Les débats
Les asymétries fondamentales
• Les Américains et les Soviétiques avaient mis sur pied un système de modération réciproque par les accords SALT, l’accord Nixon-Brejnev. À l’époque, les Américains possédaient une marge importante de supériorité par rapport aux Soviétiques et l’on a pu parler de blocage nucléaire. Cette marge a maintenant considérablement diminué et l’on peut penser que seule la bonne volonté des Soviétiques permettra le respect de l’accord de 1972. On assiste maintenant à un nouveau phénomène. Avec la dégradation des institutions américaines liée à l’issue de la guerre du Vietnam et au Watergate, avec la fin de la supériorité des États-Unis dans le domaine des moyens stratégiques, on se trouve maintenant dans une situation de totale asymétrie favorable à l’Union Soviétique. Cette dernière peut actuellement ne plus avoir intérêt à respecter les accords de condominialité de 1972. Il est même probable qu’elle ne les respecte plus.
Cette réflexion a été faite depuis longtemps par de nombreux experts américains et des sénateurs. Un monde nouveau, difficile pour l’Ouest, est ainsi en train de s’ouvrir, et il faut s’interroger sur la meilleure manière de réagir devant une pareille situation. Il n’est pas évident que ce soit la grande gesticulation à laquelle se livrent les États-Unis pour essayer de montrer qu’ils sont toujours présents. On sait pourtant qu’ils n’ont pas toujours les moyens de l’être partout, comme on l’a vu avec l’opération de Tabas. Faut-il s’en arrêter à ou aller plus loin ? On risque de voir les pays du Tiers-Monde, du Golfe ou d’ailleurs, chercher les garanties d’aide auprès d’autres pays que les puissances traditionnelles.
• Si l’accord virtuel de condominialité n’existe plus, ce n’est peut-être pas tellement que le rapport des forces se soit dégradé que parce qu’il y a eu rupture de la communication ; on a entendu dire récemment que le président Carter ne jouait pas le jeu du discours, du langage, des signaux et qu’on n’y comprenait plus rien parce qu’il changeait fréquemment d’avis.
Le comportement soviétique a lui-même changé. On est frappé maintenant par son triomphalisme. Autrefois les actions étaient menées discrètement, ce n’est plus le cas. Doit-on en conclure que la révolution mondiale est pour demain ?
• Il est incontestable que l’état du monde s’est dégradé et la dissymétrie s’est accentuée en faveur de l’URSS depuis la fin de la guerre du Vietnam. La manière dont s’est déroulée l’affaire de l’Angola est, à cet égard, exemplaire.
Les Soviétiques ont avancé les pions cubains. S’il n’y avait pas eu l’interdiction du Sénat américain qui a empêché l’utilisation d’un pont aérien vers le Zaïre, les États-Unis auraient probablement pu arrêter dans l’œuf l’intervention cubaine. Une constante de la stratégie soviétique est en effet que toute expédition militaire commence, pour eux, par la mise en place de la logistique. On envoie d’abord le matériel et ensuite les hommes. Dans le cas de l’Angola, on a envoyé des Cubains et non des Soviétiques. Dans les premières semaines, ces Cubains se sont trouvés dans des conditions très précaires, les Soviétiques ayant hésité à mettre leurs moyens navals et aériens à leur disposition. L’absence de réaction américaine a provoqué une dégradation de la situation, et les soldats cubains sont maintenant transportés sans vergogne par des moyens soviétiques. On voit ainsi la liberté de manœuvre que les Soviétiques ont gagnée faute de mesures de stratégie indirecte prises par les Américains.
Il y a donc dégradation de l’ensemble de l’équilibre, mais le blocage nucléaire stratégique demeure bien réel. Une des manières de répondre des Occidentaux et des Américains consiste à rappeler, sans la moindre ambiguïté, que le recours à une attaque militaire dans certaines régions du monde, et en particulier en Europe, comporte le risque de l’escalade nucléaire, risque qui est inacceptable. En fond de tableau, l’on garde la réalité du danger d’un conflit nucléaire, ce qui fait que la bipolarité doit pouvoir être maintenue. En dehors de ce danger, on assiste à une augmentation du nombre des pôles et à un jeu beaucoup plus difficile.
La stratégie indirecte et ses modes d’action
• On a l’impression qu’actuellement il y a une certaine « déformalisation » de ce que l’on pourrait appeler l’aspect opérationnel de la stratégie indirecte. Dans la plupart des domaines de cette stratégie, de façon de plus en plus manifeste, il y a brouillage des signes. Ceci fait que l’une des conditions formelles de la théorie de la stratégie indirecte paraît être mise en cause. D’un autre côté, en stratégie indirecte, la riposte doit-elle être de même nature que l’agression ? Ce serait peut-être la négation de la stratégie indirecte.
