La genèse du nouvel ordre mondial
Le lecteur est inévitablement quelque peu sceptique, voire réticent, en ouvrant le énième livre de la saison relatant l’éclatement de l’URSS et les malheurs du Tiers-Monde. Le titre ronflant et le découpage en trois parties en usage rue Saint-Guillaume font craindre le pire. Disons d’emblée que cette injuste prévention tombe dès le premier chapitre, pour faire place à de l’admiration devant la qualité de l’œuvre accomplie, et à de la sympathie pour les auteurs.
Cet ambitieux panorama des douze dernières années est complet ; tout y est, jusqu’à la couche d’ozone, épaisse ici de douze lignes. Quelle est la provenance de ce savoir encyclopédique ? Il y a lieu, pour répondre à cette question, de consulter la bibliographie, où se côtoient tous les grands noms du Gotha géopolitique. Lefebvre et Rotenberg ont fait leur marché auprès des meilleurs fournisseurs de la place, et avec de bons produits ils ont fait de la bonne cuisine.
Ils ont tout d’abord mis de l’ordre et évité ainsi le ragoût, en excluant les fatigants retours en arrière et les répétitions, grâce à la fois à un plan arbitraire mais rigoureux, au rejet dans un dernier chapitre des divers problèmes mondiaux de société et à un système de renvois difficile à prendre en défaut. Avez-vous l’impression de déjà-vu page 283 avec cette histoire de sous-marin nucléaire loué par l’Inde aux Moscovites ? Cela n’a pas échappé, avant vous, au rédacteur qui vous renvoie illico page 219. Étant donné la vocation pédagogique du document, il s’agissait d’un impératif de clarté qui a été parfaitement respecté.
Il n’est pas possible en même temps d’élargir et d’approfondir, comme on le sait bien à Bruxelles. Le spécialiste tatillon de tel ou tel domaine trouvera donc peut-être matière à critique sur quelque point de détail ; mais la concision est la rigueur, la digression pédante exceptionnelle (l’islam, page 236). L’essentiel sur la chute de Duvalier ou celle de Marcos tient en des alinéas courts et suffisants ; le récit de la révolution roumaine, celui de la démarche zigzagante de Gorbatchev, sont des modèles de raccourcis historiques. Les plats les plus denses sont rendus digestes par une rédaction limpide, une présentation soignée et une cartographie impeccable. Un certain sens de la formule vient çà et là pimenter le texte (« le Japon n’a plus de modèle dont il pourrait s’inspirer, il est devenu lui-même le modèle » … « Israël pour les Arabes à la fois facteur d’unité et symbole d’échec »).
L’exposé est objectif. On ne propose point ici de « nouvelle cuisine ». Si l’apparition d’un « national-populisme » pouvant présenter certains risques est citée à propos de l’Europe de l’Est, c’est sans passion ni catastrophisme. Les prises de position personnelles, dont la multiplicité eût été inopportune, nous ont paru limitées à la réhabilitation de Jaruselski et à un coup de patte aux prophètes du réveil de la Chine.
Parler de synthèse serait évoquer un impossible défi. « Esquisser les contours du nouvel ordre international » était un objectif raisonnable, atteint au mieux. Pour une Belle au bois dormant qui serait tombée en léthargie lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge, et aurait vu sa peine commuée à l’occasion du 14 juillet 1992, on ne peut imaginer meilleur cadeau pour la remettre au courant. En conclusion de ce compte rendu, comme il n’y a pas de raison de s’étendre sur les Kouriles plutôt que sur le Golan, inspirons-nous de Patrick Wajsman, auteur de la préface exprès : « Lorsqu’un ouvrage est bon, le commentateur peut se permettre d’être bref ». Celui-ci étant excellent, il est inutile pour lui d’abuser plus longtemps de la patience du lecteur. ♦