Cinéma - Sur les écrans : aspects de la vie militaire
Au cours des derniers mois, c’est surtout le cinéma français qui s’est penché sur le destin militaire, les films étrangers n’y ayant presque pas fait allusion, si ce n’est dans quelques westerns du type classique. Dans leurs œuvres, les cinéastes français n’ont pas seulement présenté des militaires de notre pays, mais aussi des officiers et des soldats allemands, à la faveur de la mode dite « rétro ». Dans un cas précis, celui de L’Histoire d’Adèle H., nous avons même eu droit à des images se rapportant à l’armée britannique. Un seul film américain, projeté récemment sur nos écrans, mettait en scène des militaires de la dernière guerre. Il s’agit de A Separate Peace, dont le thème général illustrait une sincère amitié entre adolescents, traversée d’éclairs de jalousie et d’envie. Estropié à la suite d’un défi stupide de son meilleur ami, le personnage central, un jeune étudiant, se morfond parce que personne ne veut de lui comme soldat. Or, il voudrait servir son pays et la cause alliée. L’armée américaine l’ayant définitivement rejeté, il écrit aux différentes formations militaires alliées, y compris au général de Gaulle, toujours sans résultat. Sa seule consolation, amère, il est vrai, sera d’apprendre par un de ses camarades revenu du Pacifique à quel enfer il a échappé malgré lui. Notons que cette contrepartie pessimiste n’est nullement défaitiste. Les auteurs de A Separate Peace sont contre la guerre, pas contre l’armée.
Dans L’Histoire d’Adèle H., François Truffaut nous a montré des militaires britanniques parce que le séducteur de la fille de Victor Hugo était un officier de Sa Majesté. Outre les scènes d’intimité au cours desquelles l’uniforme fait des merveilles, le réalisateur nous a fait assister à un exercice de la cavalerie. La séquence est fugitive, elle est pourtant d’une très grande beauté photogénique. Dans cette évocation du drame d’amour d’Adèle Hugo, l’armée est forcément réduite au rôle de figurante. Le cinéaste montre, il ne prend pas parti. Le ton est tout à fait différent dans Lettres de Stalingrad, documentaire semi-romancé de Gilles Katz, qui, pour la première fois sans doute dans le cinéma français, tente de rendre sensibles les impressions et les sentiments de l’adversaire. On dit que pendant la bataille de Stalingrad, nombreux furent les soldats allemands qui ne croyaient plus en la victoire du IIIe Reich. Lorsqu’ils couchaient leurs doutes sur le papier à lettres destiné à leurs familles, leurs missives étaient interceptées par les autorités, soucieuses de préserver les populations civiles de ce raz de marée défaitiste. En 1969, le cinéaste Gilles Katz a entrepris de « mettre en scène » quelques-unes de ces lettres les plus caractéristiques, les plus troublantes aussi. Malheureusement, manquant sans doute de moyens matériels suffisants, le réalisateur de Lettres de Stalingrad a été contraint de se contenter d’une certaine stylisation. C’est dans un décor unique et assez sommaire qu’évoluent les soldats sacrifiés du maréchal von Paulus, au moment des fêtes de Noël 1942. Des comédiens français, par ailleurs très honorables, ont été chargés de personnifier les combattants allemands. Ils sont tombés trop souvent dans le style mélo-dramatique pour que nous puissions les prendre au sérieux. Des « stock-shots », puisés dans les actualités du temps de la guerre d’Algérie et du Vietnam, ajoutés artificiellement au sujet principal, sont là pour nous rappeler que l’auteur du film est un pacifiste convaincu. Hélas, nous ne sommes pas convaincus par son propos.
C’est un des aspects les plus atroces de la guerre et de l’occupation que nous a présenté, avec infiniment de talent, Robert Enrico dans Le Vieux Fusil. Sur un scénario dont le point culminant est parfaitement artificiel et gratuit, le réalisateur a construit une œuvre bouleversante qui doit d’ailleurs beaucoup à son interprète principal, Philippe Noiret. Le médecin de province qu’il incarne découvre un massacre barbare, une sorte d’Oradour-sur-Glane en moins important, au cours duquel sa femme a été brûlée vive. Seul contre une formation allemande, le médecin arrivera à venger les siens et à exterminer le groupe ennemi. Le sujet du Vieux Fusil est tel que les militaires allemands y sont présentés sous les dehors les plus abominables. Il était difficile de faire autrement… Pour remplacer le frisson d’horreur par un sourire amusé et un peu narquois, il y a évidemment les films de Robert Lamoureux qui persévère dans le style « vaudeville militaire » un peu à la manière de la IIIe République. Aussi bien dans Opération Lady Marlène que dans On a retrouvé la 7e Compagnie, c’est un coup d’œil ironique que l’auteur lance sur les combattants français et allemands en laissant toutefois aux premiers l’avantage de l’astuce et du système D. Curieusement, dans Opération Lady Marlène, le seul à être véritablement ridiculisé est le militaire britannique. Quoi qu’il en soit, on peut rire sans arrière-pensée à la projection de ces pochades qui n’ont aucun caractère outrageant et se recommandent par leur bonne humeur contagieuse.
Si l’armée française est évoquée sans tendresse dans Souvenir d’en France, son rôle positif et pacifique est souligné de la manière la plus sympathique dans le très beau film de Jacques Ertaud Mort d’un Guide. L’intrigue dramatique sert ici de support à un remarquable documentaire sur la lutte quotidienne, pratiquement inconnue du grand public, que livrent la gendarmerie et l’armée contre les dangers de la montagne et l’imprudence des hommes. Une réalisation d’une grande sobriété souligne le pathétique combat, parfois gagné, parfois hélas perdu, des forces de l’ordre, dont bon nombre de citoyens oublient de rappeler les mérites tout en les vilipendant lorsqu’il s’agit de « répression »… À cet égard, Mort d’un Guide doit être marqué d’une pierre blanche.
Du côté du petit écran, disons notre étonnement de voir qu’un très beau film comme celui de Christian Brincourt et de Jacky Kargayan, Le Redoutable ne répond pas, diffusé par TF1 le 25 mars 1976, n’ait pas suscité plus de commentaires ni recueilli les éloges qu’il méritait, de la part de la grande presse. Il s’agit d’un magnifique reportage réalisé à bord de l’un de nos SNLE au cours d’une de ses patrouilles. C’était la première fois que les Français étaient invités à pénétrer dans l’un de nos sous-marins nucléaires et à y partager la vie de l’équipage. La beauté des images, la qualité des interviews de l’équipage – depuis le commandant du bâtiment (qui gagne deux fois et demi moins qu’un pilote de Boeing !) jusqu’au boulanger qui discourt fort pertinemment de la politique nucléaire – la sincérité émouvante des déclarations faites par les familles interrogées, tout cela méritait d’être relevé. Ce film fait honneur à TF1 et à notre Marine nationale. ♦