Armée de terre - L'opération Libage
L’opération Libage a été menée du 16 avril au 20 juillet 1991, en Irak du Nord à partir de la Turquie, pour venir en aide aux réfugiés kurdes qui avaient fui face à l’armée de Saddam Hussein après la guerre éclair du Golfe. Concentrés par centaines de milliers dans une zone de haute montagne située de part et d’autre de la frontière irako-turque, ils étaient confrontés à des conditions de vie dramatiques, dans des camps de circonstance répartis sur près de 200 kilomètres.
La communauté internationale réagit très vite et les nations alliées, dont la France, s’impliquèrent les unes après les autres pour participer aux opérations de secours à partir de bases implantées en Turquie. Le détachement français, articulé autour de deux régiments parachutistes d’infanterie de Marine, devait très vite atteindre quelque 2 000 militaires.
Véritable opération militaire
L’opération a compté cinq phases. La première, du 16 au 22 avril, correspond à la période des premiers secours d’urgence, pendant laquelle est organisé un relais humanitaire en territoire irakien avec une antenne médicale et une antenne chirurgicale. Parallèlement, la base logistique avancée de Silopi (Turquie) est opérationnelle dès le 29 avril. Le détachement Alat (Aviation légère de l’Armée de terre) s’y installe avec une dizaine d’appareils.
Cependant, pour encourager le retour des réfugiés en Irak, vers leurs régions naturelles d’implantation occupées par l’armée de Saddam Hussein, il devient très vite nécessaire de créer une vaste zone de sécurité répartie en secteurs, s’étendant sur une longueur de 100 kilomètres et une largeur de 50. La responsabilité du secteur le plus à l’est incombe à la France.
La mise en œuvre de cette décision nécessite une véritable opération militaire qui se traduit pour les Français par la mise sous contrôle tactique britannique, du 2 au 6 mai, d’une unité française, la constitution d’un état-major tactique, la réalisation, le 6 mai, d’une opération combinée aéroterrestre sous commandement français pour s’emparer des accès est de notre secteur. Des unités américaines et italiennes participent à cette opération à côté de nos parachutistes. Certaines d’entre elles resteront ensuite sous contrôle tactique français. Un deuxième relais humanitaire est mis en place à compter du 10 mai, afin d’aider les réfugiés au plus loin sur leurs itinéraires de repli.
Après cette deuxième phase, le système d’aide humanitaire français entre dans son régime de croisière. Les actions sont nombreuses : distribution de vivres, de vêtements, transport de réfugiés, déminage, épuration et distribution d’eau, remise en état de l’infrastructure, sont le lot quotidien des parachutistes.
La recherche du renseignement de tout ordre et la coordination des actions entre Alliés, ONG (Organisations non gouvernementales), ONU (Nations unies), deviennent absolument nécessaires et imposent la mise en place d’officiers de liaison.
La ville de Dihok est « ouverte » par les Alliés le 20 mai. Les réfugiés de la plaine, originaires de cette importante cité, amorcent alors, en grand nombre, leur retour.
Les forces alliées ne désirant pas prolonger leur présence en Irak au-delà du temps nécessaire, la coordination de l’aide humanitaire est transférée ensuite progressivement à l’ONU. Les ONG prennent le relais des militaires dans l’action entreprise. Le dispositif français peut donc se désengager progressivement dès le début du mois de juin.
L’opération s’achève par une phase d’attente du désengagement total et de constitution d’une force dissuasive résiduelle, en raison du retard dans la mise en place des Casques bleus de l’ONU et de l’état des négociations entre Kurdes et Irakiens.
Le dernier détachement français quitte l’Irak le 15 juillet, et les troupes embarquent le 19 juillet pour la France, à l’exception d’une compagnie du 8e RPIMa renforcée par une section du 17e Régiment du génie parachutiste (RGP), destinées au bataillon de la force résiduelle.
Des enseignements pour l’avenir
L’Armée de terre avait déjà l’expérience des missions à caractère humanitaire grâce à ses multiples interventions, à Nîmes, en Guadeloupe, à La Réunion, en Arménie… Toutefois, Libage l’a confrontée à une situation nouvelle pour elle en raison de son ampleur et de son contexte.
Les forces de la coalition ont usé du tout nouveau droit d’ingérence sans être placées sous mandat de l’ONU et en l’absence d’un réel cadre juridique, ce qui n’a pas été sans poser quelques problèmes quant à la définition des missions et des actions possibles. L’opération a mis en œuvre des moyens considérables en engendrant au début une certaine « concurrence » entre alliés afin de faire connaître au monde le caractère déterminant de leurs actions nationales. La répartition des responsabilités, non seulement entre Nations mais aussi entre organismes français sur place, a donc présenté quelques difficultés dans les premiers jours, et a nécessité une liaison étroite et permanente avec Paris, en raison de l’implication politique des décisions prises sur le terrain.
L’aspect sécurité a été très important. Seule la couverture du retour des réfugiés par un dispositif adapté face à l’armée irakienne a permis de les décider à quitter la zone. L’opération a donc été bien plus qu’une simple action humanitaire. À partir du 30 juin, c’est d’ailleurs ce volet qui a pris le pas sur l’assistance proprement dite, progressivement prise en charge par les ONG.
Aussi, l’acquisition du renseignement a été primordiale, tant pour connaître les actions des pays alliés que pour estimer les réactions irakiennes ou le volume des flux de réfugiés et adopter un dispositif adapté. Les incertitudes sur la durée de l’opération, dont nous n’étions pas entièrement maîtres, la mouvance du dispositif, n’ont pas simplifié non plus, tant s’en faut, la planification de la logistique compte tenu des distances et des délais d’acheminement.
Cependant, la France, en l’absence d’une entité UEO (Union de l’Europe occidentale), a pu imposer sa propre conception du « relais humanitaire » et a acquis au fil des jours une réelle indépendance et une bonne image de marque.
La coopération avec les forces militaires alliées est rapidement devenue excellente, notamment dans le secteur français où des unités espagnoles, italiennes, belges, britanniques et américaines ont été placées sous notre contrôle tactique. Il semble également que les ONG collaborant avec les militaires français ont été surprises par leur volonté d’ouverture. Cette œuvre commune a certainement permis une meilleure compréhension réciproque, qui est de bon augure pour d’éventuelles opérations de ce type à venir.
Enfin, les parachutistes français qui ont participé à Libage ont pu se convaincre qu’une intervention – qu’elle soit militaire ou humanitaire – se situe toujours dans un contexte de crise où la rapidité d’action, la faculté d’adapter nos moyens à une situation toujours fluctuante, sont les facteurs déterminants du succès.
C’est en ce sens que l’Armée de terre est naturellement préparée à ce type d’action, qui permet en outre à nos engagés de donner le meilleur d’eux-mêmes dans des circonstances aussi dramatiques et dangereuses que celles de bon nombre d’opérations plus spécifiquement militaires. ♦