Le jeu politique
Nous avons reçu ce livre avec enthousiasme, tant il était alléchant en apparence. Nous l’avons feuilleté avec gourmandise, lu avec espoir et refermé avec perplexité. À l’évidence, l’auteur connaît bien le milieu… politique, bien sûr ! Il est même possible que certaines clefs échappent au lecteur « lambda » (pour reprendre un qualificatif employé ici à plusieurs reprises). On rencontre nombre de tournures heureuses dans leur noirceur : « monter un coup est comme décider d’un investissement », ou « trouver de bons mensonges est un métier ». Nous avons relevé de fort bonnes pages sur la manipulation de l’information (88 et s.), sur la souffrance de la défaite (161), sur l’analyse de la crise (170 et s.).
Des impressions de déjà-vu surgissent lorsqu’il est question de « dramatiser au bon moment pour obtenir certains consensus », ou de « laisser au successeur le soin de régler les problèmes », et on serait tenté de réclamer des noms à propos d’un chef de parti mal entouré ou d’un Premier ministre lâché par tous en période de liquidation ; mais l’auteur ne pousse pas l’avantage dans ce domaine : peu d’exemples, tous relativement anciens, comme les diamants de Bokassa, Panama ou même le 16 mai de Mac-Mahon. Pas un mot sur le sujet à la mode : la corruption ; est-il devenu prudent à force de découvrir les calculs de ses héros ? Plus vraisemblablement, il s’interdit de verser dans la polémique et veut rester dans l’univers conceptuel de l’enseignant qu’il est ; on ne saurait le lui reprocher.
En revanche, nous nous permettons de critiquer l’absence de structure de cet ouvrage pessimiste, trop désordonné pour un manuel de science politique, trop long pour un pamphlet. Les titres et sous-titres, l’énoncé fréquent de « règles », « principes », « axiomes »… les analogies avec la tactique militaire ne doivent pas faire illusion. Que l’on soit plongé dans le chapitre théoriquement consacré à la « manipulation », au « mensonge » ou au « risque », les mêmes idées (certainement judicieuses !) sont brassées et rebrassées à longueur de page, comme des boules du loto qui s’agiteraient toujours et ne retomberaient jamais ; maintenir le taux de « fiducia », ne pas casser le jeu, écarter l’idéologie, respecter les tabous… avec au passage quelques contradictions : le joueur a rarement le goût du risque page 144, alors qu’il adorait les joutes page 4 (« moins on a de cartes, plus la partie est passionnante »).
Cette impression de perpétuelle redondance est accrue par l’utilisation d’un vocabulaire abusivement varié qui aboutit à un style en quelque sorte « énumératif », c’est-à-dire se refusant à employer un nom, un adjectif ou un verbe autrement que sous la forme d’une cascade rarement inférieure à cinq termes plus ou moins synonymes. Les initiés « observent, dissèquent, analysent, réfléchissent, conseillent », tandis que le joueur est entouré de « ses conseillers, ses officieux, ses experts, ses amis, ses domestiques, ses parasites » ; on ne trouve en politique que « menaces, rivalités, soupçons, défiances, servitude, coups fourrés, ingratitude, souffrances » et toute réussite suppose « sacrifice, ingratitude, cruauté, cynisme, mépris, haine, fanatisme »… Ouf ! À se demander si on a bien parcouru, lu, relu, interprété, compris, assimilé, digéré, synthétisé et intégré les passages en question. Est-ce pour traiter cette pathologie que le livre est préfacé par un médecin ?
Trois mots dominent et résument le discours : plaisir, mensonge et cruauté. Le constat est rude et sans doute mérité ; il ne contribuera pas à restaurer la confiance de l’électeur dans le système. L’apport le plus original et le plus impressionnant nous a paru porter sur l’obsession de la fuite du temps : on vieillit vite dans ce métier, et « le politique ne conçoit pas le jeu à plus de six mois ». Alors le long terme dans tout cela… après nous, le déluge ! Le reste, on s’en doutait, surtout quand il s’agit d’élever au rang d’« axiome » une vérité du genre : « on ne saurait tout prévoir, on ne sait jamais ce qui peut advenir » (p. 180).
Un bonhomme castrothéodoricien avait déjà raconté tout cela en peu de mots bien avant les républiques. Il mettait en scène des quadrupèdes et des volatiles et constatait que « tout flatteur vit aux dépens… », ou que « rien ne sert de courir… ». Il nous a semblé que Le jeu politique ne contredisait ni le fabuliste, ni le Bébête show, mais n’ajoutait vraiment pas grand-chose à l’affaire. ♦