Les pays d’Europe occidentale
Ce livre fait partie de la liste imposante des publications proposant une mise à jour périodique des données de la conjoncture internationale. Sans la caution d’Alfred Grosser, on crierait à l’ambition démesurée à la seule lecture du titre. Seize universitaires français, allemands et belges se partagent dix-huit pays, dans le but d’en retracer l’« évolution politique, économique et sociale » au cours de l’année 1991 et du début de 1992. Connaissant bien leur affaire, ils parviennent à faire apparaître l’essentiel selon une permutation offrant un nombre très limité de combinaisons entre les trois facteurs étudiés. Les textes sont complétés en annexe par une chronologie, la liste des partis, la composition du gouvernement et éventuellement les résultats du plus récent scrutin.
Les auteurs ont chacun leur style et leur personnalité propres. Nous avons apprécié certains chapitres (par exemple sur l’Italie ou les Pays-Bas) plus que d’autres : question de goût et d’humeur du moment, ce qui n’empêche nullement l’homogénéité de l’ensemble. Il y a beaucoup à retenir dans nombre de formules heureuses et caractéristiques : le thatchérisme à visage humain du « nice guy » Major qui se révèle à l’usage fin manœuvrier ; la « diplomatie du chéquier compensant la discrétion militaire » allemande au service des entreprises onusiennes ; le « mélange de gaspillage et d’innovation » typique de l’économie italienne… Le citoyen non informé du détail de ce qui se passe hors de nos frontières sera surpris de constater l’ampleur des projets d’équipement au Portugal, la violence du terrorisme en Grèce, ou encore cette cordialité contre nature des relations entre Fidel Castro et le « réactionnaire » espagnol Iribarne. Les annexes permettent également de découvrir des éléments intéressants ou insolites, comme la très forte participation du SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne) dans les gouvernements des Länder ou la non moins forte proportion de jupons parmi les responsables scandinaves.
Le morceau de bravoure est inattendu : l’idée était originale de confier pour clore la marche l’examen de la situation française à un œil étranger, celui d’un professeur de l’université de Würzburg, Adolf Kimmel. Le résultat est une volée de bois vert assenée avec vigueur sur notre « monarchie républicaine » par un auteur alliant la précision dans l’analyse, la rigueur dans l’exposé et une évidente connaissance de son sujet.
Bien des analogies viennent à l’esprit au cours de la lecture, par exemple entre la situation politique italienne et celle de la fin de notre IVe République. Plus généralement, les similitudes entre les pays étudiés sautent aux yeux : faiblesse de la croissance et morosité économique, compression d’effectifs et crise de l’emploi, politique sociale ambitieuse dépassant les moyens réels et désenchantement face aux célèbres « modèles » d’antan, vigueur des courants réformateurs au sein des partis communistes, percée des Verts oscillant entre militantisme et tactique partisane, hésitations quant au traitement de l’immigration facilitant la résurgence de l’extrême droite, enfin désaffection du corps électoral vis-à-vis d’une classe politique jugée corrompue et préoccupée plus par les querelles intestines que par la recherche des solutions aux vrais problèmes. Il revient au lecteur de relever, de comparer et de généraliser à son gré. La synthèse n’est pas offerte en prime. Alfred Grosser se contente d’un court exposé introductif sur la Communauté « contestée et désirée », si difficile à mettre en place, mais objet de convoitise pour les candidats qui se bousculent au portillon.
Voici donc un ouvrage de fond solide, intéressant surtout pour ceux qui ne rougissent pas de ne pas être informés sur l’heure du changement de titulaire du portefeuille des legs et hypothèques en Austrasie et qui, du fait de leurs fonctions ou de leur statut, peuvent se borner à prendre connaissance avec quelque retard, mais aussi en bénéficiant d’un certain recul, des tendances majeures prévalant sur le continent. Ils auront pu entre-temps consacrer leurs soirées à leurs passe-temps favoris plutôt qu’à la consultation de quotidiens austères. ♦