais dont on ne possède pas la clé.
Le plan de l’ouvrage déroutera quelque peu les lecteurs habitués aux strictes méthodes de présentation des travaux d’état-major. Le principe d’exposition utilisé semble en effet consister à reprendre plusieurs fois le même sujet sous des angles légèrement différents. Il en résulte des répétitions. Par exemple, les problèmes posés par une collaboration franco-britannique dans le domaine des armes nucléaires sont traités trois fois, dont une en annexe. Il en est de même de la doctrine Schlesinger sur la stratégie anti-forces.
Reste que ce livre soulève beaucoup de problèmes intéressants, qu’il a le mérite de dépasser le niveau d’une simple analyse des potentiels militaires pour s’élever aux motivations des acteurs et aux conséquences politiques impliqués par la possession d’arsenaux nucléaires. C’est donc, en dépit de quelques imperfections de forme, un ouvrage utile. ♦