Défense à travers la presse
Avant que chacun ne prenne ses vacances, exception faite des combattants en Yougoslavie et des putschistes à Moscou, un fait majeur a essentiellement retenu l’attention des commentateurs : la signature, après neuf années de négociations, du traité START. Il vise à réduire de quelque 30 % les arsenaux nucléaires stratégiques des deux Grands (au lieu des 50 % prévus à l’origine). C’est à Moscou, le 31 juillet 1991, que les présidents George Bush et Mikhaïl Gorbatchev ont apposé leur signature sur ce document qui présente des particularités parfois surprenantes.
Aux yeux de François d’Alençon, dans La Croix du 19 juillet 1991, il est certainement le dernier du genre, mais il va au-delà de ce qui avait pu être négocié auparavant :
« Les traités précédents n’étaient parvenus qu’à ralentir la course aux armements ou n’éliminaient qu’une catégorie d’armes, comme le traité FNI signé en 1987 qui a permis d’éliminer toute une catégorie de missiles nucléaires à portée intermédiaire. Pour la première fois dans l’histoire du désarmement, un traité va réduire les arsenaux nucléaires stratégiques des deux superpuissances. Même si ce traité laisse à chacun des deux Grands assez de têtes nucléaires pour détruire l’autre plusieurs fois, il pourrait rester le seul de sa catégorie. Pendant plus de vingt ans le contrôle des armements a dominé les relations entre Washington et Moscou, représentant par moments le seul terrain de négociation entre les deux puissances hostiles. Avec la fin de la guerre froide, l’enthousiasme à se lancer dans de nouvelles négociations a diminué. L’ère du dialogue au sommet entre superpuissances semble révolue pour faire place désormais à un monde multipolaire ».
Si, dans Le Monde du 31 juillet 1991, Jacques Isnard se contente de présenter les lignes essentielles de cet accord, le lendemain notre confrère dans son éditorial de première page fournit au lecteur des observations et des sujets de réflexion :
« C’est le plus important des accords de désarmement jamais conclus entre les deux Grands depuis l’apparition en 1945 de l’arme nucléaire… L’accord START a la particularité essentielle d’offrir aux États-Unis un cadre à l’intérieur duquel ils exercent un contrôle, pour la première fois, sur le potentiel soviétique qui les menaçait très directement. Les Américains, qui ont toujours espéré ce résultat, ont dû attendre que l’empire soviétique s’écroule pour parvenir à leurs fins. M. Gorbatchev n’était plus en situation de s’y opposer : le traité va grosso modo réduire de moitié l’arsenal des missiles sol-sol intercontinentaux soviétiques qui constituent les deux tiers de la force de frappe aux mains de Moscou. Ce n’est pas un mince succès pour Washington qui conserve une supériorité technologique considérable avec ses armes lancées depuis des sous-marins ou par ses bombardiers censés être de plus en plus invisibles. En ce sens, START a aussi son volet négatif. Il laisse la porte ouverte – en autorisant des maxima élevés pour certaines catégories de matériels comme les missiles de croisière – à la prolifération de nouvelles armes nucléaires dont le développement est très déstabilisant ».
Que ce traité profite aux États-Unis, c’est également l’avis d’Alfredo Valladao, dans Libération du 31 juillet 1991. Contrairement à son confrère du Monde, il considère toutefois que les missiles de croisière ou les armes aéroportées sont moins déstabilisants, car plus lentes et plus faciles à intercepter. Puis, il en vient à des considérations plus politiques :
« Missiles et bombardiers nucléaires n’étaient cependant pas seulement une manière de dissuader la menace venant de l’Est. Le parapluie américain garantissait aussi, de facto, le leadership des États-Unis vis-à-vis de leurs alliés européens et japonais. Comment dévaluer le nucléaire et maintenir le rôle de leader ? L’Administration Bush semble vouloir trouver la solution en ressuscitant une version plus modeste de la guerre des étoiles, le GPALS, un système de défense antimissiles qui devrait couvrir également les principaux alliés. Or, seuls les États-Unis ont la capacité d’envisager une aventure militaro-technologique de cette ampleur. En tentant d’associer ses alliés à ce projet, Washington cherche donc à conforter à nouveau son leadership. L’avenir n’est peut-être plus au traité d’Arms Control, mais plutôt aux accords de coopération industrielle. Et dans cette nouvelle hiérarchie politico-militaire, les alliés les mieux armés dans l’ingénierie et les technologies avancées pourraient en définitive peser plus lourd que ceux qui persisteront à défendre leur autonomie en s’appuyant sur les seules forces nucléaires ».
