L’Iran insurgé. 1789 en Islam, un tournant du monde
Qui donc se serait hasardé, à l’automne 1978, à prédire la chute prochaine du régime impérial iranien ? Qui eut osé affirmer qu’un peuple aux mains nues allait faire basculer la cinquième armée du monde ? Si la cécité du shah n’a eu d’égal que celle de ses protecteurs américains, il n’en est pas moins vrai que la plupart des Occidentaux ont ignoré eux aussi le caractère profond et la puissance du « soulèvement de société » qui allait surgir.
Ne commettons donc pas la même erreur en méconnaissant la nature du pouvoir islamique qui vient de naître à Téhéran et ne sous-estimons pas les répercussions d’un séisme qui n’a pas fini d’ébranler l’Orient. Le livre de Paul Balta et Claudine Rulleau aidera, espérons-le, les observateurs de cette région à se garder de cette nouvelle faute.
Les auteurs sont un couple de journalistes qui se sont tous deux consacrés à l’étude du monde arabe et islamique. Paul Balta, né à Alexandrie en 1929, a vécu plus de 20 ans au Proche-Orient. Il dirige la rubrique Maghreb du Monde après en avoir été le correspondant à Alger. Envoyé spécial à Téhéran, il a suivi le processus révolutionnaire iranien tandis que sa femme, Claudine Rulleau, observait les activités de l’ayatollah Khomeiny à Neauphle-le-Château.
Leur ouvrage comprend 3 parties. La première fait le récit de la naissance et du déferlement de la lame de fond qui a balayé le trône impérial. La seconde décrit l’échiquier iranien et le démonte pièce par pièce en montrant comment chacune d’elle a joué. La troisième a un caractère plus prospectif et s’interroge sur les possibilités de gouvernement du pouvoir islamique, montre jusqu’à quelle profondeur il plonge ses racines dans l’âme musulmane chiite iranienne et quelles espérances il a fait lever dans toute la région ; mais en même temps il fait toucher du doigt les risques et les difficultés nées de la situation économique désastreuse léguée par le monarque déchu et il découvre les failles historiques qui existaient dans un empire comportant de nombreuses minorités dont les turbulences étaient matées par la poigne de fer du Shah mais en qui la révolution chiite a fait lever l’espoir de la liberté.
Ce qu’il faut retenir de ce livre, c’est l’ampleur de l’onde de choc de l’Islam politique qui fait du Coran une arme et de la foi un combat : combat pour les valeurs humaines et sociales édictées par le livre sacré, combat contre tout ce qu’incarnait la monarchie déchue, l’absolutisme, la corruption, le développement dévoyé enrichissant les plus riches et aggravant la misère des plus pauvres. À l’Occident d’en tirer la leçon. À cet égard, la France – dont Paul Balte affirme que son capital de sympathie est intact en Iran – peut lui fournir un concours utile pour peu que les industriels français n’adoptent pas une attitude de dépit ou de repli devant les marchés perdus.
Mais le phénomène iranien est sans doute appelé à faire sentir son influence au-delà des limites du Proche-Orient. Les auteurs estiment qu’il va marquer les rapports avec le Tiers-Monde et les non-alignés. Il pose au monde industrialisé, à l’Est comme à l’Ouest, un certain nombre de questions qui mettent en cause le devenir des différentes civilisations, techniciennes ou non. Ces questions, les auteurs les formulent ainsi en conclusion : « Les stratèges de tous bords qui pensent à longueur d’année le monde et ses rapports de force prendront-ils enfin en considération le phénomène iranien ? Cesseront-ils d’étudier ces rapports de force de façon purement abstraite, ou en termes économiques et stratégiques ? Sauront-ils tenir compte du sentiment national et introduire dans leurs prévisions ce “supplément d’âme” que réclame une grande partie de l’humanité ? Comment expliquer, sinon, ce réveil de la spiritualité sur tous les continents ? » ♦