Cinéma - Aspects multiples de la vie militaire
Une dizaine de films projetés sur nos écrans cette année ont présenté des aspects très divers de la vie militaire et de l’action personnelle d’officiers ou de soldats. Si l’on observe ces œuvres dans une perspective historique, on constate qu’elles englobent avec plus ou moins de bonheur un siècle et demi d’exploits divers. À l’honneur des cinéastes, il faut préciser que cette production, pourtant très variée, ne comporte pas de caricatures, ni même de contestation véritable. Les auteurs ont enregistré et présenté des faits et des personnages, parfois avec esprit critique, souvent avec tendresse et sympathie, sans jamais tomber dans certains excès constatés précédemment.
Duellistes, que le cinéaste anglais Ridley Scott a tiré du récit de Joseph Conrad Le Duel, remonte le plus loin dans le temps puisque son action se déroule à l’époque de Napoléon. Avec des images d’une beauté qui surclasse celle du célèbre Barry Lyndon, Ridley Scott nous conte l’histoire d’un long duel entre deux officiers de l’armée impériale. L’un est prisonnier d’une haine farouche sans raison valable, l’autre du code de l’honneur qu’il respectera jusqu’au bout. À la faveur de ce récit individuel, le cinéaste trace un tableau multicolore de la vie de la Grande Armée, dont le point culminant est sans conteste la retraite de Russie, évoquée avec un réalisme extraordinaire mais non excessif. Seul regret pour les spectateurs français : les acteurs du drame, tous excellents, parlent avec le plus pur accent shakespearien… Sautant d’un Napoléon à l’autre, nous trouvons une reconstitution non moins réaliste du siège de Paris pendant la guerre de 1870 dans le film de Claude Lelouch Un autre homme, une autre chance. Le combat sans espoir de la garnison parisienne est évoqué avec vérisme et les scènes du lazaret, particulièrement expressives, rappellent quelque peu les épisodes similaires du film de Christian Jaque D’homme à hommes, avec l’agressivité réaliste de la couleur en plus.
Viennent ensuite deux évocations, très différentes l’une de l’autre, de la guerre de 1914-1918. Le Tigre du Ciel, film anglais de Jack Gold, est une adaptation très libre de la pièce de R.C. Sheriff La Fin du Voyage. Sans grandiloquence, on nous montre l’héroïsme des aviateurs britanniques du Royal Flying Corps, prédécesseur de la RAF, et aussi la peur et l’angoisse qui étreignent certains d’entre eux avant chaque exploit. Le problème est posé avec impartialité, et les pilotes, bien que faisant figure de héros, sont des hommes et non pas des surhommes. La vie des aviateurs, les missions périlleuses, les combats en plein ciel sont reconstitués avec soin et une noblesse certaine. Plus modeste dans ses proportions matérielles, l’évocation de la guerre dans Gloria nous ramène à des événements plus familiers. Les mouvements de troupes dans les gares parisiennes, les départs pour le front, les hôpitaux improvisés, tout cela est présenté avec minutie, un souci louable du détail et sans la moindre ironie par Claude Autant-Lara, un cinéaste qui connaît admirablement son métier. Cette évocation militaire constitue une des parties les plus convaincantes d’une vaste fresque sentimentale d’un style résolument passéiste.
Bien au contraire, c’est un problème essentiellement militaire qui se trouve au centre de l’intrigue complexe relatée dans Un pont trop loin par le comédien et cinéaste britannique Richard Attenborough. C’est la reconstitution d’un des épisodes les plus tragiques et les plus sanglants de la fin de la Seconde Guerre mondiale, la bataille pour le pont d’Arnhem. Pour permettre aux blindés alliés de foncer vers l’intérieur de l’Allemagne, le maréchal Montgomery avait imaginé l’opération Market-Garden qui devait donner pour mission aux troupes aéroportées de prendre intacts les cinq ponts du parcours. Seuls, le général anglais Browning et un général polonais avaient émis quelques doutes quant aux chances de cette attaque fort risquée. Cornelius Ryan, auteur du Jour le plus long, a raconté en détail l’histoire de l’opération Market-Garden dans Un pont trop loin. Quant au film, c’est la fresque guerrière la plus spectaculaire qui ait été réalisée depuis fort longtemps. Non seulement la mise en scène des opérations militaires est réellement grandiose mais, ce qui est peut-être encore mieux, les problèmes humains sont traités avec franchise et sobriété. Richard Attenborough n’a pas craint de dénoncer certaines bavures, inévitables dans une entreprise de cette envergure, mais il le fait sans sarcasmes faciles. L’ironie est pourtant cruelle dans cette scène au cours de laquelle les soldats anglais encerclés voient avec effroi les parachutes lestés de munitions et de vivres, tomber dans les lignes ennemies. Sacrifiant sa vie, un jeune soldat arrive à saisir le seul colis à portée de la main. Hélas, il ne contenait que des bérets ! À côté de cet épisode dérisoire, quelle grandeur, quelle émotion, dans le sauvetage miraculeux du jeune capitaine américain ! Autre mérite du film : les Allemands ne sont jamais ridiculisés. Enfin, les comédiens chargés d’incarner les personnages historiques sont d’une telle vérité que l’on oublie rapidement qu’il s’agit d’acteurs professionnels.