Notre confrère croit-il amoindrir ce qu’il appelle le leadership américain en l’épaulant par de brillants seconds ? Ou bien nous invite-t-il à nous en satisfaire ? En matière de sécurité nationale, les choses ne se présentent pas systématiquement de cette façon. La notion française de dissuasion suffisante apparaîtra sans doute un jour aux superpuissances comme la seule issue. Il semble toutefois, pour l’heure, que le moment ne soit pas encore venu. Quinze jours exactement après la signature du traité START, le Washington Post révélait qu’il n’imposait aucunement la destruction des armes considérées en surplus. D’où ces observations du Quotidien de Paris du 17 août 1991 :
« Voici que l’on apprend, de la bouche même d’un porte-parole officiel américain, que la coupe sombre pratiquée dans les stocks de missiles et d’ogives américains et soviétiques n’est que symbolique ! “Aux termes du traité, les missiles et les têtes nucléaires devant être retirés des arsenaux ne doivent pas obligatoirement être détruits” a déclaré Richard Boucher, porte-parole du département d’État. En fait les deux super-grands espèrent ainsi faire des économies en s’épargnant les investissements nécessaires à la construction de nouveaux lanceurs pour la recherche. C’est du moins la version officielle donnée à Washington. Mais qui ne comprend que la possibilité de réutilisation des missiles balistiques intercontinentaux peut s’étendre très vite du domaine de la recherche à celui de la réutilisation à des fins militaires ? En d’autres termes, et c’est cela l’essentiel, les arsenaux restent intacts. On n’y touche pas ».
En ce qui concerne la France, la réduction du service militaire de 12 à 10 mois n’a pas suscité de commentaires intéressants. Était-il pour autant indispensable, comme certains l’ont fait, de plaindre la dernière classe appelée cet automne et qui ne bénéficiera pas de cette mesure ? Puis on a appris l’abandon du projet de missiles sol-sol itinérants, le S45. Pour réagir, des confrères, comme Le Figaro, ont fait appel à l’avis de personnalités politiques et notre conduite, dans cette rubrique, étant de ne pas entrer dans les arcanes du jeu électoral, il nous est impossible de rapporter leurs propos. Dans Le Monde cependant, Jacques Isnard analyse plus sérieusement cette décision (21 juillet 1991) :
« Le renoncement au S45 ne signifie pas pour autant la disparition des missiles actuellement en silos dans le plateau d’Albion. Ce site continue d’être opérationnel au-delà de la fin du siècle. Les experts étudient d’autres formules que le S45. Le projet d’enfouir en Provence d’autres types de missiles, à la place du S3, continue de faire son chemin : il s’agirait cette fois d’y enterrer des engins sol-sol dérivés du prochain missile, le M5, destiné à armer les sous-marins nucléaires de la nouvelle génération. À cette fin, une dizaine, seulement, de ces missiles dans leur version terrestre seraient déployés en silos. Le coût d’une telle opération est estimé à 15 milliards de francs. Cette solution, qui a des adeptes dans l’entourage du chef de l’État, aurait l’avantage de renouer avec l’idée d’une relative mobilité. Les nouveaux missiles seraient à déploiement aléatoire. La dizaine d’engins retenus ne seraient pas toujours enfouis dans le même endroit. Ils seraient disséminés, et donc dissimulés, dans les dix-huit silos que compte le plateau d’Albion, compliquant ainsi la tâche d’un agresseur pour distinguer avec certitude les puits véritablement armés pour un tir de riposte et ceux qui seraient vides ».
En fait, souligne Philippe Marcovici dans Le Quotidien de Paris du 11 juillet 1991, la dissuasion risque d’être amputée faute de crédits :
« La France a les possibilités technologiques et humaines de pallier les défauts de sa cuirasse et de se doter de l’outil militaire qui lui est indispensable si elle veut continuer à assumer un rôle de puissance sur la scène mondiale. Ce qui lui manque, c’est le nerf de la guerre, autrement dit les moyens financiers ou plutôt et pour être tout à fait précis, la volonté politique de dégager les crédits nécessaires à la défense. Depuis plus de quinze ans, le budget des armées s’inscrit régulièrement à la baisse. 4 % du PNB, 3,7 %, 3,37 %, et probablement n’a-t-on pas encore touché le fond, eu égard à la situation économique actuelle. Aussi faut-il s’attendre à une nouvelle diminution des crédits ou, dans le meilleur des cas, à une dangereuse stagnation à un niveau notoirement insuffisant ».
28 août 1991