Défense à travers la presse
Étrange affaire que celle des Malouines (Falkland). Un analyste du jeu d’échecs expliquerait que la Dame ne disposant que d’un champ d’action restreint (échiquier ou Accords de Nassau) éprouve le besoin de manifester sa propre indépendance en affichant une détermination incomparable : Ludimus effigiem belli. Deux puissances moyennes prouvent ainsi combien il peut être difficile à l’un des Grands de maîtriser leurs soubresauts. Pour Alexander Haig (secrétaire d’État des États-Unis), cette affaire est avant tout un gâchis diplomatique lourd de conséquences. Après avoir jeté sur l’événement un regard plutôt amusé, la presse, devant la gravité des combats, a finalement dû en prendre l’exacte mesure.
Dans ses éditoriaux aux habiles détours, Yves Moreau nous a expliqué dans L’Humanité qu’il ne fallait pas confondre le peuple argentin et son gouvernement, et qu’en la circonstance « la droite française » a bien tort d’applaudir à l’escalade. Il faut tenir compte de la « volonté des opprimés eux-mêmes. Or celle-ci est évidente » : nous voulons tous les Malouines, comme l’a déclaré le Prix Nobel de la paix Emesto Sabato. Et Yves Moreau de conclure, le 4 mai : « M. Reagan, à qui le régime de Buenos Aires convenait parfaitement, a sacrifié son allié argentin. Ne peut-on souhaiter raisonnablement qu’en Argentine même il en résulte des changements salutaires ? Et en outre, l’isolement sans précédent, dans lequel les États-Unis viennent de se condamner à l’Organisation des États américains, n’est-il pas prometteur pour l’émancipation de dizaines de pays traités jusqu’ici comme la chasse gardée de Washington ? Mme Thatcher, par son agressivité, et M. Reagan, par sa complicité à son égard, n’ont-ils pas joué aux apprentis sorciers ? »
Dans Le Quotidien de Paris du 3 mai, Pierre Beylau critique, lui aussi, ce qu’il appelle le choix risqué des États-Unis. Certes, observe-t-il, Washington a choisi son camp et, entre deux priorités, c’est le Vieux Continent qui l’a emporté, mais avec quelles conséquences ? : « La majorité des États latino-américains se déclarent solidaires de Buenos Aires, à l’exception du Chili qui se cantonne dans une prudence dissimulant mal ses sympathies pour Londres. Déjà, le Venezuela réclame une réorientation du système d’accords interaméricains dans le sens d’une défense accrue des intérêts du sous-continent. Via ses alliés cubains, l’URSS profite de la situation pour pousser ses pions dans la région en se rangeant délibérément dans le camp de l’Argentine, il est vrai partenaire économique important de Moscou malgré son régime résolument anticommuniste. L’affaire des Malouines risque fort d’alimenter un sentiment antiaméricain traditionnellement vivace en Amérique latine… Par ses conséquences militaires et ses dimensions internationales, l’affaire des Malouines est donc devenue une crise de première importance. »
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