Opération Thunderbolt ou L’Esprit d’Entebbé est le troisième film sur la folle entreprise de l’armée israélienne en Ouganda, dont nous avions annoncé la réalisation ici même (cf. Défense Nationale, mars 1977). Des trois, c’est celui-ci qui est sans doute le plus authentique, le moins romancé. Et pour cause. Il est l’œuvre du cinéaste Menahem Golan et d’une équipe israélienne avec le seul concours étranger de quelques comédiens allemands et français. Les responsables du film ont donné toute l’ampleur souhaitable aux préparatifs et aux opérations strictement militaires, laissant quelque peu dans l’ombre les réactions des otages et les tractations politiques et diplomatiques. Précisons toutefois que Menahem Golan est seul à avoir souligné la responsabilité de la police de l’aéroport d’Athènes qui, en matière de sécurité, semble avoir négligé certaines précautions d’usage. Enfin, fait apparemment paradoxal, l’interprétation des rôles du premier ministre Yigal Allon et Shimon Pérès par eux-mêmes est moins crédible que celle qu’en donnaient dans les deux autres films des comédiens de métier. La raison en est simple : les prises de vues de ces personnalités sont muettes et ont été incorporées dans le montage d’une manière artificielle.
Au cinéma l’imagination ne perd jamais ses droits et c’est pourquoi, à côté des films qui évoquent des événements réels, on a pu voir des œuvres d’invention pure qui cherchent simplement à distraire, parfois à amuser. Présenté en « réédition », le film de Brian G. Hutton Quand les Aigles attaquent raconte avec force détails rocambolesques l’évasion sensationnelle, grâce à un commando anglo-américain, d’un général en chef allié détenu dans une forteresse inaccessible du Tyrol. Lorsque l’on aura rappelé que le sujet est signé par Alistair McLean, auteur des Canons de Navarone, on aura tout dit de cette aventure au cours de laquelle les soldats allemands tombent comme des mouches sous les regards médusés des spectateurs incrédules. D’un tout autre genre, encore que la fiction y soit aussi peu vraisemblable, est Le Pont de Cassandra. Le scénario original (dans les deux sens du terme) raconte dans un style mouvementé l’histoire d’un terroriste, contaminé par le virus de la peste pulmonaire conservé dans un flacon au siège de l’organisation mondiale de la Santé à Genève, qui s’enfuit à bord de l’express continental Genève-Stockholm. Pour éviter une catastrophe mondiale, le train doit être acheminé par des voies détournées jusqu’à une région désertique de Pologne où il sera mis en quarantaine. Mais il doit franchir le vieux pont de Cassandra (nom bien peu polonais !) qui risque de s’effondrer. C’est à la police suisse, puis à l’armée de l’Allemagne fédérale et à l’armée polonaise qu’incombe la tâche fantaisiste d’empêcher les pestiférés en puissance de quitter le train et aussi de procéder au plombage des wagons… Tout cela est exécuté avec vraisemblance dans les détails et sans la moindre trace de ridicule. Avec le dénouement apocalyptique du film de George Pan Cosmatos, les spectateurs en ont pour leur argent…
L’année cinématographique et militaire s’est terminée en beauté avec la projection d’une œuvre de la plus haute tenue spirituelle et artistique, Le Crabe-Tambour, que Pierre Schoendoerffer a tirée de son roman couronné par l’Académie Française. Ayant adopté le « récit inversé » particulièrement bienvenu en l’occurrence, l’auteur nous fait vivre à bord du Jauréguiberry, escorteur d’escadre chargé de l’assistance à la grande pêche sur les bancs de Terre-Neuve. Le commandant, le médecin et le chef-mécanicien évoquent tour à tour divers épisodes de leur vie militaire à laquelle fut mêlé ce personnage énigmatique et légendaire, le lieutenant Wilsdorff, surnommé le Crabe-Tambour. À travers des aventures qui ne sont pourtant pas toutes glorieuses, la dignité de l’officier et l’honneur militaire sont sauvegardés et présentés avec une élévation d’esprit admirable. Aux qualités morales et intellectuelles du film de Schoendoerffer s’ajoute une perfection technique et artistique digne des plus grands éloges. Le réalisateur a eu un conseiller maritime parfaitement qualifié en la personne de Pierre Dubrulle, un des cinéastes les plus avertis de l’ECPA (Établissement cinématographique et photographique des Armées). Une mise en scène variée et pittoresque, des prises de vues (Raoul Coutard) d’une beauté impressionnante, un accompagnement musical (Philippe Sarde) particulièrement efficace font du Crabe-Tambour une œuvre cinématographique à la portée de tous les publics. Même les problèmes les plus délicats (Indochine, Algérie française, entre autres), sont traités avec un doigté qui place le film au-dessus de toute polémique. Avec Le Désert des Tartares, dont le caractère est tout différent, Le Crabe-Tambour restera un des joyaux les plus purs du cinéma d’inspiration militaire de ces dernières années. Il est recommandable et peut être recommandé. ♦