Défense à travers la presse
Les événements de la place Tien An Men, la mort de l’ayatollah Khomeyni puis le succès électoral du syndicat Solidarité (Solidarnosc) en Pologne, ont successivement fait la une de nos confrères sans pour autant rejeter dans l’ombre les sujets concernant la Défense. Non qu’il en ait été question au cours de la campagne pour les élections européennes, mais à Bruxelles l’Alliance atlantique fêtait son quarantième anniversaire. Chacun se plut à souligner son efficacité au long de ces années qui n’ont pas été exemptes de dangers. Mais l’événement a été créé à cette occasion par le président Bush qui présenta un plan de désarmement concernant les armements classiques.
Pour la Maison-Blanche, il s’agit là de la plus audacieuse proposition occidentale de l’après-guerre en matière de contrôle des armements. Audacieux en effet par le plafonnement des effectifs qu’il suggère et par les délais qu’il fixe. L’éditorialiste du Monde (31 mai 1989) considère qu’il s’agit d’un remarquable rétablissement :
« M. Bush peut se frotter les mains. Il crée, enfin, l’événement par une proposition de désarmement chaleureusement saluée par les Alliés occidentaux et qui relègue au second plan la querelle sur les armes nucléaires à courte portée pour lesquelles un compromis proche des thèses américaines est d’ailleurs trouvé. M. Gorbatchev mis au pied du mur et M. Bush remis en pleine lumière, dans le cadre avantageux d’un sommet de l’Otan dont il a été la vedette : c’est un remarquable rétablissement. De fait, il devenait urgent d’agir, après tant de commentaires remplis de commisération à l’égard d’un président régulièrement éclipsé par M. Gorbatchev, d’un président incapable de trouver une idée originale, d’une Administration compétente mais aussi lente et stérile ».
Il est donc évident pour les observateurs que le président américain a sorti au bon moment un atout qui place l’URSS en difficulté. C’est pourquoi Yves Pitette, dans La Croix de la même date parle de réveil :
« Les divergences étaient tellement affichées entre Alliés occidentaux qu’on pouvait craindre le pire. C’était la première crise sérieuse à laquelle devait faire face le nouveau titulaire de la Maison-Blanche et sa relative discrétion ces derniers mois en politique étrangère en inquiétait plus d’un. Il est vrai que George Bush a su manœuvrer adroitement. En proposant d’accélérer la négociation de Vienne sur les armements conventionnels, il rejette sur les Soviétiques une partie de la responsabilité des retards dans l’ouverture des discussions sur les missiles à courte portée, au cas où l’on traînerait à Vienne pour s’accorder sur les réductions de blindés, de canons ou d’avions. En outre, en frappant un grand coup, il affirme sa personnalité, démentant sa réputation solidement établie de grand mou… Dans les années qui viennent, l’Otan va devoir reconsidérer sa stratégie à la lumière des nouvelles conditions militaires en Europe. Si les niveaux d’armement sont abaissés de façon significative, cela ne peut que faciliter une meilleure prise en charge de leur défense par les Européens eux-mêmes ».
Dans Le Figaro du 31 mai 1989, Jacques Jacquet-Francillon centre son analyse sur les répercussions de l’initiative américaine au sein de l’Alliance elle-même. Certes le président Bush a marqué des points sur la scène diplomatique, mais il a en premier lieu ressoudé les Alliés :
« Tout semblait devoir buter sur l’insistance de l’Allemagne fédérale à exiger l’ouverture immédiate d’une négociation avec Moscou sur ces fusées à courte portée qui ne peuvent que frapper le sol allemand. Exigence en apparence légitime et surtout justifiée par des préoccupations électorales, mais qui correspondait, cependant, ni plus ni moins à une finlandisation de l’Europe. George Bush a su balayer l’obstacle avec une offre spectaculaire de désarmement conventionnel, mettant Gorbatchev au pied du mur. L’ampleur du marché proposé ne pouvait que déstabiliser la position du chancelier Kohl qui se voyait contraint de se déclarer ravi qu’on lui accorde que la tractation envisagée sur les missiles MGM-52 Lance stationnés en République fédérale d’Allemagne (RFA) soit différée en attendant des résultats concrets dans les négociations de Vienne… Ce qui importe, c’est qu’au moment où l’Union soviétique de Gorbatchev réaffirme sa volonté de négocier, même sur des bases nouvelles qu’elle n’a pas choisies, l’Amérique de George Bush réaffirme, elle, formellement son engagement à maintenir ses forces en Europe aussi longtemps qu’il le faudra ».
Il ne faudrait toutefois pas oublier que Washington envisage de retirer quelque 30 000 G.I. pour respecter le plafond fixé. Ce peut être matière à économies, mais ne faut-il pas y voir aussi un avertissement aux Européens tentés par une troisième option zéro, car il est évident que les États-Unis ne laisseront pas leurs propres troupes sans protection nucléaire ? L’essentiel, observe Paul Cambon, dans Le Quotidien de Paris du 31 mai 1989, c’est que la Maison-Blanche ait retrouvé les qualités de décision d’une grande puissance :
« Le compromis conclu à Bruxelles, comme tous les compromis, n’a fait ni vainqueurs ni vaincus. Les États-Unis ont retrouvé leur capacité de proposition, sortant ainsi d’un immobilisme préjudiciable à leur image face aux offensives tous azimuts de Moscou en matière de désarmement. Désormais, la balle a changé de camp. L’initiative est revenue du côté de l’Occident. C’est l’Union soviétique qui est sous pression et c’est l’Otan qui, pour l’heure, a retrouvé un atout politique auprès des opinions publiques… ».
