L’arme nucléaire française, pourquoi et comment ?
L’histoire de l’arme nucléaire française restait à écrire. C’est chose faite, et à un moment opportun : l’Union soviétique, dont la malignité fut à l’origine du prodigieux développement des armements comme de l’élaboration des doctrines de dissuasion, vient de disparaître. Les deux auteurs forment une bonne équipe. L’amiral Duval, ancien directeur de notre revue et observateur perspicace des évolutions stratégiques, fut le témoin direct de la gestation de la stratégie américaine, puis de son adaptation française ; il explique le pourquoi. Yves Le Baut, qui a servi de 1962 à 1988 au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), décrit le comment.
Les anciens revivront les hésitations des commencements, les tâtonnements des Américains partagés entre menace dissuasive et appui de la bataille, et les exercices de notre propre École de Guerre où l’on s’essayait, consciencieusement, à insérer l’arme nouvelle dans le combat classique : tâche impossible, et impossibilité fondatrice. On retrouvera les précurseurs, Ailleret le pionnier et l’initiateur du « tous azimuts », Gallois l’apôtre de la rigueur française, opposé à Aron l’atlantiste, et entre les deux jouteurs, Beaufre ; mais tous engagés dans de pathétiques efforts pour exalter ou apprivoiser l’arme, avant que le centre de prospective et d’évaluation, avec Lucien Poirier, ne fixe le modèle stratégique français.
Maints rappels sont utiles, et certains étonnants : ainsi de l’incroyable Davy Crocket, lance-missile portable crachant à 3 000 mètres une arme de 0,25 à 5 kilotonnes ; de la grande décision, prise par Félix Gaillard un mois et demi avant le retour au pouvoir du général de Gaulle ; de la curieuse affirmation de celui-ci à propos de l’arme tactique (« À quoi bon perfectionner l’apocalypse, il vaut mieux faire l’effort sur ce qui se passerait avant ») ; de la source khrouchtchévienne du slogan bombe à neutrons, arme capitaliste.
L’amiral Duval n’élude pas le délicat problème de la responsabilité personnelle du chef de l’État. Il nous fait mesurer la distance qui sépare la discrète fermeté du général de Gaulle de l’aveu regrettable livré dans ses mémoires par Valéry Giscard d’Estaing.
Les évolutions les plus récentes sont exposées. Si l’alternance politique n’a en rien modifié l’effort nucléaire de notre pays, la dérive fut nette qui, avec le Hadès, déconnecte l’arme de la bataille terrestre. Yves Le Baut plaide en faveur du maintien des essais, facteur de crédibilité. Enfin l’amiral Duval insiste, non sans audace, sur la perspective de « délégitimation » de l’arme nucléaire, qui serait de nature à « rendre plus difficile le maintien du large consensus national qui entourait notre appareil de dissuasion ».
Préfacé par Jean-Baptiste Duroselle, qui préside le Groupe d’études français d’histoire de l’armement nucléaire (Gréfhan), cet ouvrage de référence allie précision de l’information et clarté du style. Il est complété d’une présentation des données de base de l’histoire nucléaire française et illustré de plus de trente photographies qui sont autant de documents édifiants.
Marcel Duval et Yves Le Baut ont traité avec talent un grand sujet. L’histoire de la bombe, si brève, est un bon exemple de l’accélération des temps modernes. En moins de cinquante ans tout a été fait, tout a été dit. L’arme nucléaire est un point final… point d’exclamation ! ♦