• Il y a de plus en plus brouillage des signes. C’est la raison pour laquelle il faut choisir le mode d’action consistant à appliquer la riposte dans un domaine qui soit le plus voisin possible de celui de l’attaque. Effectivement on sème la confusion à partir du moment où on entreprend de répliquer sur tout l’arc-en-ciel des probabilités. Il faut s’efforcer de ne pas mélanger les genres, comme prendre des sanctions économiques comme riposte à une prise d’otages. On doit d’ailleurs prendre conscience que l’on dispose d’un éventail considérable de possibilités, même si on reste à l’intérieur d’un même domaine. Cet éventail est d’autant plus vaste que la réplique est prompte, et il doit même être possible de la placer en amont dès que l’on perçoit des signes de l’attaque.
Ceux-ci étaient flagrants avant l’intervention soviétique en Afghanistan, on ne pouvait pas ne pas savoir que l’invasion allait avoir lieu. À ce moment-là, la menace d’une réplique aussi simple que le blocus de Cuba aurait peut-être arrêté l’escalade. Dans les modalités de ce type de stratégie, la façon d’annoncer les choses et la manière d’engager le dialogue sont capitales.
• Il a été dit qu’une réaction n’est valable que si elle a la même nature que l’action. Il faudrait cependant introduire une sous-distinction : il y a des réactions qui sont d’une autre nature que l’action et il y a des pseudo-réactions. L’affaire des Jeux Olympiques est une gesticulation sans importance réelle, mais elle a une valeur morale. L’effet moral est tamisé en Union soviétique par la presse et n’est pas très important. Par contre depuis l’affaire d’Éthiopie d’avant 1939, peut-on indiquer s’il y a eu, une seule fois, des sanctions économiques qui aient réussi ? Elles aussi font partie de la gesticulation. Leur effet n’est autre que d’augmenter les frais parce qu’il faut utiliser des intermédiaires pour les tourner. Entre la phrase : « Nous ne laisserons pas Strasbourg sous le feu des canons allemands » et la gesticulation pure et simple, il faut prendre en considération toute une série de mesures possibles.
• On a dit que le boycott des Jeux Olympiques était quelque chose de dérisoire. C’est certainement un geste insuffisant, mais aussi une question de dignité, alors que le monde occidental a donné aux Soviétiques le sentiment que nous étions divisés. On a dit aussi que la seule riposte efficace était une action contre Cuba. C’est un grave problème, car l’accord Kennedy-Krouchtchev de 1963 est extrêmement équivoque. À l’heure actuelle on ne sait pas ce que Bobby Kennedy a dit aux émissaires soviétiques. Le fait qu’il y ait eu deux alertes, l’une en 1970. l’autre tout récemment, et le fait qu’un Américain comme Jack Henderson prétende qu’il y a effectivement des fusées soviétiques à Cuba, prouve qu’en fait rien n’a été réglé en 1963. Il y a un mythe kennedien, mais envahir Cuba n’est pas une mince affaire. Cela fait partie du programme Reagan ; il affirme aussi qu’il faut rompre avec la Chine communiste et reprendre les relations avec Taïwan. Il faut se rappeler qu’avec l’état d’esprit des Américains à l’époque, avec le souvenir de la baie des Cochons, cette invasion n’était pas possible.
• Il faut déplorer qu’il n’y ait pas eu d’attitude plus ferme en ce qui concerne les Jeux Olympiques. Pendant l’année 1936. Hitler était au pouvoir depuis quelques mois. On vivait à Berlin dans une atmosphère extraordinaire où les Jeux Olympiques se préparaient avec fièvre, et l’on construisait des monuments qui montraient manifestement que l’Allemagne hitlérienne ne pensait qu’à la gloire qu’elle en retirerait. À l’ouverture des Jeux, il y a eu également une atmosphère extraordinaire que tout le monde a ressentie quand Hitler est arrivé en haut de l’estrade, et il fallait se retenir pour ne pas applaudir, quels que fussent les sentiments que l’on pouvait porter à son endroit.
Certes, Léonid Brejnev n’est pas Hitler, mais il est difficile de dire que les Jeux Olympiques de Moscou ne représentent rien quand on sait que les jeunes Français d’aujourd’hui, pour ne pas parler des autres, attachent leur patriotisme au sport. Nous aurions donc dû, de longue date, adopter vis-à-vis de ces Jeux Olympiques une attitude qui aurait été catégoriquement négative. D’ailleurs, en ce qui concerne la conférence de Madrid qui sera le prolongement de l’acte final d’Helsinki, l’Ouest devrait être unanime pour déclarer que nous n’irons pas à cette conférence tant que les Soviétiques n’évacueront pas l’Afghanistan.
