Deux articles parus ici-même en mai 1972, l'un de Pierre Aigrain : « La politique scientifique de la France », l'autre de l'ingénieur en chef de l'armement Bongrain : « Aperçu de la défense scientifique » en appelaient un troisième, consacré celui-là aux recherches et études pour la défense. Son auteur, ingénieur en chef de l'armement, ancien élève de l’École Polytechnique, conseiller technique au cabinet du ministre d'État chargé de la Défense nationale et directeur du Centre de prospective et d’évaluations, souligne d'abord le caractère spécifique de la recherche consacrée aux armements.
La nécessité d'opérer, parmi les multiples orientations offertes par la technologie moderne au chercheur, un choix rigoureux, tant pour des raisons financières que pour satisfaire de façon optimale et en temps opportun les capacités opérationnelles assignées aux armées, impose des critères de choix pour la sélection des recherches élémentaires, des méthodes rationnelles pour leur regroupement en ensembles cohérents et pour leur développement. Elles font de même appel à une terminologie appropriée qui diffère sensiblement du vocabulaire de la recherche civile et dont la connaissance est indispensable à quiconque veut entreprendre l'étude de ce domaine complexe, ou même simplement comprendre la répartition par objectifs des crédits annuels importants qui lui sont affectés (un milliard de francs en 1972).
La novation technique tient depuis toujours une place de choix dans le sort des armées. Au fil des siècles, à côté de perfectionnements souvent décisifs, de véritables mutations techniques ont entraîné des révolutions dans l’art de la guerre. La dernière en date, la mutation nucléaire, a fait entrer la défense dans l’ère de la dissuasion. Au niveau des nations les plus puissantes, il en est résulté depuis vingt ans une course technologique aux rebondissements multiples vers la mégatonne, les charges multiples, la défense antimissiles et la maîtrise de l’espace. La novation technique n’en a pas moins marqué en même temps une évolution des armements conventionnels accélérée dans un monde où le progrès technologique a pris une telle place que la recherche a pu parfois être considérée comme un investissement miracle.
Cette importance capitale donnée à la recherche dans une politique de défense, clairement perçue en France dès la fin des années cinquante avant qu’elle ne marque de façon spectaculaire la dernière décennie, a motivé en 1961 la création de la Direction des Recherches et Moyens d’Essais (D.R.M.E.) au moment du regroupement, au sein de la Délégation Ministérielle pour l’Armement, des Directions Techniques chargées de l’Armement des trois armées. Conscient du pari technologique engagé pour réaliser la modernisation nécessaire de l’équipement de nos forces, le Ministre des Armées, en créant la D.R.M.E., visait un double but : rassembler autour de la recherche de défense des compétences extérieures aux Armées, harmoniser les efforts de recherche entrepris dans son sein. Tandis que, d’année en année, la D.R.M.E. affirmait sa personnalité avec succès, et en fonction même de ce succès, l’importance de deux facteurs nécessaires à l’efficacité de la recherche se révélait cruciale.
Le premier facteur consiste dans l’organisation de ce que l’on a appelé le « transfert », autrement dit l’exploitation par les Directions Techniques compétentes des résultats de recherche acquis par la D.R.M.E. C’est le passage de la recherche au développement, souvent fort délicat, parce que l’insertion, dans un système d’arme fabriqué industriellement et destiné à une utilisation en campagne, de résultats acquis dans des laboratoires ne va pas sans difficultés considérables.