Libération, le 30 mai 1989, considère cependant que les alliés des États-Unis ont été mis devant le fait accompli et qu’il y a là une manière assez cavalière de concevoir la concertation. Mais, souligne Alfredo Valladao, le plan Bush comporte bien des difficultés d’application : « La plus grande surprise dans le paquet George Bush vient des délais extrêmement courts qu’il propose. Il est vrai qu’à Vienne les experts estiment que l’on peut techniquement y arriver : seule compterait la volonté politique. Après tout, il a fallu moins de six mois pour mettre au point un régime de vérification et de contrôle pour le traité de 1987 sur l’élimination des euromissiles. Les véritables questions sont pourtant ailleurs. On demande aux Soviétiques de réduire de 60 % leur potentiel militaire en trois ans. Or, dans un laps de temps aussi court, peuvent-ils assurer la reconversion de centaines de milliers de militaires vers le civil ? Le problème est moins spectaculaire à l’Ouest, mais tout aussi difficile à régler. De même, les réductions d’une telle ampleur impliquent une refonte totale des doctrines et tactiques des armées en présence. Enfin, en tentant d’imposer un rythme d’enfer au processus de désarmement en Europe, George Bush peut mettre en difficulté ses alliés européens. Un tel ping-pong entre Moscou et Washington favorise les deux grandes puissances mieux à même de contrôler seules la tactique à suivre ».
Serait-ce parce qu’il ne se situe pas dans le sillage des réformes qui s’imposeront aux alliances que la presse ne s’est guère penchée sur le plan « Armées 2000 » présenté par le ministre français de la Défense Jean-Pierre Chevènement aux membres de la commission de Défense du palais Bourbon ? Cette réorganisation mérite pourtant l’attention. C’est ce qu’a pensé Dominique Chivot qui, dans La Croix du 22 juin 1989, prend soin d’informer ses lecteurs :
« L’idée, au départ, est de mieux s’adapter à la gestion des crises en supprimant une distinction obsolète entre l’organisation des forces armées en temps de paix et celle en temps de guerre. Priorité donc à une armée plus opérationnelle. Priorité aussi à une Défense plus cohérente. Le territoire va être placé sous un commandement unique de la défense du territoire et redécoupé en trois zones spécifiques de défense identiques pour chaque armée. La zone du Nord-Est sera orientée vers la manœuvre en Centre-Europe, la zone atlantique vers la préservation de la liberté d’approvisionnements côté océanique, la sûreté de la Force océanique stratégique (Fost) et la protection de l’agglomération parisienne, la zone méditerranéenne vers les risques de déstabilisation au sud de l’Europe. Priorité enfin à la coopération interarmées. Les Écoles supérieures de guerre propres à chacune des armées seront regroupées dans une École supérieure de Défense ».
Hérille n’étant nullement spécialiste de ce genre de questions ne peut qu’attendre les avis que la presse voudra bien fournir en temps voulu sur cette profonde refonte de notre dispositif de défense que M. Chevènement juge « mieux adapté à la conduite de la manœuvre politico-stratégique dans le cadre d’une stratégie de dissuasion ».
Il est un autre débat qui a surgi début juin 1989 : celui sur la nécessité d’une armée de métier. M. Valéry Giscard d’Estaing la préconise en vue d’agencer une défense commune de l’Europe. De toutes les réactions qui ont paru sous forme d’analyse dans la presse, nous ne retiendrons que celle d’Alain Chastagnon qui, dans Le Quotidien de Paris du 7 juin 1989, semble bien correspondre à l’opinion la plus courante :
« Ce qui est sûr, c’est que le professionnalisme de l’armée s’est accru depuis quarante ans grâce en grande partie au nucléaire et à un meilleur encadrement : il est impossible aujourd’hui de lui appliquer les schémas de 1940. L’armée de métier résulte désormais du long effort d’une armée de citoyens vers une meilleure utilisation des capacités. Reste le changement des mentalités dû à la dissuasion. La dissuasion doit être crédible ou elle n’a pas de raison d’être. Elle se doit donc d’être modernisée. C’est un problème de crédits. Mais sa crédibilité tient aussi à la détermination du président à déclencher un processus. C’est dire qu’elle tient à la personne du président et surtout à la volonté du pays de se défendre. Jusqu’à présent, aucun procédé n’a été trouvé, meilleur que le service militaire, pour faire comprendre cet esprit de défense à un grand nombre de Français, même si les imperfections ou les révoltes sont encore nombreuses. La conscription ne saurait donc être abandonnée sans grand dommage pour notre dissuasion, ce qui est une donnée du problème, nouvelle par rapport aux paramètres de 1940. L’adhésion à notre force de frappe est d’ailleurs beaucoup plus grande en France qu’en Grande-Bretagne et lui donne un vrai poids spécifique : celui de l’indépendance nationale ». ♦