Cinéma - Les armées de l'imagination
Les uniformes ont été nombreux à paraître sur les écrans de cinéma au cours de ces derniers mois, l’aspect militaire des films n’a pourtant pas eu de caractère de réalité ou d’authenticité. Les armées photogéniques ont évolué au gré de la fantaisie des auteurs, engagées dans des combats imaginaires ou manœuvrant dans des pays indéterminés sinon utopiques. Il faut toutefois reconnaître que même dans le cas d’une vue de l’esprit sans attaches avec la réalité, la maîtrise de certains cinéastes fait « passer » l’invraisemblable pour du vrai.
Guy Hamilton, par exemple, s’est révélé un prodigieux manieur de troupes dans Force 10 from Navarone (L’ouragan vient de Navarone) dû à l’imagination féconde du romancier Alistair McLean. Cette fois, il ne s’agissait pas de faire taire les fameux « canons de Navarone », mais de détruire le pont qui allait permettre aux Allemands d’occuper toute la Yougoslavie en 1944. Nous retrouvons là le major Mallory et le sergent Miller qui, après leur premier exploit, vont vivre des heures encore plus dramatiques pour venir en aide aux partisans yougoslaves. Si leur aventure est purement fictive, la mise en scène de Guy Hamilton la rend véritablement « palpable ». Officiers anglais et américains, soldats allemands, partisans serbes et collaborateurs croates sont représentés de la manière la plus réaliste, et les épisodes guerriers coupent le souffle des spectateurs. Dans le domaine du cinéma de distraction, c’est une belle réussite.
Elle est sans doute moins évidente avec Les oies sauvages d’Andrew V. McLaglen. Il est vrai que la démarche des auteurs est ici très différente. Sans être familiarisé avec les événements historiques de ces derniers temps, on peut facilement voir dans le roman de Daniel Carney, adapté pour le cinéma par Reginald Rose, une évocation exagérément romancée de l’aventure de Moïse Tschombé. Mais tout est fantaisiste dans ce récit où l’on voit quatre aventuriers lever une armée de mercenaires pour tenter de libérer le chef noir enlevé à la suite d’un coup d’état. Sur un fond d’intrigues typiquement africaines, le réalisateur du film réussit à nous intéresser grâce à son savoir-faire acquis dans la confection des westerns.
Autres deux, autres aventures dans Convoi de la peur de William Friedkin qui est ce que l’on appelle un remake de l’inoubliable Salaire de la peur réalisé autrefois par Henri-Georges Clouzot d’après le roman de Georges Arnaud. Le sujet initial a été considérablement remanié et il n’est pas certain que Clouzot, à qui le nouveau film est dédié, aurait été satisfait de cette dédicace… Nous retrouvons certes les 4 convoyeurs de nitroglycérine mais, cette fois, ils opèrent dans un pays imaginaire et non plus au Guatemala. Des scènes d’émeute, qui n’existent ni dans le roman ni dans la première version cinématographique, permettent à William Friedkin de faire intervenir l’armée du pays imaginaire par une violence inouïe, presque insoutenable. La présentation de l’armée israélienne qui intervient dans une des séquences du prologue est moins excessive. Les prestations militaires dans Le convoi de la peur sont finalement accessoires, elles sont encore plus insignifiantes dans Pair et impair de Sergio Corbucci où elles servent uniquement de point de départ à une action humoristique et parodique dans le style habituel des deux compères italo-américains Terence Hill (Mario Girotti) et Bud Spencer.
Les 4 scénaristes de Pair et impair ont imaginé que la Floride se trouve entièrement aux mains de la mafia. L’amiral commandant le district naval, désolé de ne pouvoir intervenir légalement contre les aigrefins qui exploitent les jeunes marins de l’US Navy, confie aux deux amis la mission de détruire la mafia. La Marine est ici réduite au simple rôle de figuration.
C’est dans le burlesque que nous plonge le film français de Claude Bernard-Aubert Les filles du régiment. L’auteur-réalisateur a lui-même défini cette comédie loufoque comme étant « les gaîtés de l’escadron chez les filles ». Tout un programme. Aux sons d’une marche entraînante d’Alain Goraguer, nous assistons aux aventures totalement invraisemblables des « soldâtes » d’un régiment féminin. Le cinéaste a évité de justesse la vulgarité, et l’on sourit quelquefois. Le caractère extravagant du sujet qui dépasse de beaucoup les vaudevilles militaires d’avant-guerre (Une de la cavalerie, par exemple), empêche d’accorder la moindre importance aux Filles du régiment dans le domaine du cinéma d’inspiration militaire. Nous sommes loin de Patrouille de choc du même réalisateur !
En revanche, comment ne pas être ému par la réalisation de Michel Mitrani Un balcon en forêt, tiré d’un récit de Julien Gracq ? Il s’agit d’une évocation mélancolique et quelque peu désabusée de la « drôle de guerre », sans toutefois la moindre acrimonie, ni aucun désir de critique acerbe. L’action contée par Julien Gracq et reprise par Michel Mitrani se déroule entre le mois d’octobre 1939 et l’offensive allemande du 10 mai 1940 dans un hameau des Ardennes, face à la frontière belge. Un aspirant, un caporal et deux hommes de troupe sont confinés dans un minuscule fortin camouflé en ferme. Ils attendent. Ils attendent quoi ? Eh bien, que quelque chose se passe enfin ! Ils tuent le temps en cuisinant, en jouant aux cartes, en courtisant les femmes du hameau. Dans leurs conversations, on retrouve toutes les contradictions exprimées à l’époque par la majorité des Français, mobilisés ou non. Les uns croient fermement à la victoire, les autres en doutent. Il y a sans aucun doute dans le film de Mitrani des détails techniques de la vie militaire qui « clochent ». Seuls les professionnels pourront les déceler. Le spectateur moyen ne peut qu’être impressionné par la vérité du sujet, par la sobriété de la mise en scène et de l’interprétation. L’attente qui se prolonge indéfiniment rappelle, dans un tout autre contexte, celle que nous a restituée avec tant de talent Valerio Zurlini dans Le désert des Tartares. Ici comme là, l’aventure se terminera par la mort. Il y a dans Un balcon en forêt des erreurs et des maladresses (notamment la scène d’accueil de la population belge, scène qui aurait dû être émouvante et qui est presque parodique !), mais il reste que le film est admirable et qu’il fait honneur à ses auteurs.
Et, une fois pour toutes, faisons le silence sur tous les « bidasses » à venir qui n’ont rien à voir avec le cinéma militaire et très peu avec le cinéma tout court… ♦