Armée de terre - Réussir le virage du futur
Malgré les incertitudes qui pèsent encore sur la période à venir et bien que le monde ne se soit pas encore stabilisé après le choc causé par l’éclatement du Pacte de Varsovie et de l’URSS, il est toutefois déjà possible de dégager des événements considérables qui viennent de se dérouler quelques tendances lourdes permettant de définir dès maintenant, pour l’Armée de terre, un projet à moyen terme.
Tendances lourdes
Il paraît évident que l’on assiste aujourd’hui à un « évanouissement » de la menace d’une attaque brusquée venant de l’Est ; mais, simultanément, augmente le risque de multiplication de crises à caractère plus limité, plus régional, nécessitant des interventions délicates dans un cadre interarmées, voire international, pour tenter de maîtriser la violence en soutenant l’action diplomatique avec des moyens militaires adaptés. Ainsi est-il sûr que les armées seront de plus en plus un moyen de prévention et d’interposition pour réduire les foyers d’instabilité dans un monde éclaté, et que leur domaine d’action couvrira souvent des opérations humanitaires comme récemment au Kurdistan par exemple.
Cette tendance lourde de l’évolution des futures interventions armées s’accompagne de la prédominance, vérifiée en grandeur réelle dans le Golfe, du facteur technologique. Il semble toutefois que le lancement des programmes les plus spectaculaires soit derrière nous, dans le contexte de la diminution générale des efforts de défense.
Quant à l’évolution vers une défense européenne, elle est inéluctable. Seule demeure l’interrogation sur les délais de sa mise en place. Elle ne se fera pas sans une remise en cause de nos options stratégiques et de la place essentielle, jusqu’à ce jour, du nucléaire dans notre système de défense.
Reste que la crédibilité de notre dissuasion sera maintenue, à un coût sans doute très ajusté, pour optimiser politiquement l’outil dont nous disposons. Demeure également la nécessité pour les forces armées de disposer de personnels compétents et motivés aptes à servir du matériel complexe dans des situations qui ne le seront pas moins.
Incertitudes
Le projet de la future Armée de terre est donc le tronc commun et cohérent des mesures nécessaires à prendre au regard de ces tendances lourdes, afin de mettre sur pied à l’horizon 1997 un outil performant, apte à s’adapter à toutes les évolutions raisonnablement envisageables de la situation internationale et, aussi, aux futurs choix politiques nationaux et européens concernant la défense.
Demeure en effet, envers ces tendances lourdes, une somme d’interrogations dont les réponses sont essentielles à la définition d’une maquette définitive pour le XXIe siècle. Où apparaîtront les foyers d’instabilité les plus sérieux ? Quelle sera la nature exacte de la future défense européenne ? Quel est l’avenir de la conscription en France et en Europe ? Quel sera le montant des ressources attribuées durablement à la défense, en Occident et dans le monde ? Là sont les questions essentielles, parmi beaucoup d’autres.
Aussi, ce projet à moyen terme, bâti sur quelques certitudes et prenant en compte les interrogations qui demeurent, se traduit par une adaptation de nos capacités et de nos moyens de commandement au principe de la modularité : le but est de pouvoir faire face au bon endroit et au bon moment et avec des moyens adaptés, grâce au renseignement, à tout type de risque à partir d’un « réservoir de forces » plus ramassé, mais aussi plus efficace.
L’organique et l’opérationnel
Les forces terrestres pourront donc être à « disponibilité différenciée » en raison du préavis que laisseront les nouveaux risques, et de l’initiative que nous garderons dans nos interventions. Elles seront également modulables et placées – hors intervention – sous des commandements organiques, selon l’organisation en vigueur dans les autres armées.
Ces commandements seront ceux des Circonscriptions militaires de défense (CMD, dont dépendront les forces du territoire), du Corps blindé mécanisé (CBM), de la Force d’action rapide (FAR) et aussi du futur corps d’armée européen [NDLR 2023 : Eurocorps]. Ils trouveront leur place près de ceux de la Force aérienne tactique, du Commandement du transport aérien militaire (Fatac et Cotam) et des Commandements en chef pour l’Atlantique et la Méditerranée (Ceclant et Cecmed). Ils prépareront les forces et fourniront des « modules » à la demande des commandements opérationnels interarmées, en cas de crise, afin qu’ils en disposent pour emploi. Il s’agira, selon le type d’opération à monter et le point d’application, de l’État-major interarmées pour l’Europe ou de l’EMIA hors Europe, ou encore du commandement des forces spéciales.
Il est à noter que cette organisation aurait parfaitement correspondu au contexte stratégique, tactique et logistique de la guerre du Golfe.
Autres mesures
Le projet prend aussi en compte les programmes d’équipements en cours et se traduit par une réorganisation de la mobilisation et de la réserve. Il définit des priorités dans la formation, l’instruction, l’entraînement et la disponibilité. L’effort de productivité conduit par l’armée de terre depuis de nombreuses années sera bien sûr poursuivi, tout en prenant en considération la recherche de l’amélioration des conditions de travail et de vie de l’ensemble des militaires, et plus particulièrement des militaires professionnels. Il s’agit d’un projet qui vise donc à faire prendre par l’armée de terre, dans les meilleures conditions, le virage du futur. ♦