Défense à travers la presse
La crise polonaise, en se prolongeant, a placé en ce début d’année 1982 les opinions publiques occidentales face au sentiment d’un danger. Mais on aura pu constater que l’expression de ce sentiment varie, non seulement selon les pays mais encore en fonction des attaches idéologiques ou des engagements politiques. En réalité, l’événement est perçu de manière très diffuse et, malgré les craintes exprimées ici ou là, nul ne croit vraiment que soit venue l’heure de vérité. Sans doute est-ce pour cela que les prises de position diffèrent au lieu que s’établisse la cohésion.
Pour certains, l’Alliance atlantique s’effrite, à cause de la tendance de l’Allemagne au neutralisme, précisent quelques-uns, tous restant cependant soucieux de sauvegarder ce qui reste de la détente à tel point que, généralement, les accords économiques passés avec l’Union soviétique ne soulèvent aucune protestation de principe, d’aucuns mettant simplement en avant le risque ainsi couru d’une plus grande dépendance vis-à-vis de l’étranger, voire de l’adversaire potentiel. C’est dire que nos confrères ont, à maintes reprises, eu l’occasion de commenter la situation en Europe, se plaisant, au passage, à faire quelques remarques sur l’incapacité de l’Occident à riposter efficacement, sans toutefois aller plus avant dans l’analyse. Des hebdomadaires ont jugé le moment venu de décrire les conditions d’une guerre qui leur semblait imminente ou tout au moins inéluctable. L’imagination n’est-elle pas le meilleur aliment de la peur ? Pour sa part, Le Monde du 17 janvier 1981 a confié à Jacques Isnard le soin de présenter les forces en présence dans ce face-à-face militaire. Un article enrichi de tableaux énumérant les potentiels naval, terrestre, aérien et nucléaire des pays du Pacte de Varsovie comme de l’Alliance atlantique. Dans son analyse, Jacques Isnard insiste tout d’abord sur les difficultés que présente une estimation exacte de l’efficacité de ces arsenaux. C’est donc avec prudence que notre confrère élabore son commentaire.
« D’où viennent cette inquiétude diffuse en Occident et, parfois, ce jugement alarmiste des autorités devant le surarmement soviétique en Europe ? Cette impression est née de la conjonction d’au moins trois phénomènes d’ordre technico-politique, qui ont déjà ou vont avoir leur traduction militaire : le sentiment de nombreux Européens que la protection nucléaire des États-Unis n’est plus aussi assurée ou aussi efficace que par le passé ; la perte graduelle, par les Occidentaux, de ce qu’ils croyaient être leur suprématie technologique, aujourd’hui battue en brèche par les progrès de l’armement soviétique ; la constatation que les Soviétiques ont conçu, depuis plusieurs années, une planification rigoureuse qu’ils ont cherchée avec obstination à exécuter malgré leurs difficultés économiques, et qui arrive désormais à maturité avec la production en série de matériels modernes concurrentiels. On laissera de côté l’opinion, de plus en plus répandue à tort ou à raison en Europe, selon laquelle le bouclier américain a perdu de sa crédibilité. La véracité d’un tel jugement ne peut être discutée… Ce qui paraît moins contestable est l’opiniâtreté avec laquelle les Soviétiques ont construit, année après année, un arsenal dépassant leurs seuls besoins stricts de défense du territoire national, et leur persévérance à vouloir rattraper la technologie occidentale… Supériorité numérique, recherche de la parité dans la qualité des armes : l’effort de défense à l’Est prend à contre-pied une évolution à l’Ouest caractérisée, ces dernières années, par une sophistication croissante, quasi intellectuelle, de la doctrine militaire, qui a retardé le lancement de nouveaux armements… Insensiblement, à la non-guerre de la dissuasion se substitue la possibilité d’engager un conflit nucléaire en Europe. »
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