Intellectuels et militants de l’Islam contemporain / La revanche de Dieu (chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde
L’ouvrage collectif que nous présentons d’abord est une promenade à travers l’islamisme moderne. Il éclaire les ambiguïtés d’un mouvement qu’on avait initialement simplifié. La dénomination très impropre d’intégrisme, la connotation rétrograde qu’on lui appliquait à tort et le soupçon d’hétérodoxie dont Bruno Étienne, entre autres, a fait justice, tels sont les effets regrettables de cette simplification. L’islamisme est, hélas ! dans le droit fil de l’orthodoxie, ses activistes sont souvent praticiens des sciences exactes et leur credo réduit à quelques rudes principes. Aussi bien l’introduction de Gilles Kepel nous montre-t-elle comment les oulémas traditionnels ont cédé une partie de leur espace à l’intelligentsia occidentalisée et comment celle-ci a été relevée par de jeunes diplômés réislamisés, contestataires ultimes de l’impiété du prince.
De ce tableau aux multiples couleurs on retiendra le paysage iranien où, entre les clercs familiers de l’islam et les intellectuels frottés d’Occident, des ingénieurs sérieux font tourner la boutique. Au Maroc, on observera avec intérêt le renouveau du mouvement confrérique. En Palestine on suivra – problème d’une brûlante actualité – la montée, face à une Organisation de libération de la Palestine (OLP) assagie et toujours laïciste, du Hamas, acronyme arabe du Mouvement de la résistance islamique, négateur d’Israël car « Dieu a rassemblé les juifs en Palestine non pour en faire leur patrie sur la terre, mais leur cimetière ».
Olivier Roy nous livre en conclusion quelques réflexions aiguës sur le savoir des nouveaux intellectuels de l’islam, corpus fait de bric (occidental) et de broc (religieux) qu’unifie l’acte magique du bismillah, commençant le prêche du moraliste comme la démonstration du physicien.
La revanche de Dieu, œuvre du seul Gilles Kepel, est de plus grande ambition que le livre dont on vient de parler. Frappé à juste titre de la simultanéité des mouvements qui secouent depuis vingt ans les trois religions monothéistes, l’auteur s’applique à montrer l’unicité de leur origine, de leur visée, de leurs méthodes. C’est aller un peu vite en besogne, tant diffèrent, de l’une des religions à l’autre, l’authenticité des rénovateurs, leur nombre, leur impact.
Au risque de paraître défendre sa paroisse, on se refuse à tenir pour porteurs d’avenir les « télévangélistes » américains et à mettre sur le même pied les propagandistes du djihad, le Goush Emounim ivre de Terre promise et les groupes charismatiques européens.
Il nous a semblé que les chapitres consacrés à l’islam et à Israël sont plus solides que ceux qui traitent de la chrétienté. Au demeurant, Gilles Kepel reconnaît dans sa conclusion ce qui sépare les trois confessions, au-delà d’une perception commune de l’horreur d’un monde sans Dieu. Au djihad islamique, à l’exclusion du non-juif par le Goush, s’opposent la non-violence chrétienne et la modeste acceptation du domaine médiocre, mais réservé, de César. ♦