Aéronautique - La prise en compte du facteur guerre électronique dans l'Armée de l'air (II)
Doctrine guerre électronique (GE)
Les nations européennes ont lancé depuis les années 1960 beaucoup de programmes pour combler leurs insuffisances, notamment en matière de détection et de brouillage. L’armée de l’air française, de son côté, a pris conscience assez tôt des investissements à consentir, en particulier pour asseoir la crédibilité de pénétration de ses composantes aériennes nucléaires et a défini un concept d’emploi en dégageant des moyens pour équiper ses vecteurs. À présent, il est acquis que le suivi des évolutions des menaces doit être permanent, afin de lancer les développements exploratoires qui permettront la mise au point d’équipements GE adaptés. En effet, les délais entre la perception d’une nouvelle menace, l’expression du besoin militaire et le développement des équipements GE correspondants, sont souvent trop longs. Le souci de ne pas prendre de retard sous peine de perte de crédibilité doit donc conduire à anticiper les menaces dès le temps de paix pour programmer les équipements et faire ensuite évoluer les programmes en fonction des changements ou nouveautés recensés.
Il faut donc bien cerner les besoins GE dans le domaine de la protection des avions et les classer par priorité, compte tenu des missions à remplir et des ressources disponibles. Bien que le coût de l’autoprotection d’un avion de combat ne cesse de croître (12 à 15 % du prix total d’un avion de série), il est impératif de protéger non seulement l’ensemble de la composante nucléaire pilotée, mais aussi d’accroître l’efficacité des moyens actifs de la défense aérienne et de constituer un ensemble cohérent pour les opérations extérieures.
Tous ces efforts en matière d’équipements seraient vains si une politique réaliste d’instruction et d’entraînement des équipages ne les accompagnait.
L’instruction et les moyens d’entraînement
Le premier maillon dans la chaîne de l’instruction est l’officier GE unité, dont la mission est multiple. Tout d’abord, en qualité de conseiller opérationnel privilégié du commandement, il doit veiller, en collaboration avec l’officier renseignement, à l’optimisation des équipements GE en fonction des menaces potentielles. Ensuite, au titre de conseiller technique, il doit assurer le suivi de la disponibilité des équipements et retransmettre à l’officier télémécanicien les réglages retenus. Enfin, son rôle d’instructeur est capital, car il doit, grâce à des briefings adaptés, assister les équipages dans la préparation des missions et dans leur restitution, tout en les persuadant du bien-fondé des manœuvres définies.
L’entraînement aérien, quant à lui, a pour but d’enseigner aux équipages comment perturber au maximum les systèmes utilisés par l’adversaire et comment se rendre aussi discret que possible. Aujourd’hui en effet, il n’est plus question de faire du brouillage systématique à l’apparition de chaque alarme, et la nécessité d’un entraînement poussé s’est rapidement fait sentir pour élaborer des techniques d’emploi et donner confiance aux équipages dans leurs équipements en les testant. Pour ce faire, la mise en œuvre des CME (Contre-mesures électroniques) doit avoir lieu sur des sites spécialisés baptisés polygones de GE (PGE). Dans cette optique, intervint en 1979 la signature par les ministres de la Défense de la RFA (République fédérale d’Allemagne), des États-Unis et de la France, d’accords portant création en région Centre-Europe d’une zone multinationale d’entraînement des équipages aux tactiques de GE, et prévoyant l’installation sur des sites fixes et mobiles de simulateurs de radars de systèmes d’armes du Pacte de Varsovie.
La France, pour sa part, a acheté trois simulateurs de menaces électroniques :
– un émetteur multimenaces permettant de générer des signaux simultanés de systèmes air-air, sol-air ou d’artillerie antiaérienne ;
– un émetteur-récepteur équipé d’un système de contre-contre-mesures électroniques ;
– un simulateur, réplique exacte d’un système soviétique sol-air.
Par ailleurs, elle a installé sur chacun des sites un radar de détection basse altitude type Aladin, afin de gérer l’espace aérien du PGE, de faire la désignation d’objectifs aux simulateurs et de fournir aux équipages une trajectographie de la mission.
Il est à noter que le coût des investissements en matériels GE est assez élevé, mais il reste acceptable en raison des bénéfices escomptés et du caractère interarmées de nos installations. Quant au coût de fonctionnement pour la France, il est minimisé par la mise à disposition, moyennant finances, de créneaux d’utilisation à des pays alliés.
