Le Koweït / Saddam Hussein, un gaullisme arabe
Le Koweït, dans son exiguïté, mérite le diminutif dont on le nomme : Koweït, petit fort. Pour que l’annexion d’un si petit pays ait soulevé un si grand hourvari, il faut bien que l’affaire ne soit pas simple. Le livre de Habib Ishow, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), nous aidera à cerner sa complexité.
L’histoire du Koweït, c’est celle de son indépendance, qui ne va pas de soi. Au milieu du XVIIIe siècle émerge la dynastie des Al Çabbah, cousins des Al Saoud du Nejd et des Al Khalifa de Bahreïn. Bien avant le pétrole, c’est à son excellent port, où les boutres venant des Indes déchargent leurs mirifiques marchandises que les caravanes achemineront vers Alep, que la principauté doit sa prospérité. Il fallut aux Çabbah beaucoup d’habileté pour résister aux pressions des cousins Saoud, des Shammar (autres bédouins mal intentionnés) et de la Porte [Empire ottoman]. Au XXe siècle, ce n’est que par le protectorat britannique que ces princes obstinés réussirent à se maintenir. Bien leur en prit : la puissance ottomane abattue, les accords de ‘Uqaïr fixèrent leurs frontières entre Irak et Arabie ; en 1946, le pétrole qu’ils avaient sous les pieds par la grâce d’Allah jaillissait par celle des Anglo-Saxons ; en 1961, le minuscule État nouveau était reconnu par le monde.
Aussitôt né, le Koweït se lança, avec mesure sans doute, dans une expérience démocratique qui reste unique en Orient : il n’est pas si facile de faire cohabiter des émirs bédouins avec un Parlement. La Constitution de 1962 pose en principe que l’islam est « la source principale de la législation », mais que la nation est « la source de la souveraineté ». L’audace des princes koweïtiens est attestée par les difficultés que leur créa l’opposition parlementaire, nationaliste d’abord, islamiste ensuite. Deux dissolutions en résultèrent, en 1976 et 1986, et ce n’est qu’en avril dernier que fut rétabli un Conseil national, mais fort peu représentatif.
Le Koweït n’a pas d’eau (jusqu’en 1950, on l’apportait par bateau du Chatt al-Arab), mais beaucoup de pétrole, et des plus faciles à exploiter. Le précieux liquide bouleversa le petit pays. Que faire de tant d’argent ? On en prête aux pays frères mais à fonds perdu. C’est en Occident que les investissements sont rentables. À Londres, deux énormes organisations s’en occupent et l’on sait qu’à Paris le Fouquet’s, la tour Manhattan de La Défense… et le Lido sont propriétés bédouines. Les avoirs à l’étranger approcheraient les 200 milliards de dollars. Pétrole ou investissements, cet « État financier » assure aux Koweïtiens le plus haut niveau de vie de la planète, avec un ratio PNB par habitant de 17 270 dollars en 1979.
Mais qui sont les Koweïtiens ? Pas facile de les compter, submergés qu’ils sont par les immigrés : 800 000 peut-être, pour 1 200 000 étrangers. Voilà un problème d’immigration qui dépasse le nôtre et que le pouvoir a vigoureusement traité. N’est pas Koweïtien qui veut et on n’admet pas plus de 50 naturalisations par an ; encore y a-t-il deux sortes de Koweïtiens et seuls sont électeurs ceux de la 1re catégorie, mâles dont la filiation autochtone remonte à 1920 ; enfin les travailleurs arabes, jugés trop turbulents, sont peu à peu remplacés par de tranquilles Asiatiques.
Les Koweïtiens furent jadis de fameux pirates ; ils n’aiment pas être soldats, et l’armée est peuplée d’étrangers. Ce qui permet à l’auteur de conclure (en 1989) par deux euphémismes prémonitoires : « Un pays qui compte sur des mercenaires pour sa défense est nécessairement très vulnérable », mais « les pays occidentaux, surtout la Grande-Bretagne et les États-Unis, qui ont d’importants intérêts au Koweït, peuvent secourir l’émirat en cas de danger grave ».
Passons la frontière momentanément effacée et revenons, avec Charles Saint-Prot, à l’Irak avant l’agression. L’auteur est familier des Arabes, et des dirigeants irakiens. En un moment où la crise obscurcit le jugement, il est de bonne thérapeutique de lire son livre, écrit il y a trois ans à la gloire du diable d’aujourd’hui. Il est vrai que Saddam Hussein n’est pas tout à fait le diable et que sa route était pavée de bonnes intentions. Mais l’exercice solitaire du pouvoir ne pardonne pas. La force militaire que le dictateur de Bagdad a construite à la faveur de sa guerre iranienne a dû lui monter à la tête : « Il se pourrait, annonçait le biographe, qu’à l’avenir l’Irak se présente comme la puissance capable d’assurer la relève du leadership arabe ». ♦