• En ce qui concerne les sanctions économiques, on peut évoquer les affaires de blocus. Si nous cherchions à bloquer l’Iran, nous nous apercevrions bien vite qu’en raison des différences qui existent dans les systèmes douaniers et administratifs que possèdent les pays occidentaux, la mesure qui serait appliquée de façon rigoureuse en France, parce qu’en deux heures notre service des douanes peut fermer nos frontières, serait totalement inapplicable en Grande-Bretagne en dépit de la vigueur de Mrs Thatcher. De plus, les réseaux que forment notamment les multinationales sont tels que seul un pays comme le nôtre serait efficace. Ailleurs, les décisions prises seraient tournées. Il en résulte que les mesures économiques manquent manifestement d’efficacité, et il vaut mieux recourir à des mesures militaires qui sont nettes et claires.
• La gamme politique des ripostes que l’on peut imaginer, tant pour l’Iran que pour l’Afghanistan, est soumise à un critère simple : il faut qu’elles soient opérantes. Elles ne le sont guère en ce qui concerne les sanctions économiques contre l’Union soviétique, et les États-Unis eux-mêmes ne les appliquent pas entièrement. Dans les semaines qui les ont précédées, des contrats en matière pétrolière ont été signés entre les deux pays. D’une manière générale ces sanctions économiques ont toujours été un échec, qu’il s’agisse de l’Éthiopie, de l’Espagne de Franco ou plus récemment de la Rhodésie. Ces ripostes sont donc inopérantes alors qu’il existe sans doute, sur le terrain, des possibilités de riposte.
Nous avons pu constater que le président Carter s’est montré dénué de sens de l’action, peut-être parce qu’il a pour l’homme un sens de l’humain que, hélas, tous les hommes d’État n’ont pas. Il serait trop grave de lui reprocher de mener sa politique en fonction d’objectifs électoraux. En ce qui concerne l’Afghanistan, les Européens, de manière générale, n’ont pas suffisamment compris ce que cette action des Soviétiques représentait pour les États-Unis et pour le monde libre en général. Il est trop facile de dire que toutes les comparaisons sont mauvaises, mais on peut se souvenir de l’attitude de la Grande-Bretagne à l’égard de l’Allemagne d’Hitler dans les années qui ont précédé la dernière guerre. 1936 a été l’année de la remilitarisation de la Rhénanie. Les 11 et 12 mars 1938, c’est l’Anschluss. Les 29 et 30 septembre 1938, c’est Munich, faisant suite à un des drames les plus sombres de notre histoire avec le dépècement de la Tchécoslovaquie.
Dans ces différentes circonstances, la Grande-Bretagne n’a rien dit qui put encourager la France. Il a fallu attendre le 15 mars 1939, quand Hitler s’est emparé de la Tchécoslovaquie tout entière, donc de territoires qui n’avaient rien de germanique, pour que les Anglais comprennent. À partir de ce moment-là, la Grande-Bretagne a donné la garantie à la Pologne et à la Roumanie et a précédé la France dans une attitude catégorique vis-à-vis de l’Allemagne.
Au cours de ces dernières années, nous avons remarqué qu’en différentes circonstances, les États-Unis, à tort ou à raison, sont restés muets. C’est d’abord l’affaire hongroise de l’automne 1956, l’érection du mur de Berlin le 13 août 1961, et le 21 août 1968, l’affaire de Tchécoslovaquie. Il n’y a eu de réaction américaine qu’à la fin du mois de décembre 1979, mais l’Europe a moins bien compris cette affaire d’Afghanistan parce qu’elle n’est pas une puissance mondiale au même degré que les États-Unis.
L’action extérieure soviétique et les Cubains
• L’Union soviétique est fondamentalement expansionniste mais d’une façon qu’il est souvent difficile de déterminer. Il y a d’abord l’idéologie marxiste mais aussi la vieille poussée russe définie par le prétendu testament de Pierre Le Grand. L’expérience montre que deux attitudes sont concomitantes : une attitude anticolonialiste et une attitude anticapitaliste. La première est faite pour plaire à certains, la deuxième est plus fondamentale, mais plus complexe et engage plus l’URSS que la première. C’est la raison pour laquelle l’Union soviétique est beaucoup plus engagée en Afghanistan qu’en Égypte ou en Syrie. Sur le plan pratique, ceci détermine la mesure dans laquelle on peut arrêter l’expansion soviétique.
• On a montré le rôle joué par Cuba dans les interventions soviétiques en Afrique. Il ne faut cependant pas l’exagérer en faisant de ce pays la locomotive du train soviétique. Certes, Cuba a joué et joue un rôle déterminant, peut-être à cause du personnage de Castro que l’on peut comparer à Khaddafi. Il est le Khaddafi des Caraïbes. C’est un homme dont le pays n’est pas à la taille de ses ambitions. En fait il a joué contre les Soviétiques. Il a lancé sa politique africaine, du temps de la tension entre Cuba et l’URSS et sans rien demander au Kremlin. Il a entraîné, à Cuba, des guérilleros africains sans l’accord de Moscou. Il a été un facteur d’entraînement parce qu’il a eu des audaces que Moscou, prudent par nature, n’avait pas ou ne pouvait pas avoir. Jusqu’à présent, ses opérations se sont révélées favorables pour l’Union soviétique, sauf l’affaire du Shaba qui a été un échec. La prudence de Moscou a permis d’éviter le heurt direct des Cubains avec des Français, bien que les premiers aient été présents dans les rangs katangais. avec des Est-Allemands.
