Défense dans le monde - Guerre du Golfe : points de repère économiques
La guerre qui oppose l’Irak à l’Iran perdure depuis six ans. Dès 1980, les succès offensifs limités de Bagdad n’ont pu briser la résistance militaire iranienne, le régime islamique s’en est trouvé renforcé et toutes les propositions de solution négociée se sont heurtées depuis au refus intransigeant de Téhéran. En 1982, le retrait unilatéral des Armées irakiennes aux frontières internationales marquait cette impuissance de Bagdad à sortir de l’impasse créée par la constance du refus iranien de négocier une fin au conflit. En 1984, l’Irak subit toujours un adversaire qui s’obstine encore à poursuivre sur terre une guerre « jusqu’à la victoire », alors qu’il n’a pas les moyens matériels de gagner une bataille décisive. Depuis cette date, Bagdad a étendu la guerre au Golfe où il s’en prend aux exportations pétrolières de Téhéran afin d’asphyxier l’économie iranienne et d’obliger ainsi ce pays à accepter la négociation.
Ces attaques irakiennes provoquent de la part de l’Iran des rétorsions contre le trafic marchand international, dans le but de faire partager l’insécurité créée par les actions de guerre de Bagdad par toutes les Nations du Golfe. Une analyse de la dépendance pétrolière des belligérants et de leurs voisins en regard de leurs intérêts dans le Golfe, permet une évaluation des menaces dans cette région.
L’arme du pétrole
Les exportations pétrolières iraniennes représentent 95 % des devises étrangères du pays et 80 % du pétrole iranien s’écoule par l’île de Kharg. En 1985, une coûteuse navette de pétroliers est organisée entre cette île et l’Est du Golfe, moins exposé aux attaques irakiennes. Une quarantaine de pétroliers viendront ainsi se ravitailler chaque mois à l’île de Sirri. Grâce à cette navette, l’Iran a continué en 1985 à exporter 1,2 million de barils/jour, nécessaires à son effort de guerre, mais une bonne partie des ressources du pétrole se trouve absorbée par les investissements d’urgence visant à maintenir la capacité de livraison offshore, hors d’atteinte de l’aviation irakienne : quatre à cinq dollars par baril représentent le coût des navettes, des transbordements sur les pétroliers utilisés comme réserve flottante et des interruptions de trafic.
La persistance des attaques contre la navette et Kharg incite l’Iran à envisager de se libérer de ces contraintes. Il projette la construction d’un oléoduc conduisant à plusieurs points de livraison flottants, moins vulnérables quoique toujours à portée de l’aviation adverse. La construction de celui-ci et des terminaux qui permettraient de s’affranchir de Kharg coûte environ 500 millions de dollars ; le montant de la mise en place d’un oléoduc jusqu’en mer d’Oman, au-delà du détroit d’Ormuz, s’élèverait à plus de 2 milliards de dollars et deux ans de travaux seraient nécessaires. Un tel projet semble inaccessible pour l’instant au budget de l’Iran qui, par souci d’indépendance, répugne à emprunter sur le marché financier international et investit l’essentiel de ses ressources dans les dépenses de guerre.
Le détroit d’Ormuz reste donc essentiel à l’Iran pour exporter son pétrole. A contrario, l’indépendance de l’Irak à l’égard du Golfe est presque totale ; tout son pétrole transite en effet par oléoduc vers la Méditerranée via la Turquie, ou vers la mer Rouge via l’Arabie saoudite. Il faut cependant noter que les 300 000 barils/jour de la zone neutre Koweït et Arabie saoudite, contribution de ces deux pays à l’effort de guerre irakien, sont exportés par le Golfe. Les autres pays arabes de cette zone sont de leur côté totalement tributaires de la libre circulation maritime, à l’exception de l’Arabie saoudite dont une partie notable des exportations s’effectue par la mer Rouge.
L’Iran et les monarchies arabes modérées partagent donc en commun l’intérêt vital de préserver la libre circulation maritime via Ormuz, quelles que soient par ailleurs les péripéties du marché pétrolier mondial.
Une stratégie future difficile à définir
Paradoxalement donc, entraîné par la mécanique de ses actions de rétorsion, l’Iran joue contre la nécessité vitale aussi bien pour lui que pour les pays riverains d’assurer la libre circulation maritime dans le Golfe. Le tonnage des bâtiments irrémédiablement atteints par l’un ou l’autre des belligérants équivaut déjà au cinquième de celui qui fut coulé lors de la Seconde Guerre mondiale. Au cours du 1er trimestre 1986, les actions anti-navire irakiennes dans le nord du Golfe ont considérablement augmenté et, de ce fait, les attaques de rétorsion iraniennes contre le trafic international s’en sont trouvées accrues ; plus de 40 navires ont déjà été touchés. En 1985, on en comptait une cinquantaine. Les rétorsions iraniennes sont toujours précises, les objectifs potentiels toujours préalablement identifiés, éventuellement choisis.
Appliquant la loi du talion, Téhéran, par ces actions ponctuelles contre des navires, tente d’obtenir des pays arabes qu’ils fassent pression sur Bagdad pour modérer ses attaques contre les intérêts pétroliers iraniens dans le Golfe. Cette stratégie à ses limites et l’Iran serait la première victime d’une perturbation grave du trafic maritime : il n’y a sans doute pas lieu de craindre une fermeture du débouché pétrolier d’Ormuz tant que l’Iran continuera à exporter son brut.
Si l’Irak parvenait à tarir de façon durable cette ressource, essentielle pour la conduite de la guerre, les données de la stratégie iranienne s’en trouveraient modifiées. Il y aurait alors lieu de s’attendre à des actions militaires plus radicales contre les intérêts pétroliers des pays du Golfe, mais l’attrition des moyens de l’aviation et de la marine iraniennes interdit sans doute à ce pays toute action coordonnée d’envergure, prolongée dans le temps.
Dans cette hypothèse, une assistance de forces navales occidentales pour assurer la libre circulation dans les eaux internationales et la protection des intérêts pétroliers, à la demande des pays riverains, serait du domaine du probable.