Marine - L'exercice Îles d'or
Durant la première quinzaine de novembre, la Méditerranée occidentale a été le théâtre de l’exercice aéronaval Îles d’or 91. Organisé par la France, cet exercice biennal n’avait pu se dérouler depuis 1985 : l’opération Prométhée pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak en 1987, puis l’intervention de nos forces aéronavales au large du Liban en 1989, avaient contraint à l’annuler.
Neuf Nations…
Îles d’or est un exercice interallié. L’édition 1991 rassemblait autour de la France huit Nations : le Canada, les États-Unis, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Turquie, auxquels il convient d’ajouter l’Otan, agissant en qualité de prestataire de moyens de guerre électronique notamment.
Pour ces neuf États, l’objectif consistait à entraîner aux opérations du temps de guerre les états-majors de forces aéronavales ou aériennes, les bâtiments et les aéronefs, en les plaçant fictivement dans l’environnement et dans les conditions d’un affrontement armé. C’était aussi l’occasion de mesurer leur capacité à travailler ensemble, en testant et en améliorant l’interopérabilité de leurs équipements et de leurs procédures.
…Cinq porte-aéronefs et trente navires de combat
Les activités, programmées sur une dizaine de jours, mobilisaient 35 bâtiments, dont treize français, et de nombreux aéronefs. Pour la première fois, la rade toulonnaise abritait simultanément cinq porte-aéronefs. Port-base du Clemenceau et du Foch, Toulon accueillait en effet le porte-avions Forrestal de la marine des États-Unis et les porte-aéronefs italien et espagnol. On se souvient que l’Italie et l’Espagne se sont équipées respectivement du Garibaldi en 1985 et du Principe de Asturias en 1988, qui tous deux mettent en œuvre des avions à décollage vertical ou des hélicoptères.
À leurs côtés, étaient déployés frégates, sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire et diesel, pétroliers ravitailleurs et avions de patrouille maritime. On notait également la présence de Mirage 2000, de Mirage III et de Jaguar de l’Armée de l’air française et la participation de moyens de détection aéroportés.
L’ensemble était placé sous le commandement du vice-amiral d’escadre, commandant en chef pour la Méditerranée.
La praxis des opérations
L’exercice s’est déroulé en deux phases. La première, didactique, était en quelque sorte une semaine de mise en condition, qui permit aux acteurs de parvenir par degrés à des niveaux de coopération de plus en plus complexes. La seconde phase, tactique, comprenait d’abord un wargame en vraie grandeur où, pendant trois jours, deux partis ennemis se mesuraient sur mer et dans les airs. Ce jeu libre était suivi de l’exercice de défense aérienne Harmonie Sud-Est, organisé par l’Armée de l’air avec la participation des forces aéronavales américaines et françaises.
Les mauvaises conditions météorologiques dans la zone conféraient un peu plus de réalisme à l’exercice et, en éprouvant équipages et matériel, renforçaient sa valeur de test.
L’interopérabilité indispensable du software…
Au terme de l’exercice, les protagonistes se livraient à une analyse critique des situations, des modes d’action et des règles de comportement. Cette « relecture » fine et systématique des événements permet, après tout entraînement de ce genre, d’identifier forces et faiblesses et, partant, d’améliorer encore l’aptitude des marines à agir ensemble.
La guerre du Golfe a vu poindre un début de coopération européenne dans le domaine naval : la nécessité de coordonner les actions de contrôle de l’embargo et de lutte contre les mines a favorisé, pour la première fois, la constitution d’une force navale placée sous l’égide de l’UEO. Il n’est pas surprenant que les prémices, même timides, de cette coopération entre les Nations européennes aient eu lieu sur mer. Milieu particulier, espace libre et privilégié des échanges et des communications, la mer a naturellement imposé aux marins du monde entier un code de conduite universel. S’agissant des marines de guerre occidentales, elles ont de longue date pris l’habitude de s’entraîner régulièrement et ont ainsi acquis un langage et un savoir-faire communs, la faculté de se comprendre et la souplesse de s’adapter aux situations de crise jusqu’à affronter ensemble les circonstances extrêmes du combat naval.
…comme du Hardware
L’interopérabilité des procédures va de pair avec celle des équipements. Dans le Golfe – autre enseignement du récent conflit –, force fut de constater que la capacité des marines européennes à communiquer avec celle des États-Unis s’était quelque peu dégradée. Cet écart, qu’il conviendra de combler si l’on ne veut pas perdre les acquis d’une coopération efficace, est dû à des choix techniques différents et à des investissements d’une autre échelle, en matière de télécommunications notamment.
Conclusion
Les bouleversements qui, depuis deux ans, secouent avec brutalité les relations entre États ont fait émerger un monde multipolaire aussi instable que périlleux. Nos intérêts, ceux de nos alliés et d’une façon plus globale l’« ordre public international » risquent d’être menacés par des puissances régionales qui, tirant profit de la prolifération incontrôlée des armements, se sont puissamment équipées pour faire valoir des prétentions géopolitiques parfois anciennes.
Maîtriser de tels risques n’est plus à la portée politique ou militaire d’un seul État et rend, plus que jamais, nécessaire la coopération entre les Nations. En jouant Îles d’or et en prenant part chaque année à de nombreux exercices interalliés et interarmées, la Marine nationale se prépare avec d’autres à assurer la sécurité d’un monde devenu bien incertain. ♦