The Irony of Vietnam: the System Worked
La Brookings Institution est une des plus importantes de ces entreprises américaines qui se consacrent, d’une manière indépendante et souvent non partisane, à l’étude des problèmes politiques, économiques et de défense, en vue de l’information du public.
« Ironie du Vietnam : le système a fonctionné ». Le système, c’est-à-dire l’ensemble des structures administratives et politiques qui, aux États-Unis, régissent aussi bien le fonctionnement interne du gouvernement que les rapports exécutif-législatif, les relations internationales ou l’information du public.
Les auteurs, l’un et l’autre remarquablement placés pour puiser aux meilleures sources (rapports du Congrès, dossiers du Pentagone depuis peu déclassifiés. bibliothèque présidentielle…) se sont partagé le travail de rédaction : à l’un le résumé historique, à l’autre l’analyse méthodique. Le résultat est un ouvrage original, révélateur, argumenté, mais trop compact, manquant d’homogénéité, qui gagnerait à être moins insistant dans l’affirmation de sa vérité.
La période étudiée va de 1945 à 1968, celle des présidences Truman, Eisenhower, Kennedy et Johnson. La présidence Nixon, capitale puisqu’elle est celle du désengagement, n’est pas analysée, par manque sans doute d’une documentation déclassifiée suffisante.
La thèse de Gelb et Betts est que la politique d’intervention américaine au Vietnam a été formulée et conduite pendant 25 ans au nom d’une doctrine fermement approuvée par tous les courants importants de la pensée politique américaine, celle du « containment » de l’expansion communiste. Tous informés de la situation locale, réticents à s’engager car conscients des limites et des obstacles s’imposant à la mission fixée, les présidents furent tour à tour pris au piège de cette doctrine : « damnés s’ils s’engageaient, damnés s’ils ne s’engageaient pas ! ». Après la perte de la Chine, après le sauvetage de la Grèce, de l’Iran, des Philippines et, in extremis de la Corée, ils eussent été les premières victimes d’un abandon de sang-froid de l’Indochine aux mains des communistes. Ils ont tous mené leur engagement à mi-chemin entre les faucons et les colombes, entre le minimum indispensable et le maximum faisable, n’élevant leur mise qu’à hauteur de celle de l’adversaire, aussi soucieux de leur crédibilité internationale que des risques d’extension du conflit. Correctement renseignés sur les échecs rencontrés sur le terrain, sans illusion sur les chances d’une victoire, ils ont tenté la négociation indirecte d’une solution de compromis, mais en vain. Ils ne pouvaient se dégager dans la défaite et leur position finissait par être celle du bon docteur qui doit bien accepter l’éventualité de la mort de son patient, mais s’acharnera à le soigner jusqu’à ce qu’elle intervienne. Solidement basée sur le plan historique, argumentée avec intelligence et objectivité, cette thèse, qui va à contre-courant de l’opinion américaine et internationale des années 1970, irritera tous ceux qui veulent voir dans l’aventure américaine au Vietnam la condamnation du « système » et la nécessité de sa réforme. Or, elle ne condamne nullement ce système américain qui laisse aux différentes composantes de l’opinion une liberté d’examen, de critique et d’expression que ne connaîtront jamais les régimes communistes. Ce qu’elle réprouve, c’est l’adoption par une très grande puissance d’une doctrine et de principes d’action trop rigides dans le domaine de la politique internationale, privant le chef de cet État de sa liberté indispensable de décision.
Les auteurs se gardent d’être tranchants dans leurs conclusions et leur ouvrage invite plus à la discussion qu’à l’approbation sans nuance de celles-ci. On peut y réfléchir à la lumière, par exemple, des accords de Paris de 1972 ou de l’abandon du Sud-Vietnam en 1975, ou encore, plus actuellement, de la présente invasion du Laos et du Cambodge par le Vietnam, du sang-froid de l’ONU devant le génocide cambodgien, du réveil religieux de l’Islam… Mais il apporte sans aucun doute une contribution importante à l’étude de cette difficile question. ♦