Défense à travers la presse
La controverse sur le statut de l’Allemagne unie au sein des systèmes militaires en place a été relancée par M. Gorbatchev le 12 juin. Dans un discours au Soviet suprême, ne suggérait-il pas que l’Allemagne devienne simplement « membre associé » de l’Otan ? Ce qui, en matière d’alliance militaire, ne signifie pas grand-chose. Dans La Croix du 13 juin 1990, Jean-François Bouthors considère qu’il s’agit d’un oui mais avant de faire ce constat :
« M. Gorbatchev a clairement dit que l’appartenance de l’Allemagne à l’Otan ne correspond pas aux intérêts de défense de l’URSS. Or, si le Pacte de Varsovie se défait aujourd’hui, il n’en va pas de même de l’Otan. Le président soviétique voudrait que les deux organisations connaissent une transformation parallèle, feignant de ne pas voir que leur cohérence interne n’a jamais été de même nature, et donc que le problème reste entier du côté de la défense. Reste que, pour la première fois, des mots ont été prononcés publiquement, marquant la volonté gorbatchévienne d’une évolution dans un domaine qui est aussi un enjeu de politique intérieure soviétique »,
Le chef de l’État soviétique ayant prôné la disparition des deux blocs à l’occasion des révisions qu’entraînera l’unification allemande, Philippe Marcovici, dans Le Quotidien de Paris du 13 juin 1990, dénonce un piège :
« Le propos de Gorbatchev est clair. Dans la ligne de ses prédécesseurs au Kremlin, de Staline à Tchernenko, le numéro un soviétique exige, une nouvelle fois, la dissolution des alliances militaires. Plus de blocs, donc plus d’Otan ni de Pacte de Varsovie, tout au moins dans la forme actuelle de ces deux alliances. Conclusion : l’Allemagne dans l’Otan, oui mais à la condition que l’Otan soit réduite à une coquille vide, à une simple structure destinée à organiser le dialogue politique et la coopération économique avec l’Est ou ce qu’il en reste, c’est-à-dire avec l’URSS… Dans ces conditions, il restait à Gorbatchev à se montrer beau joueur et à affirmer que dans ce paysage rénové « la présence de troupes américaines en Europe ne pose pas de problèmes pour nous ». On le comprend d’autant plus volontiers que ces troupes, c’est aux Américains qu’elles poseraient des problèmes. Car comment imaginer leur maintien dans une Europe d’où seraient bannies les alliances militaires ? Moscou n’aurait plus à exiger le départ des GI, le Congrès des États-Unis, l’opinion publique américaine et une large part de l’opinion publique européenne s’en chargeraient à sa place ».
Au-delà de ces manœuvres que suscite l’évolution allemande, subsiste le poids de l’Allemagne unie et apparaît pour elle un nouveau rôle sur l’échiquier européen. C’est ce que souligne Daniel Vernet, dans Le Monde du 16 juin, en précisant que la géographie a ses exigences, de telle sorte que l’Allemagne est appelée à devenir un intermédiaire entre les deux Europe :
« Militairement, l’Allemagne unie, même et surtout si elle fait partie de l’Otan, peut être un trait d’union entre l’Ouest et l’Est. Sa position sera d’autant moins inconfortable que les négociations sur le désarmement progresseront rapidement et que le système de sécurité collective sera mis en place en Europe avec l’institutionnalisation de la CSCE.
Ce n’est pas douter de la loyauté de la République fédérale que de constater que les Soviétiques y ont trouvé, dans tous les partis politiques, des oreilles attentives à leurs conceptions stratégiques… Par sa position géographique, par son potentiel économique, par son traditionnel rayonnement culturel et linguistique, l’Allemagne est appelée à jouer un rôle essentiel dans la restructuration de la nouvelle Europe. Beaucoup de responsables allemands comprennent qu’elle pourra le faire d’autant plus efficacement qu’elle n’agira pas seule, mais en liaison avec ses partenaires de la Communauté, notamment avec la France ».
Que l’Allemagne retienne notre attention dans les circonstances actuelles, rien de plus normal. Les observateurs ne sauraient pour autant négliger de suivre. ce qui se passe en Union Soviétique, qui reste un acteur primordial dans la partie qui est engagée. Il y a, certes, les difficultés économiques, l’irritation du parti, mais aussi l’armée dont on ne peut mésestimer l’influence. Comment réagit-elle aux initiatives de M. Gorbatchev ? Quelles peuvent être ses intentions ? Dans son numéro du 5 juin, Libération, sous la signature de Pierre Briançon, apporte quelques réponses à ces questions :
« Les généraux ont tout pour être désorientés. Contrairement à une idée simple, les initiatives de Gorbatchev en matière de politique étrangère et de désarmement ne leur ont pas toutes déplu. Les plus lucides et modernes des patrons de l’armée comprenaient qu’on ne pouvait suivre la course à la dépense qui étouffait l’économie, savaient qu’il était possible de faire mieux avec moins et qu’une économie dynamique est le meilleur garant d’une armée modernisée. Rien à redire, au départ, au projet du gorbatchévisme éclairé qui consistait à faire plus d’électronique et moins de métallurgie lourde. Les problèmes semblent plutôt venus de l’accélération des initiatives gorbatchéviennes et, plus récemment, de l’effondrement de l’Europe de l’Est avec la fin de facto du Pacte de Varsovie. C’est toute la stratégie de l’URSS qui est à redéfinir. Les officiers, quant à eux, sont aux prises avec leur sort matériel, que ne compense plus un statut envié, et leurs perspectives de carrière. Ils quittent les rangs par centaines et les responsables s’inquiètent car ceux qui partent volontairement ne sont pas, en général, ceux qu’on voudrait voir partir. Enfin, les appelés posent plusieurs problèmes. 30 à 40 % d’entre eux ne parlent pas, ou mal, le russe, en raison du poids grandissant des soldats originaires des républiques musulmanes d’Asie centrale… Que devient alors cette tentation bonapartiste ou golpiste toujours attribuée à l’Armée rouge depuis que la perestroïka existe ? En premier lieu, elle n’est pas favorisée par une longue tradition de soumission totale au pouvoir politique et surtout au Parti communiste. L’Armée rouge a trop de problèmes internes pour en poser réellement au pouvoir politique… À terme, se pose pourtant le problème du mode de cohabitation possible entre l’armée, univers de l’ordre, et la perestroïka, monde du désordre inévitable. S’il vient un jour, un moment, où ce désordre apparaîtrait permanent, ou si l’armée n’approuvait plus les orientations du pouvoir, alors, estime Pavel Sernionovitch, un ancien combattant, il y aurait bien sûr une prise du pouvoir par l’armée ». ♦