En fait nous ne connaissons pas le rôle exact de Castro. Il a l’air d’agir et de promouvoir des initiatives que les Soviétiques acceptent. On ne peut pas dire qu’il leur force la main.
L’action de la France
• Une étude menée cette année au sujet des interventions françaises en Afrique est arrivée à plusieurs conclusions.
D’abord il n’est pas question de minimiser l’influence soviétique ni la nécessité pour l’Occident de réagir sous une forme ou sous une autre, mais toutes les crises de cette région résultent de l’effet de quatre séries de facteurs :
– des facteurs internes,
– des séquelles de la décolonisation,
– les actions de puissances régionales,
– les actions de puissances extérieures à l’Afrique.
Les crises que connaît l’Afrique sont en conséquence toujours compliquées et le Tchad en est la meilleure illustration. La France se trouve donc, en général, dans des imbroglios, qu’il s’agisse de la Mauritanie, du Tchad, du Zaïre ou d’autres endroits.
En deuxième lieu, il est apparu qu’en raison de la bipolarisation toute déstabilisation joue au profit de l’Union soviétique. Inversement toute stabilisation est attribuée au camp occidental. La France jouant nécessairement dans un sens de stabilisation, il lui est reproché déjouer au profit de l’Occident, même quand ce n’est pas le cas.
Troisième point, cette action est marquée politiquement (on a traité les Français, même si nous ne sommes pas d’accord, de Cubains de l’Occident) et s’aggrave d’un certain nombre de facteurs. D’abord la coopération militaire française est importante et active, et nos interventions sont également militaires. Une partie de notre action en Afrique se place donc sur le plan militaire, et l’on peut aller jusqu’à se demander si l’essentiel de l’action de présence, du rayonnement français en Afrique ne sera pas, à la limite, strictement militaire. Ceci peut nous marquer sur le plan international, alors que l’Allemagne, le Japon, le Brésil et même les États-Unis mènent une action économique dans les pays d’avenir comme le Nigeria, alors que nous menons une action brouillonne dans les pays pauvres et désertiques.
On peut alors se demander si cette présence militaire ne joue pas à terme contre nous et si, un jour, nous ne serons pas remplacés par un pays comme le Nigeria ou par des pays comme l’Allemagne et le Japon qui auront eu l’intelligence de jouer les bons chevaux en plaçant leurs pions économiques sans se mêler d’affaires militaires inextricables.
• Il ne faudrait pas présenter de manière caricaturale la présence française en Afrique. Le président de la République a parlé un jour de sa préoccupation qui est de tenir le continent africain à l’écart des blocs.
Si on considère que ce dessein est raisonnable, on doit s’interroger sur la manière dont on doit adapter les modes d’action employés au dessein que l’on poursuit. A priori, il n’y a aucun intérêt, pour une puissance comme la France, à exclure un moyen d’action quelconque dans les différentes situations qui peuvent se présenter. En revanche, on doit se demander si les moyens employés sont convenables.
Deux remarques s’imposent alors. En premier lieu il est extraordinairement dangereux, dans une politique à long terme qui est juste dans ses principes, telle que celle qui est menée en Afrique par la France, d’être lié à un régime ou à un homme. C’est à terme condamner cette politique à la péremption, et plus généralement c’est la compromettre. Le deuxième risque est de susciter des réactions aux actions que l’on entreprend, si bien que, sur place, on trouve un camp dressé contre l’autre.
Le problème ne se ramène cependant pas à la simple coloration militaire des choses. Par exemple, le gouvernement français a donné, peut-être involontairement, l’impression d’un soutien unilatéral à la Mauritanie et au Maroc contre l’Algérie. Ceci a suscité une réaction algérienne et nous nous sommes trouvés, dans cette région, devant l’existence de deux camps, en prenant parti pour l’un contre l’autre. Le Président de la République a adopté aujourd’hui un comportement tout à fait différent, mais ceci montre comment on peut compromettre la fin que l’on se propose.
• Il faut insister sur le fait que l’action de la France au point de vue économique n’a pas de caractère ridicule. Bien entendu il y a des actions militaires, mais au Zaïre elles ont été heureuses, et on aurait eu une situation bien pire si nous n’étions pas intervenus. Il est vrai que nous aidons des pays qui sont désertiques, mais qui les soutiendrait économiquement si ce n’étaient pas les Français ?