Les équipages de l’armée de l’air n’ont cependant pas attendu la mise sur pied du PGE Nord-Est pour s’entraîner au combat électronique. En effet, des accords avec la Grande-Bretagne permettent à nos avions d’armes d’effectuer des missions sur le site de Spadeadam, doté de simulateurs identiques à ceux du PGE. Par ailleurs, des équipages de la Fatac (Force aérienne tactique) et du Cotam (Commandement du transport aérien militaire) participent chaque année, à Nellis (États-Unis), à l’exercice Red Flag, qui est très riche en enseignements en raison de la densité des menaces sol-air simulées et de la présence de la menace aérienne figurée par l’« agressor squadron ». De plus, nos forces participent à tous les exercices nationaux et alliés où une menace GE est représentée.
Toutefois, il faut mentionner les restrictions imposées à l’entraînement par des impératifs de sécurité, par le respect des réglementations nationales et internationales, et surtout par la protection du secret de nos équipements, indispensable à l’effet de surprise en temps de crise.
Tous ces outils privilégiés que sont les PGE n’auraient pourtant qu’une utilité relative si les équipements d’autoprotection ne bénéficiaient pas d’une programmation performante.
Les problèmes de programmation
Tous les avions d’armes de la nouvelle génération disposent déjà de CME internes et externes d’autoprotection complexes, faisant appel à des bibliothèques pour leur programmation. Celles-ci sont constituées à partir de paramètres connus de la menace (fréquence nominale, nature, largeur d’impulsion, polarisation, diagramme de rayonnement...) et de paramètres définissant le fonctionnement des brouilleurs (temps d’émission, temps de silence...) recueillis par les moyens Elint pou Electronic Intelligence (1) nationaux ou alliés.
La programmation, quant à elle, doit remplir plusieurs fonctions :
– exploiter les renseignements techniques des signaux émis afin de créer une base de données adaptée aux besoins opérationnels (implantation et composition de la menace) ;
– élaborer des critères de sélection de la menace et lever des ambiguïtés concernant l’identification des systèmes ;
– choisir des réglages pour les matériels de brouillage soit par simulation, soit par expérience ;
– introduire à l’aide de Modules d’insertion de paramètres (MIP) les données retenues dans les équipements avionnés ;
– assurer la compatibilité avec les autres équipements électromagnétiques et électroniques de l’avion, et entre aéronefs au sein d’une formation ;
– présenter à l’équipage de la façon la plus accessible les menaces sous formes visuelle et audio.
Pour faire face à l’évolution très rapide des menaces et à la complexité grandissante de cette tâche de programmation faisant de plus en plus appel à du personnel très qualifié, de nouvelles structures en matière de GE vont être mises en place prochainement. La mise sur pied d’un centre GE, organisme à caractère interarmées, en évitant ainsi la dispersion des énergies et le gaspillage des ressources, permettra d’obtenir une efficacité optimale en matière de programmation, tout en fournissant aux responsables opérationnels une instruction spécialisée.
Conclusion
À une époque où la physionomie mondiale est en pleine mutation et où un processus de désarmement réel semble engagé, il reste qu’une menace antiaérienne dense et diversifiée subsiste en Centre-Europe. De même, sur les théâtres d’opérations extérieurs potentiels, des systèmes d’armés utilisant toutes les technologies modernes risquent de nous être opposés.
Aussi, dans ce contexte, la protection de l’ensemble de nos matériels aériens très coûteux du fait de leurs capacités, et en nombre limité, devient-elle une nécessité première. Continuer à équiper de moyens d’autoprotection performants non seulement nos avions d’armes, mais également nos ravitailleurs et une partie de notre flotte de transport, s’impose. Entraîner les équipages et instruire le personnel de façon continue sous peine d’inadaptation le moment venu est également indispensable.
Les efforts déjà consentis par l’armée de l’air dans le domaine de la programmation des équipements aéroportés de GE ont permis de progresser de façon remarquable en matière d’autoprotection de nos vecteurs, et la mise en place de nouvelles structures optimisées au sein de l’armée de l’air est bien un gage d’efficacité pour l’avenir. ♦
(1) La fonction Elint consiste à intercepter et analyser tous les signaux radioélectriques dans une bande donnée, alors que la fonction Comint (Communications Intelligence) consiste à l’analyse et l’écoute des communications.