Défense en France - Le nouveau décret sur les attributions des chefs d'état-major - Le Centre de prospective et d'évaluation se transforme en Groupe permanent d'études stratégiques
Le nouveau décret sur les attributions des chefs d’état-major
Les conditions dans lesquelles le Chef d’état-major des armées (Cema) pouvait se voir nommé chef d’état-major général des armées et les attributions qui devenaient alors les siennes avaient fait l’objet d’un décret en 1971 (Décret n° 71-992 du 10 décembre 1971, relatif au commandement des opérations dans les circonstances prévues aux articles 2 et 6 de l’ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense). Un autre décret paru en 1975 et modifié en 1979 (Décret n° 75-144 du 10 mars 1975), fixant les attributions des chefs d’états-majors en temps de paix (modifié par décret n° 79-117 du 6 février 1979) avait fixé les attributions pour le temps de paix des chefs d’état-major et défini le rôle du comité des chefs d’état-major et des conseils supérieurs. La synthèse et l’actualisation de ces divers textes s’imposaient. Elles viennent d’être réalisées par le décret n° 82-138 paru au journal officiel du 9 février 1982. Sans vouloir nous livrer à une exégèse comparée, il est possible de dégager les changements que révèle sa lecture.
Le nouveau décret fait disparaître une anomalie, à savoir celle qui résultait du fait que le Cema n’avait pas le pouvoir – à s’en tenir du moins à la lettre du décret de 1971 – de conduire des opérations militaires tant qu’il n’était pas nommé Chef d’état-major général des armées, et que c’était alors seulement qu’il relevait de l’autorité directe du Président de la République et devenait conseiller militaire du gouvernement. Auparavant (article 1 du décret de 1971), il assistait seulement le ministre dans l’emploi des forces. D’autre part, les articles 2 et 6 de l’ordonnance de 1959, auxquels se référait le décret de 1971, visaient essentiellement des opérations concernant la sécurité et l’intégrité du territoire faisant suite, ou accompagnant des mesures telles que la mobilisation générale, la mise en garde ou des mesures de réquisition et de contrôle. Or, on sait que sous le précédent septennat, le Cema, issu de l’état-major du président de la République, est resté en fait à ses ordres directs en bien des circonstances, notamment pour la conduite d’opérations en Afrique, qui n’avaient rien de commun avec les articles 2 et 6 de l’ordonnance de 1959 et que certains partis avaient alors vivement critiquées…
Le nouveau décret lève cette difficulté formelle, puisqu’il déclare (article 14) que « sous l’autorité du président de la République, le Cema, ou (c’est nous qui soulignons) le Chef d’état-major général des armées s’il est nommé, assure le commandement des opérations militaires… ». Le reste du texte reprend les termes des articles 2 et 3 de l’ancien décret de 1971 en y ajoutant toutefois que le Cema est consulté sur les orientations stratégiques résultant de la politique de défense du Gouvernement. Mais en fait ceci était déjà implicite, puisque le décret de 1975 modifié en 1979 stipulait, dans sa partie consacrée au comité des chefs d’état-major, que cet organisme était consulté sur lesdites orientations. Or, aux termes de l’article 6 du décret de 1975, le Cema était vice-président du comité des chefs d’état-major et il pouvait suppléer le ministre pour la présidence du comité, en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé. Ce titre de vice-président ne figure plus dans le décret de 1982 : le Cema a toujours la possibilité de réunir les chefs d’état-major pour les consulter sur les affaires de son ressort ou sur celles dont le ministre lui a confié l’étude, mais alors ce n’est plus le comité des chefs d’état-major, qui est seulement constitué sous la présidence du ministre (article 1 du décret 82-138). Il ne s’agit donc pas là d’une extension des pouvoirs du Cema, comme l’ont écrit certains quotidiens.
De même, en ce qui concerne la préparation du budget, le Cema voit ses attributions réaménagées. Il élabore comme par le passé les éléments du budget concernant ses services et ses attributions et il est responsable des crédits correspondants et des résultats obtenus (responsabilité nouvelle certes, mais qui était déjà implicite, puisque l’article 15 du décret de 1975 spécifiait que les chefs d’état-major de chaque armée étaient responsables de l’emploi de leurs crédits, il était logique qu’il en fût de même pour le Cema). Mais il ne reçoit plus comme par le passé les propositions (c’est nous qui soulignons ce terme, qui figurait aux articles 5 et 16 du décret de 1975 et qui a été rayé) des chefs d’état-major de chaque armée. « Il est tenu informé par le Secrétaire général pour l’administration des travaux conduits au sein du ministère pour la préparation du budget, ainsi qu’en cours d’exécution de celui-ci, lorsque la disponibilité ou l’emploi des forces sont affectés de façon substantielle. Il exprime au ministre son avis sur les priorités à satisfaire au regard des missions consignées aux forces ». Ce texte, plus nuancé que l’ancien, redonne une certaine souplesse aux chefs d’état-major des trois armées en même temps qu’il allège la procédure d’élaboration du budget.
Pour ce qui est de l’élaboration des plans d’emploi des forces, où son rôle est prééminent, les attributions du chef d’état-major demeurent inchangées. En ce qui concerne le domaine connexe de la programmation, c’est-à-dire de l’élaboration des programmes d’armement dont l’ensemble fait l’objet d’une loi pour cinq ans, ses pouvoirs sont précisés dans le sens d’une codification de la pratique actuelle. Ainsi, il rassemble les propositions du délégué général pour l’armement, des chefs d’état-major de chaque armée et des directeurs des services interarmées (c’est-à-dire Essences et Santé) : il est tenu informé par ces ‘ mêmes autorités du déroulement des programmes en cours, et c’est lui, en outre, qui propose, après consultation des chefs d’état-major d’armée concernés, les caractéristiques militaires des armements nucléaires et spatiaux.
Accroissement officialisé des pouvoirs du Cema à certains égards et restriction à certains autres, le décret de 1982 actualise en fait et assouplit une pratique. Ce texte va dans le sens de la continuité en ce sens qu’il fait du Cema l’artisan des plans d’emploi des forces et des plans d’équipement, tandis qu’il redonne aux autres chefs d’état-major une certaine souplesse dans la gestion annuelle.
Le centre de prospective et d’évaluation se transforme en groupe permanent d’études stratégiques
La presse quotidienne (Le Monde, 17 et 18 février 1982) a fait état récemment de la création d’un Groupe permanent d’études stratégiques appelé à succéder au Centre de prospective et d’évaluation que dirigeait jusqu’ici l’ingénieur en chef de l’armement Paul-Ivan de Saint-Germain. Le nouvel organisme aura pour directeur un autre polytechnicien du même corps, l’ingénieur en chef Michel Delay, qui était jusqu’ici en service à la Direction technique des engins (DTEn) où il est un spécialiste de la propulsion et de la balistique.
Il ne semble pas que la nouvelle dénomination de l’organisme de prospective de la défense signifie un changement fondamental de sa mission, qui reste celle de la recherche de nouveaux moyens et procédés de la défense et l’évaluation de leur coût/efficacité, encore qu’on puisse s’interroger sur les raisons qui ont conduit à changer son titre. Celui-ci laisse à penser qu’il pourrait s’agir des prémisses d’un rééquilibrage des études stratégiques, au sens large du terme (c’est-à-dire ensemble de stratégies, dont la stratégie militaire), destiné à donner au ministre un organe de réflexion et de décision pour la planification à long terme, qui verrait croître son importance tandis que le Cema resterait responsable de l’emploi, une fois les options stratégiques arrêtées par le gouvernement, et de la programmation à échéance de cinq ans. ♦