On se souvient de l'émotion suscitée par la publication en octobre 1970 d'un Livre blanc japonais sur la défense qui semblait admettre l'éventualité de la possession d'un armement nucléaire purement défensif. Faut-il donc craindre que le Japon, déjà parvenu au rang de troisième puissance économique du monde, ne soit à nouveau tenté par l'aventure militaire ? Jeune officier de Marine ayant séjourné récemment pendant plus d'un an au Japon, l'auteur apporte ici des éléments de réponse à cette question. Il retrace d'abord les origines historiques du militarisme japonais et les sentiments du peuple aujourd'hui à son égard, puis décrit l'organisation actuelle de la défense et la situe dans la perspective de la politique extérieure du Japon entre les trois grandes puissances nucléaires riveraines du Pacifique.
Le Japon et son armée
Le voyage en Chine de M. Tanaka a été accueilli dans le monde entier comme le début d’une ère nouvelle pour l’Asie. L’interminable conflit qui séparait, depuis 1894, la Chine et le Japon et dans lequel l’armée japonaise avait eu un rôle déterminant, s’achevait par la réconciliation du géant politique, doté de l’arme nucléaire, mais sans véritable poids économique, et du troisième Grand industriel, sans rayonnement diplomatique ni ambition militaire. À Pékin les accusations portées depuis plusieurs années contre le « militarisme japonais » cessèrent subitement tandis qu’elles s’amplifiaient à Moscou. Ce phénomène donne peut-être au voyage de M. Tanaka une signification plus profonde que celle d’une simple réconciliation : deux États, de civilisation ancienne et brillante, qui avaient dû, au siècle dernier, en raison de la supériorité technique de l’Occident, abandonner à d’autres le destin de l’Asie et supporter chez eux des atteintes à leur souveraineté, se retrouvaient pour, à l’avenir, s’opposer aux ingérences étrangères dans cette zone.
Avant d’essayer de mesurer les conséquences de cet événement capital pour la répartition des forces en Asie, il convient de se référer à un passé encore proche où l’armée japonaise joua un rôle de premier plan. On comprendra mieux alors les réticences très vives à l’égard des forces d’auto-défense qui se manifestent dans certains secteurs de l’opinion, et les raisons qui incitent le peuple japonais dans son immense majorité à souhaiter voir l’effort militaire maintenu, lors des années à venir, à un niveau aussi modeste que possible.
Deux chocs
Toute approche de la réalité japonaise exige que soient d’abord précisées un certain nombre de données sociales qui constituent encore actuellement le « particularisme nippon ». Sensible, irrationnel, tourné vers l’éphémère et le végétal, le Japonais, entouré par une nature souvent hostile, a éprouvé très tôt le besoin de compenser ses incertitudes individuelles par une organisation sociale très structurée. Société homogène, insulaire, hiérarchisée, dont la cohésion a été renforcée par plusieurs siècles « d’insularité politique », la société japonaise a su équilibrer le sentiment d’écrasement et d’étouffement qui aurait pu, à la longue, disloquer cette unité sociale, par la recherche à tous les niveaux d’une certaine unanimité lors de la prise des décisions. Le noyau japonais, profondément conscient de sa solidarité, a traversé en l’espace d’un siècle de profondes transformations politiques, sociales, économiques, mais un certain nombre de valeurs humaines ne paraissent pas avoir été entamées par les bouleversements qui ont secoué le Japon au cours de l’ère Showa.
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