Conclusion
J’ai été extrêmement sensible à ce qui a été dit tout à l’heure au sujet de ce que j’appellerai l’équivoque ou la dualité de l’information, l’ambivalence si vous préférez. Le thème de l’ambivalence est souvent développé depuis quelque temps, à cause du caractère meurtrier et du caractère bénéfique de l’énergie atomique.
Et nous retrouvons ici ce problème de l’ambivalence. Nous agissons comme si nous nous efforcions de le résoudre de la manière suivante : nous cherchons à sensibiliser les parlementaires et les maires des grandes villes et nous y réussissons, je dois le dire, fort bien. Toutes les formations politiques nous répondent favorablement et dans nos discussions internes il est impossible de distinguer un vice-président socialiste d’un président RPR ou UDF parmi les parlementaires qui sont réunis. Or cela n’arrive pas si souvent. En revanche, un parti politique a pris globalement position contre la défense civile, parce qu’il la juge assez curieusement incompatible avec le concept de la défense tous azimuts. Il y voit une manifestation de ce qu’il appelle l’unilatéralisme, c’est-à-dire d’une thèse nouvelle qui aurait été substituée à la thèse, d’ailleurs très arbitrairement résumée du général Ailleret, c’est le Parti communiste. Je le dis en passant et je me garderai d’en tirer des conclusions.
Lorsque nous aurons réussi à sensibiliser les maires des grandes villes et les parlementaires, c’est-à-dire un certain nombre de personnalités représentatives, nous espérons obtenir l’amorce de l’application d’un plan. Je ne dis pas l’amorce d’un plan, mais l’amorce de son application, avec des modalités de financement le plus économique possible et que nous nous efforçons de mettre au point. À ce moment-là il me semble qu’il est parfaitement possible de sensibiliser l’opinion publique en lui disant : vos élus, vos représentants, ont choisi ce moment, où l’hypothèse d’une guerre totale n’apparaît pas plus plausible, au contraire, pour globaliser le concept de défense. Il a été fait allusion à Chou-en-Laï, j’ai passé au mois de juillet 1972 une nuit entière à discuter avec Mao Tsé Toung. Les situations ne sont pas exactement comparables bien entendu puisqu’à ce moment-là, la Chine n’avait guère de moyens atomiques, d’une part, et que d’autre part toute sa politique reposait sur la sensibilisation d’un peuple immense à une menace soviétique. Mais j’ai été extrêmement frappé par cette phrase textuelle de Mao Tsé Toung : « il n’y a pas de défense militaire, il n’y a pas de défense civile, il ne peut y avoir qu’une défense globale dans laquelle chacun connaît la mission qui lui sera assignée ». C’est une formule simpliste, à la manière maoïste, mais qui me paraît assez significative. Je remarque d’ailleurs que la revue trimestrielle de Recherches et d’Études stratégiques, publiée par la Fondation pour les études de défense nationale (FEDN), après avoir organisé un important colloque nous a proposé cette conclusion générale : même si les pays démocratiques ne doivent en aucun cas imiter les puissances totalitaires, il leur est indispensable, ne serait-ce que pour assurer leur survie, de comprendre la nature exacte de la stratégie totale. Dans cet ordre d’idée, utiliser l’expression « protection civile », ce qui est le cas pour la majeure partie des pays démocratiques, est une erreur psychologique grave. L’expression qui s’impose, et qu’utilisent d’ailleurs les pays du Pacte de Varsovie, la Yougoslavie, la Suède et la Suisse est celle de Défense civile. La Défense civile devrait d’ailleurs comme en Yougoslavie et en Suisse constituer le volet passif d’une Défense populaire, expression de la volonté d’un pays entier de repousser par tous les moyens et de ne jamais subir une agression éventuelle. Enfin, cette Défense populaire ne contredit nullement un concept de dissuasion nucléaire du faible au fort, tout au contraire elle le complète et le renforce dans la mesure où la dissuasion étant un acte de foi, sa crédibilité ne fait qu’augmenter quand on lui adjoint l’expression de la détermination de tout un peuple, uni par avance dans une résistance à la fois active et passive.
Pour ce qui me concerne, je n’ajouterai rien à cette conclusion parce que je la partage entièrement mais je reconnais que dans les arguments développés par le général Gallois et dans l’objection qui a été soulevée par les autres participants, il y a des éléments de réflexion importants qui nous conduisent à affiner notre pensée et, peut-être, vous en apporter les résultats dans un autre colloque. ♦