« L’Armée et la Défense »
Profitant de l’intérêt suscité récemment au sein du Parlement et de l’opinion par les problèmes du service national et de la condition militaire, la revue Esprit a eu l’heureuse idée de consacrer un numéro spécial à l’Armée et à la Défense.
En cent pages, sont réunis une dizaine d’articles et de témoignages, d’intérêt et de qualité sans doute inégaux, mais qui retiennent de bout en bout l’attention du lecteur.
Dans « L’Armée et la Défense », Jean Legrès commence par décrire l’Armée comme une « contre-société » encore plus particulariste que l’Église catholique, disposant d’une force irrésistible qui peut tout écraser comme au Chili, faute d’être intégrée complètement à la Nation. De même, dans « Société militaire et crise de société », Jean Boulègue analyse plus longuement la société militaire en mettant en évidence sa double caractéristique : bureaucratique et aristocratique. « Des officiers parlent de l’armée » reflète la synthèse d’idées et de points de vue exprimés par un groupe d’officiers d’active qui déplorent la lourdeur de la bureaucratie militaire et la pesanteur de la hiérarchie. « Le refus » est le compte rendu du procès d’un objecteur de conscience que complète un commentaire de Paul Thibaud. Aussi brièvement que brillamment, Casamayor décrit, dans un étonnant exercice de style, les « Phantasmes d’une vieille culotte de peau ». Jean Irigaray se prononce en faveur d’une « Désacralisation de l’Armée ». Dans « L’Armée vue du dedans », le jeune appelé Bernard Kitou livre ses réflexions après un an de service national. Yves Dheric révèle le contenu de l’« étude confidentielle » qu’aurait établie son ministre l’amiral Sanguinetli. Paul J. Friedrich expose le programme de l’opposition dans « L’Union de la Gauche et la Défense nationale ». Jean Becam indique longuement et un peu confusément que la « Défense n’est pas la guerre ». Enfin, la rédaction de la revue insiste sur la nécessité de « repenser la défense » car le monde militaire, objet de répulsion et d’abrutissement, reste figé et si l’on veut que la défense nationale cesse d’être une spécialité monopolisée par les militaires, il convient d’abord de réformer l’État.
Inutile d’insister sur le caractère violemment antimilitariste de cet ensemble qui fait, à vrai dire, sa seule et véritable unité. Point n’est besoin non plus de se demander si la description qui est présentée de la société militaire est en tout point exacte. Car si l’on peut trouver des jeunes appelés pour qui le service militaire a été le comble de l’abrutissement, on pourrait en trouver encore davantage qui sont enchantés de porter l’uniforme.
Au lieu d’adapter Courteline au goût du jour, il eût été plus enrichissant mais aussi plus difficile d’essayer de savoir pourquoi la société militaire continue d’exister telle qu’elle est, un peu à la manière dont un homme comme Étienne Borne a tenté de déceler les raisons de « l’impossible antimilitarisme ».
Ces dix brillants stylistes réunis par la revue Esprit – dont on aurait aimé que la revue les présente à ses lecteurs comme le font les revues anglo-saxonnes – sont restés à côté du véritable sujet et nous laissent sur notre faim. C’est bien dommage. ♦