Problèmes d’organisation et de commandement
• Il y a dans notre constitution une lacune extrêmement grave qui risque de rendre très difficiles des actions extérieures qui sont par nature très rapides, et même le recours à la dissuasion nucléaire. Tout va bien, en effet, tant que le président de la République est à la fois président et chef de la majorité parlementaire. Le Premier ministre est alors ce que M. René Capitant appelait le chef d’état-major du Président. Si le Président et la majorité parlementaire, donc le Premier ministre et le gouvernement, n’ont plus la même orientation politique, le problème de savoir quel est celui qui prend la décision fondamentale n’est pas défini par la constitution. C’est là un problème qui devrait être tranché avec clarté.
• On a parlé de l’opération de Kolwesi qui est du genre de celle d’Entebbé sous une forme différente. En Israël, on a vu une assemblée se décharger sur un comité ayant reçu tout pouvoir. La décision ayant été prise après consultation des militaires, on a chargé un homme de mener l’action. On peut penser que le rôle de la diplomatie vient de changer. Au moment où la bureaucratie s’accroît partout, on voit apparaître la nécessité d’une entente sur place entre le diplomate et le décideur.
• La malheureuse affaire de Tabas a été comparée à celle de la baie des Cochons. Il paraît assez déplaisant de dire que les Américains ont échoué chaque fois qu’ils ont tenté une opération de ce genre. Dans la dernière, on a appris qu’il y avait eu des défaillances de matériel. Il est cependant excessif de rejeter la responsabilité d’échecs successifs sur ce genre de raison. L’on est en droit de se demander si la force américaine ne souffre pas de faiblesses d’organisation et de commandement. L’échec de l’opération en Iran est peut-être dû autant à des défauts de structures ou de méthodes qu’à des insuffisances du matériel. Il est probablement dangereux, dans des opérations aussi ponctuelles, d’engager de très hautes autorités qui finissent par paralyser le commandement exercé sur place.
• Dans l’affaire de la baie des Cochons, il y a eu manifestement faute de commandement, puisque toutes les munitions avaient été embarquées sur un seul navire qui a été coulé. Les Américains ont, de plus, négligé les quatre avions d’entraînement T-33 cubains. Pour Tabas, il est très surprenant que les hélicoptères qui ont participé à cette opération aient manifesté de telles défaillances. Avec un matériel aussi peu fiable, il vaut mieux tout arrêter.
• Pour l’affaire de Tabas, l’idée maîtresse était de ramener le maximum d’otages, alors que ceux-ci étaient placés dans un endroit tel qu’il était impossible d’éviter un affrontement à un moment ou à un autre.
L’ensemble de l’opération reposait sur un relais, c’est-à-dire d’un endroit où seraient rassemblés les moyens qui serviraient à faire l’opération sur l’ambassade américaine, avec l’appui de complicités locales. Ce système conditionnait l’importance des transports nécessaires pour ramener l’ensemble des participants, ceux venant du relais, ceux sur place, et les otages. À un moment donné, on a constaté que le nombre des hélicoptères disponibles n’était plus suffisant. On a alors envisagé de contrôler l’aéroport de Téhéran, ce qui supposait des affrontements qui auraient rendu très difficile le reste de l’opération.
Il ne faut pas oublier que les Américains avaient gardé un fort mauvais souvenir du comportement des aviateurs iraniens aux moments décisifs de la révolution, en janvier et février 1979. Étant donné les conditions dans lesquelles se trouvaient les otages, les problèmes pratiques posés pour leur récupération, la nature même de l’opération la rendait très difficile, et il n’est pas surprenant que les Américains n’aient pas réussi. D’ailleurs s’ils avaient pu aller jusqu’à Téhéran, il n’est pas sûr qu’ils n’auraient pas également essuyé un échec.
• Le problème qui nous est posé est de nature un peu différente. Il a été expliqué que, dans des opérations ponctuelles, les responsabilités montaient très vite à l’échelon le plus élevé de la hiérarchie. Dans l’opération de Tabas, on peut se demander s’il n’y a pas eu une paralysie provoquée par ce phénomène, parce que les exécutants prennent l’habitude de demander à tout moment des instructions détaillées. L’échec de ce genre d’opération proviendrait alors des méthodes de commandement.
