Afrique - Soudan : stabilité péniblement acquise dans un environnement instable - La Corne de l'Afrique : vers une hégémonie éthiopienne ?
On parle peu du Soudan dans la presse française. Pourtant, l’étude de ce pays relativement stable ne manque pas d’intérêt dans la période troublée que traverse actuellement la partie du continent africain où il se trouve placé. Cet intérêt repose sur plusieurs caractéristiques d’un État qui, comme la plupart des pays d’Afrique, a été construit pour perpétuer une occupation étrangère sans qu’il eût été tenu compte des réalités géographiques et ethniques. Territoire le plus étendu d’Afrique, il s’étend de l’Égypte, au nord, jusqu’au Kenya, à l’Ouganda et au Zaïre, au Sud, et de la mer Rouge, de l’Érythrée et de l’Éthiopie, à l’est, jusqu’à la République centrafricaine (RCA), au Tchad et à la Libye, à l’ouest. La vallée où confluent les deux Nils, venus respectivement des montagnes abyssines et du lac Victoria, lui donne une certaine unité ; elle constitue la partie la plus peuplée, la plus active et la plus riche du pays. Le reste de la population se répartit par groupes relativement homogènes dans les savanes et les zones désertiques mais, au-delà du Bahr el-Ghazal, qui se présente un peu comme une frontière naturelle, des tribus plus denses vivent relativement isolées et s’apparentent à celles de l’Ouganda, du Zaïre et de la RCA voisins. La personnalité soudanaise a été soigneusement modelée par le colonisateur qui tenait surtout, au début du siècle, à éviter une expansion vers le sud d’une Égypte aspirant depuis longtemps à parfaire son indépendance. Profitant de l’esprit particulariste dont le mahdisme avait doté l’islam des populations noires du centre, les Britanniques ont voulu que la nation soudanaise fût le point de rencontre de 3 types de civilisation, la vallée du Nil, et plus particulièrement la Guezireh (la Guezireh, îles en arabe, est l’espace entre Nil Blanc et Nil Bleu, près de leur confluent, à Khartoum) fertile, devant être, avec le temps, le foyer de leur amalgame, les musulmans du Nord imprégnés de culture égyptienne, les musulmans du centre soucieux d’exprimer leur négritude, les populations animistes du Sud qui, par méfiance à l’égard de leurs voisins du Nord, se montraient plus sensibles au prosélytisme chrétien qu’à l’islam. Les Britanniques ont souvent utilisé ce découpage ternaire dans les États qu’ils administraient en Afrique. Ils y trouvaient l’intérêt non seulement de se placer en arbitres d’influences divergentes mais aussi, à l’époque où subsistaient les rivalités coloniales, de faire de chaque région dont on flattait les particularismes, des centres de rayonnement, voire de regroupement, pour les populations apparentées voisines.
Le colonisateur parti, le système a révélé ses faiblesses : les tendances centrifuges, en l’absence d’un gouvernement fort ou plutôt d’un arbitre accepté, reprenaient le dessus. Ce fut le cas pour le Soudan qui, après 57 ans de condominium anglo-égyptien, accéda à l’indépendance le 1er janvier 1956. Certes, l’union avec l’Égypte fut évitée par les voies démocratiques, mais le régime parlementaire dont fut doté le pays ne résista pas longtemps aux tensions qu’exerçaient sur le pouvoir central des partis dont les rivalités accentuaient les divisions politiques et religieuses maintenues ; aucun ne pouvait être accepté par les autres comme arbitre. Seul, un parti communiste, actif mais encore mal enraciné dans les campagnes, par la diversité d’origine de ses membres aurait pu faire le lien entre les différentes composantes du pays. Entre les musulmans traditionnels et les mahdistes, les luttes se placèrent sur le terrain politique, souvent accompagnées de violence mais sans menace de sécession, l’objectif poursuivi étant de s’emparer du pouvoir à Khartoum. Il n’en alla pas de même avec les animo-chrétiens du Sud. Plus isolés, moins bien représentés, ils menèrent pendant 14 ans une lutte armée très meurtrière pour obtenir la liberté de gérer leurs affaires ; ils acquirent le statut d’autonomie en 1972.
Avant d’en arriver là, le pouvoir central avait traversé bien des crises. Le régime parlementaire fut supprimé en 1958 puis rétabli après un soulèvement populaire, en octobre 1964. sans pour autant assurer la stabilité d’un régime, affaibli par la lutte armée qu’il devait mener dans les provinces du sud et ballotté par les rivalités politiques dont l’âpreté était accentuée par les conflits internes du monde arabe, les ambitions nassériennes et les intrigues saoudiennes. Ryad, en effet, s’est toujours employé à éviter que le Soudan ne devînt trop dépendant de son puissant voisin du Nord ; il le faisait, à cette époque-là, avec d’autant plus de ténacité qu’il devait lutter contre les interventions égyptiennes au Yémen et qu’il craignait de voir s’étendre l’influence de l’Égypte sur l’ensemble de la mer Rouge. En 1969, le coup d’état du général Nimeiry put supprimer les effets néfastes du jeu parlementaire sans toutefois rétablir la stabilité. Les rivalités se firent jour à l’intérieur même de l’armée. Une coalition d’officiers démocrates et communistes s’empara de Khartoum en juillet 1971 mais en fut chassée par un contrecoup d’état soutenu par l’Égypte et la Libye quelques jours plus tard ; le général Nimeiry reprit ses fonctions. La répression fut sanglante, le secrétaire général du parti communiste exécuté.
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