Guerres secrètes au Liban
Ce livre a le sérieux d’une thèse, thèse au demeurant soutenue par les auteurs à Paris en 1986. Les références sont riches, sources écrites sans doute, mais plus encore témoignages d’un exceptionnel intérêt, recueillis par les auteurs. On savait le jeu libanais compliqué ; on nous dévoile ici, sur maints événements, le dessous des cartes (ainsi de l’opération de représailles menée par les Super-Étendards sur Baalbek en novembre 1983). L’actualité, cependant, est toujours replacée dans un contexte historique qui, l’esprit de notre temps faisant peu de cas du temps passé, devient révélation (ainsi des rapports anciens des Alaouites, aujourd’hui aux affaires en Syrie, avec la France, leur « tendre mère »). Mais le sérieux de l’ouvrage s’accommode d’un vigoureux engagement personnel : si l’on y a des attaches, on ne saurait parler sans passion du malheureux Liban et de sa communauté chrétienne, deux fois malheureuse.
Le déroulement du livre met en scène les acteurs du drame, tous, successivement, tenant le rôle du traître : OLP (Organisation de libération de la Palestine), Syrie, « frères arabes », Israël, Iran… et Occident. L’OLP est le premier agent du malheur libanais. Depuis l’armistice de mars 1949, le Liban s’était tenu à l’écart des guerres israéliennes. Palestiniens et Arabes vont lui faire payer cher cet indécent respect des conventions. Depuis 1973, le Liban est devenu l’unique théâtre des opérations israélo-arabes. Le fragile équilibre de la société libanaise ne résistera pas à l’épreuve.
Mais si l’OLP est à l’origine du drame, la Syrie et Israël, complices-ennemis, sont habiles à utiliser, voire à attiser, les troubles dont les Palestiniens furent les initiateurs. On savait déjà, par leur premier livre, que les auteurs les voyaient comme deux fauves acharnés sur leur proie (1). À cette thèse, reprise ici, s’ajoute une analyse très fouillée des affrontements communautaires à travers lesquels apparaissent, fût-ce avec discrétion, les responsabilités proprement libanaises. Si l’Iran islamique, enfin, vient à partir de 1982 patauger à son tour dans le sanglant bourbier, le réveil des chiites libanais est affaire plus ancienne ; c’est l’œuvre, à partir de 1959, du libano-iranien Moussa Sadr, fondateur du Amal et du « Mouvement des déshérités », et disparu peu mystérieusement, en 1978, à Tripoli de Libye.
Le dernier chapitre est, pour le lecteur français, le plus dur. On y dépeint la déroute de l’Occident. Mais les auteurs se refusent au pessimisme absolu. Ils mettent leur espoir dans la vitalité d’une communauté chrétienne qui ne renonce pas : « Si un Liban islamo-chrétien doit renaître de ses cendres, c’est sans doute encore aux chrétiens qu’il le devra ».
(1) Annie Laurent et Antoine Basbous : « Une proie pour deux fauves », Ad-Da’irat, Beyrouth. 1983 (Revue Défense Nationale, novembre 1983).