• On peut apporter un témoignage dans cet ordre d’idées. Dans l’affaire du Mayagez, ce cargo dérouté par les Cambodgiens et que ceux-ci avaient fait mouiller devant Sihanoukville juste après l’évacuation du Vietnam par les Américains, ces derniers ont monté une opération de commando pour récupérer le bâtiment. Un témoin qui a vécu le déroulement de l’opération aux côtés du secrétaire à la Défense a été très frappé par le fait que l’organisation actuelle des télécommunications aux États-Unis a eu pour conséquence que cette opération a été commandée à distance, les décisions d’ordre tactique étant prises du Pentagone, par le secrétaire à la Défense. On a cité le cas d’un pilote sur les lieux de l’action qui a demandé au secrétaire à la Défense l’autorisation de tirer sur des embarcations qui se détachaient de la côte. Dans les opérations menées par les Français, nous ne disposons pas de moyens techniques aussi poussés, comme des satellites de communications. Même si nous en disposions, il faudrait farouchement résister à la tentation de télécommander, dans le détail, l’opération à partir de Paris. Il faut laisser l’exécutant mener son action. S’il y a des implications politiques, une fois la décision prise, on y va ou on n’y va pas.
L’Islam en Afrique
• L’Afrique occidentale, au niveau de ses dirigeants, paraît être un môle de conservatisme. Elle est cependant le théâtre de mouvements socio-politiques importants avec la montée des jeunes et les progrès de l’Islam. On voit apparaître une formulation musulmane dans des pays qui, il n’y a pas si longtemps, n’étaient pas totalement islamisés. On peut se demander ce qui se passera dans une dizaine d’années lorsque les jeunes théologiens et juristes, venus de La Mecque ou d’ailleurs occuperont les mosquées et les ministères.
• La montée de l’Islam sur le continent africain est évidente, notamment en Afrique occidentale. Si l’on adopte le type d’analyse que ferait un marxiste même français, on recherche les contradictions internes qui peuvent apparaître dans cette situation, sur le plan social et politique. Il n’en est pas de plus magnifique qu’une lutte religieuse, et c’est ce qui se passe avec la montée de l’Islam, face à l’animisme et au catholicisme. Il n’y a même rien à faire, qu’à laisser ces contradictions aux prises les unes avec les autres, et on obtient alors le problème tchadien. À la limite on obtiendra, comme au Tchad, le départ des Occidentaux. Il suffira d’attendre ce départ et on pourra peut-être, à ce moment-là faire intervenir des Cubains.
En fonction de ces luttes internes, on introduit alors un parti communiste qui, un jour, deviendra le parti unique. On ne peut donc pas penser que la montée de l’Islam soit un frein possible à l’expansionnisme soviétique.
On doit, au contraire, penser qu’il le facilite. L’Union soviétique cependant, qui est très attachée à l’histoire, ne se lance jamais dans une aventure sans l’avoir auparavant vérifiée par une étude historique constituant une sorte de travaux pratiques. Il est donc peu probable qu’elle favorise le développement de l’Islam en Afrique.
Le pétrole et le Golfe
• Si nous étions un des pays concernés par les gesticulations militaires, on serait tenté de maintenir l’équilibre dans la région en bloquant la situation. Politiquement, ce blocage serait-il très tenable, au cours des années qui viennent, pour les pays du Golfe ? La politique de diversification menée actuellement par la France, grâce aux voyages du Président dans le Golfe ou en Inde, constitue un facteur positif, car on peut penser éviter ainsi le gel d’une situation qui pourrait basculer d’un seul coup dans un sens défavorable pour nous. La question fondamentale n’en demeure pas moins : comment peut-on éviter que des zones, jugées d’intérêt vital pour les États-Unis, ne deviennent un enjeu stratégique majeur, et que la faiblesse d’un des deux partenaires n’aboutisse à une catastrophe ?
• Un problème majeur se pose pour le pétrole de la région du Golfe persique. Si ce pétrole est gravement mis en cause, faudra-t-il intervenir et comment ? Si les États-Unis interviennent, la France devra-t-elle en faire autant ?
Cette question avait été posée à M. Joseph Nyle quand il a quitté ses fonctions de sous-secrétaire à l’Énergie au département d’État, en prenant pour exemple l’Arabie Saoudite. M. Nyle avait d’abord répondu que la stabilité de ce pays ne pouvait être mise en doute, mais deux mois après survenait l’affaire de La Mecque. M. Nyle avait ensuite déclaré : « Oui, nous pourrions employer la force, mais seulement pour la montrer, en « background » de notre volonté politique, ou pour venir au secours du pouvoir légitime s’il était débordé à l’intérieur par des mouvements soutenus de l’étranger ». On retrouve donc ici l’idée que l’on doit réagir en cas d’action exercée par une force extérieure. M. Carter a encore répété récemment : « Nous interviendrons dans le Golfe si une force extérieure y fait peser une menace ». On peut alors se demander s’il faut intervenir dans le cas où l’Arabie saoudite viendrait à disparaître de la liste de nos fournisseurs de pétrole sans qu’il y ait eu pression d’une nation étrangère ; et dans le cas où l’on répondrait affirmativement, devrait-on envisager le passage par le niveau nucléaire tactique avant de passer à la gesticulation au niveau stratégique ?
