Outre-mer - Les États-Unis et l'Afrique australe - Au Tchad : les aléas de la « réconciliation nationale »
Comme dans plusieurs autres domaines, la politique des États-Unis à l’égard du continent africain et plus particulièrement de l’Afrique australe manque de netteté. C’est peut-être la raison pour laquelle elle ne rencontre pas grand succès : les pays dits « modérés » n’oublient pas que l’attitude américaine lors de la crise angolaise les a contraints à abandonner le gouvernement de Luanda à un parti qui ne peut se maintenir au pouvoir sans le concours d’une aide étrangère ; quant aux « progressistes », les tâtonnements de Washington les servent dans la mesure où ils paralysent leurs adversaires mais ils restent convaincus que la puissance américaine ne cherche qu’à les désunir : ils demeurent donc dans l’expectative en espérant que leur réserve provoquera de nouvelles concessions.
Les propos tenus par le président Carter, début avril, lors de sa visite au Nigeria, illustrent les intentions contradictoires de la Maison-Blanche. Au sujet de la Namibie, M. Carter annonce que le rejet par l’Afrique du Sud des propositions occidentales pourrait entraîner des divergences plus sérieuses entre son gouvernement et Pretoria. En termes plus clairs, cela signifie que les États-Unis considèrent qu’une indépendance, octroyée sans entente avec la South-West African People’s Organization (SWAPO), ne sera pas valable à leurs yeux : cette injonction ne s’accompagnant d’aucun conseil de modération à la partie adverse, du moins publiquement, on peut craindre qu’elle n’incite les dirigeants de ce mouvement à jouer la carte du tout ou rien. La SWAPO exige encore que les 1 500 soldats laissés par l’Afrique du Sud pendant la période pré-électorale ne restent pas cantonnés dans deux camps situés à la limite de l’Ovamboland (Grootfontein et Oshivello) où ils auraient la possibilité de contenir les maquisards du mouvement nationaliste, mais qu’ils soient regroupés dans la base de Karasburg, à l’extrémité méridionale du pays. La SWAPO demande également que Pretoria, avant l’indépendance, restitue Walvis Bay, principal port de Namibie, qui appartient en droit à l’Afrique du Sud puisqu’il ne fait pas partie du territoire sous-tutelle : après la guerre de 1914, ce port avait été remis à l’Administration du Sud-Ouest africain puis, en 1977, il fut replacé sous le contrôle des autorités de la province du Cap. En acceptant la première de ces propositions, qui ne fait pas encore partie du plan de règlement occidental, Pretoria renoncerait à protéger l’électorat namibien contre les violences de la SWAPO. Dans ce cas, les États-Unis sont-ils prêts à reconnaître une Namibie soumise à l’autorité d’un parti qui affiche son idéologie marxiste et qui représente une ethnie, habituée à vivre repliée sur elle-même puisque seulement 12 % de ses fils résident en dehors du territoire traditionnel et inquiétante pour le reste de la population ? Selon les Sud-africains, ce serait accorder à un peuple, parce qu’il est noir, le droit à la domination que l’on refuse à la communauté blanche, sans prendre en considération le fait que des ethnies accoutumées à s’administrer elles-mêmes supporteront mal l’autorité d’un peuple qu’elles ont toujours combattu. Cet argument n’est pas sans fondement bien qu’il soit difficilement perceptible par l’opinion occidentale qui ne conçoit le développement de l’individu que dans un cadre national, c’est-à-dire débarrassé des préjugés coutumiers que la politique de « développement séparé » a conservé jalousement.
En Rhodésie, le problème est autre pour trois raisons. Premièrement, les populations sont moins marquées par les différences traditionnelles : le chef de tribu conserve en partie son caractère sacré mais un système politique plus élaboré n’a pas été installé au niveau de l’ethnie. Deuxièmement, il n’existe pas un parti politique unique, encore moins un mouvement destiné à assurer la domination d’une ethnie à l’échelle nationale : le « front patriotique » est une coalition qui, comme toutes les coalitions, aura tendance à se disloquer après les combats. Troisièmement, la communauté blanche ne représente pas, comme en Namibie, la seconde « nation » en importance numérique du territoire mais elle est la force minoritaire qui détient le pouvoir. Cette dernière caractéristique n’existe plus officiellement puisque l’accord de M. Ian Smith avec les partis modérés associe au gouvernement les partisans de MM. Chirau, Sithole et Muzorewa, mais elle reste vraie puisque l’armée rhodésienne est placée sous l’autorité directe du Premier ministre. Sans tenir compte de cette dernière donnée, le gouvernement actuel de la Rhodésie ne peut prétendre être l’émanation d’une majorité, toutes races confondues. On estime à Pretoria que les trois signataires de l’accord constitutionnel ne représentent pas plus du quart de l’électorat noir. Il n’en va pas de même en Namibie où, en raison du système électoral et de la répartition des sièges parlementaires par ethnie, la Democratic Turnhall Alliance (DTA) alliance des partis modérés blancs et noirs, pourrait être assurée d’une assez large représentation si, du moins, l’ordre public pouvait être maintenu. Néanmoins, la politique américaine parait être plus nuancée à l’égard de la Rhodésie qu’en ce qui concerne le pays du Namib. Une raison possible de cette différence d’attitude réside dans le fait qu’à Salisbury, la réalité du pouvoir, comme nous l’avons souligné plus haut, appartient encore aux représentants élus de la communauté blanche alors qu’a Windhoek elle est détenue, jusqu’aux élections, par le gouvernement sud-africain : Pretoria est évidemment plus sensible aux pressions extérieures que le gouvernement de M. Ian Smith tant que ses propres intérêts ne sont pas directement visés. Par ailleurs, en affirmant sa fermeté sur le problème namibien, M. Carter peut se considérer comme le porte-parole de l’Onu qui conserve la responsabilité de ce territoire jusqu’à ce qu’il soit conduit à l’indépendance par la puissance tulélaire : dans le cas de la Rhodésie, colonie en rébellion, il ne peut agir qu’en accord avec l’ancien colonisateur que l’on désire remettre en place afin de revenir à la légalité pour faciliter la décolonisation en neutralisant le pouvoir blanc.
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