• Les événements actuels montrent que l’on ne peut pas concevoir de solution militaire dans cette région. On ne peut d’ailleurs envisager de solution diplomatique pure, trente années d’histoire diplomatique le démontrent. Quand ils se trouvaient dans une situation de ce genre, nos anciens étudiaient le terrain, c’est-à-dire qu’ils examinaient tous ses facteurs, avant d’envisager une opération. Quand il s’agit d’un problème vital pour un État, il faut recourir à des méthodes de ce genre qui ne laissent de côté aucun aspect.
• La question posée au sujet du Golfe est de caractère purement politique et appelle une réponse politique, bien qu’elle implique un choix d’ordre idéologique, voire d’ordre moral. Il faut se demander ce qu’est en réalité la stabilité. Il n’y a en fait, aucune espèce de chance pour que, durant la période à venir, un seul des régimes politiques qui existent actuellement au Proche-Orient puisse survivre. Ces régimes peuvent vivre plus ou moins longtemps, mais l’ébranlement social provoqué par le développement économique, par les contacts avec l’extérieur ou provoqués par la montée du phénomène révolutionnaire ne laisse aucune chance à ces régimes de jouir d’une stabilité durable. Un jour viendra où un de ces pays sera le siège de changements politiques majeurs, et il faut savoir ce que l’on fera dans ce cas.
À Washington, on considère que les intérêts des États-Unis sont liés à l’ordre établi et que tout ébranlement de celui-ci est une menace. Il en est ainsi de la chute du Shah en Iran. Déjà, en 1953, les États-Unis avaient vu la poursuite de l’expérience Mossadegh comme une menace à leurs intérêts, et nous pouvons mesurer aujourd’hui la signification des décisions qu’ils avaient prises à cette époque. Une menace de déstabilisation dans les pays du Golfe inciterait donc les États-Unis à intervenir, mais ce n’est en aucun cas l’intérêt des pays d’Europe de se lier dans cette région à des régimes établis, en raison de leur instabilité et parce qu’une identification de nos intérêts avec ces régimes aboutit à dresser contre nous tout ou partie des populations concernées, à nous insérer dans leurs systèmes de conflits que nous ne maîtrisons pas et dont nous ne connaissons pas les pulsions. Ce n’est donc pas l’intérêt de la France de s’identifier à ces régimes, et d’engager son avenir sur leur maintien. La France n’aurait pas dû suivre la politique américaine en Iran ni suivre les initiatives éventuelles des États-Unis dans cette région.
• Si le pétrole d’Arabie venait à manquer, ce serait une catastrophe pour le monde occidental sur le plan économique. Faudrait-il alors aller le chercher ?
• La réponse est non, il ne faudrait pas bouger. Les conditions dans lesquelles s’effectuerait la déstabilisation nous empêcheraient de le faire, parce que nous sommes liés par des idéaux que nous souhaitons respecter.
Si, par exemple, le Sud-Yemen lançait une guerre purificative vers le Nord pour chasser « ces princes corrompus, occidentalisés, américanisés », et établir un nouveau régime politique en soutenant un mouvement venu de l’intérieur, il ne manquerait pas de voix aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, partout dans le monde, pour dire qu’il s’agit d’une guerre sainte à laquelle il n’est pas question de se mêler. Les dirigeants du soulèvement interne s’empresseraient d’assurer au monde occidental qu’il continuerait à être approvisionné normalement, quitte, plus tard, sous la pression soviétique, à réduire le taux d’extraction ou à faire monter les prix, pour des raisons nationales que nous serions obligés d’admettre. Cette action par degrés serait subie par tout le monde dans les démocraties.
• L’Europe achète actuellement dans le Golfe une grande partie de son pétrole et le paie très cher, ainsi que son transport ; on ne peut négliger les menaces qui pèsent sur cet approvisionnement, et on a évoqué ce problème à Strasbourg. On pourrait en effet créer une agence européenne de sécurité de l’énergie qui aurait pour but de matérialiser une présence aux alentours du Golfe par un navire qui pourrait être successivement allemand, français, italien ou grec, pour bien montrer que l’Europe s’intéresse particulièrement à cette ligne de sécurité de l’énergie. Actuellement la présence militaire dans le Golfe est américaine et soviétique. Une présence militaire européenne symbolique aux alentours du détroit d’Ormuz ne serait pas simplement une gesticulation militaire mais contribuerait à la stabilité de la région.
• Si les pays européens considèrent que leur sécurité, leur développement et leur niveau de vie impliquent la maîtrise des matières premières essentielles, s’il faut employer la force et se maintenir coûte que coûte, cela s’appelle le maintien des empires coloniaux. Si la période coloniale est révolue, l’on ne doit pas essayer de récupérer de la main gauche ce qu’on a lâché de la droite. Il y a eu un choix qui a été fait, et ce choix implique, entre pays industriels et pays producteurs de matières premières, des relations d’un type nouveau qui reposent sur des accords et procèdent donc de l’intérêt mutuel. Si, pour une raison ou pour une autre, on ne trouve plus de terrain d’entente, il faut avoir le courage de dire que le recours à la force est nécessaire pour reprendre les territoires producteurs. Si le choix de la France demeure ce qu’il a été au début des années 1960, cela implique l’établissement de rapports d’un type nouveau. Ce sera à la génération suivante de décider de la nature de ces rapports ou de revenir en arrière par rapport aux vingt années qui viennent de s’écouler.
Il est évident que. si nos approvisionnements en pétrole sont coupés, il faudra bien intervenir parce qu’il n’y aura pas d’autre solution et que le monde occidental courrait à sa perte. L’Union soviétique se trouvera inévitablement impliquée, et cette intervention n’évitera la conflagration que si elle n’accule pas l’URSS à la guerre. Les Occidentaux, et notamment les Américains, ont eu mille fois le temps d’arrêter les Soviétiques après avoir perçu leurs messages, mais il fallait le faire entre août et décembre 1978, après le renversement de Daoud. Les Soviétiques ont patiemment attendu six mois que l’Occident accepte le renversement, qu’ils n’ont peut-être pas machiné, mais qui a peut-être été provoqué par les deux partis communistes afghans. Ils ont ensuite signé un pacte d’assistance mutuelle du type qui lie Moscou à ses alliés du Pacte de Varsovie. Si nous devions intervenir dans un Nord-Yémen déstabilisé par le Sud. on pourrait mener l’affaire sur le plan politique, à condition de bien prévenir Moscou immédiatement après la déstabilisation et d’intervenir immédiatement, avant que Moscou n’en soit à défendre le nouveau régime qui se serait installé au Nord-Yémen. C’est à trop attendre, vraisemblablement par faiblesse, que l’on échoue.
Vue de Moscou, une sanction utilisant les Jeux Olympiques ne pouvait que faire apparaître la division des Occidentaux, qui était inévitable dans un boycott de ce genre. Aucune sanction économique n’a jamais réussi, et il n’y a aucune raison pour qu’elles aient un effet contre l’Union soviétique. Les stratèges et les politiques du Kremlin sont des marxistes-léninistes. Ils tiennent leur analyse pour le résultat d’une science. L’histoire constitue pour eux des travaux pratiques, et jamais il n’y a eu d’action soviétique qui n’ait eu un précédent historique ; interrogeons l’histoire et nous aboutirons à des résultats semblables aux leurs.
Une déstabilisation dans le Golfe est tout à fait possible à arrêter, à condition de s’y prendre à temps. La main de Moscou n’est pas partout. Il est bien certain que ces régimes sont instables par nature et qu’ils ne peuvent pas durer éternellement, même si Moscou ne s’en mêle pas. Nous pourrions peut-être, en Occident, essayer de les faire évoluer pour qu’ils deviennent viables, avant qu’une explosion ne survienne, et dont Moscou se servirait inévitablement. La France, dans cette région, ne donne pas l’impression de s’aligner sur les régimes des différents États de la péninsule. Jamais la position française n’a eu l’apparence du soutien d’un régime intérieur. Ce n’est malheureusement pas non plus notre puissance économique qui nous a donné l’excellente position politique que l’on connaît. C’est uniquement notre attitude équilibrée dans l’affaire palestinienne.
Il est regrettable que les services de renseignement étrangers n’aient pas mieux informé le gouvernement saoudien de ce qui se tramait à La Mecque. Il est en effet invraisemblable qu’une opération, ayant nécessité pendant des semaines des transports de munitions dans les sous-sols de la mosquée, l’installation d’une antenne chirurgicale, la mise en cause de 50 % de Saoudiens et 50 % d’étrangers dont des Koweïtiens, des Égyptiens et même des Marocains, une opération qui a donc utilisé d’importantes complicités, n’ait pu être décelée ou que la CIA locale n’ait pas voulu en informer le gouvernement.
En 1969, on avait projeté d’enlever le roi Fayçal, et cette tentative avait été étouffée dans l’œuf par la CIA. Il est de l’intérêt de l’Occident de soutenir Ryad, même s’il n’y a ni syndicats ni élections, et même si la grève est interdite. L’Arabie rend d’énormes services à l’Occident, non pas tellement à cause du pétrole, ni même en plaçant ses pétro-dollars dans le monde occidental, mais par l’emploi politique qu’elle fait de ses pétro-dollars, au nom de la défense d’intérêts qui sont ceux de l’Occident. Il y va donc de l’intérêt des pays occidentaux d’aider l’Arabie saoudite à se protéger contre toute déstabilisation intérieure, ce qui est pour elle le plus grave péril qu’elle court actuellement du fait de ses structures. ♦