Défense dans le monde - Érythrée : naissance d'une nation
Divisée entre populations des plateaux et de la plaine, mosaïque d’ethnies et de langues partagée en deux groupes religieux à peu près égaux, l’un copte, l’autre musulman sunnite, l’Érythrée accède à l’indépendance le 24 mai 1993 après trente années de guerre et de destructions.
Héritées des longues luttes pour l’indépendance, les forces de défense érythréennes sont considérées comme les forces armées les plus structurées et les plus puissantes de la corne de l’Afrique. Leur frugalité, leur discipline, leur ingéniosité leur avaient valu le respect et l’admiration des spécialistes.
En ce qui concerne la défense, le défi auquel est confronté aujourd’hui le pouvoir érythréen tient en deux points : la démobilisation d’une partie des combattants ainsi que la mise sur pied de forces armées réduites mais modernisées.
Un environnement incertain
La principale menace qui pèse sur l’Érythrée est la remise en cause de ses frontières.
Administrée par l’Italie en 1889, puis par le Royaume-Uni en 1941, l’Érythrée aurait dû devenir une entité indépendante en 1952 dès le départ de l’occupant britannique. L’ONU l’a toutefois fédérée à l’Éthiopie en 1952, mais, au mépris de la résolution 390 (a) des Nations unies (datée du 2 décembre 1950) qui disposait qu’Addis-Abeba devait traiter l’Érythrée comme une entité autonome, l’empereur Hailé Sélassié a fini par l’annexer le 14 novembre 1962.
Quarante années d’isolement international et trente années de guerre de libération ont coûté aux maquisards érythréens plus de 100 000 tués dans ce qui a été la plus longue guerre du XXe siècle.
Asmara redoute aujourd’hui que l’Éthiopie, privée désormais de façade maritime, ne recherche dans l’avenir de nouveaux débouchés sur la mer Rouge, même si le chef d’État éthiopien actuel, M. Meles Zenawi, est l’allié le plus sûr du président Afeworki, en raison des relations privilégiées établies dans le maquis entre FPLE (Front populaire de libération de l’Érythrée) et FPLT (Front populaire de libération du Tigré).
Les forces armées dont l’Érythrée demeure aujourd’hui dotée constituent l’outil militaire le plus redouté de la corne de l’Afrique. Elles dissuadent les voisins d’exercer à court terme des menaces sur le jeune État. L’armée érythréenne va pourtant perdre de sa qualité au fur et à mesure de la démobilisation de ses combattants et du vieillissement de ses matériels qu’elle n’aura pas les moyens de remplacer. D’ici vingt ans, pour peu que l’Éthiopie se redresse, les trois millions et demi d’Érythréens ne pèseraient pas lourd face à leurs voisins du Sud, qui seront alors 100 millions.
Érythrée : répartition ethnique
Les menaces intérieures, aujourd’hui sous-jacentes mais réelles, constituent, en revanche, la préoccupation immédiate des autorités. Le particularisme afar pose à cet égard le principal obstacle à la mise sur pied d’une nation homogène. Même s’ils ne représentent qu’une centaine de milliers d’hommes, les Afars occupent la province de Dankalie, sur 500 kilomètres de côtes ; ils peuplent Assab, premier port d’Érythrée et seule raffinerie de la corne de l’Afrique. Les Afars de la partie sud de la Dankalie ressentent, de plus, des liens d’allégeance à l’égard de leur « suzerain » de l’Aoussa, actuellement le sultan Ali Mirah, dont le territoire s’étend, en Éthiopie, sur les confins érythréens et djiboutiens.
Moins préoccupant dans l’immédiat que l’irrédentisme afar, le risque de rivalités entre chrétiens de langue tigrinya, occupant les hauts plateaux, et les musulmans arabophones des plaines côtières constitue le second souci des autorités d’Asmara. Le refus du président Afeworki d’adhérer à la Ligue arabe, les relations privilégiées qu’il entretient avec Israël ainsi que la vigilance exercée par les autorités d’Asmara à l’égard des fonds provenant de la péninsule Arabique ou du Soudan destinés au financement de mosquées, peuvent conduire les tenants d’un islam radical à rechercher la déstabilisation du jeune État.
Enfin, les projets de démobilisation d’une forte proportion de militaires peuvent alimenter les frustrations des anciens combattants de la guerre de libération.
La politique de défense : prudence et efficacité
Principal objectif des nouvelles autorités, la démobilisation d’une bonne partie des quelque cent mille hommes que comptent actuellement les forces armées, pour les ramener à un niveau de 40 000.
Les principes qui guident la politique de défense érythréenne sont la préservation de l’esprit de la guerre de libération, l’affirmation sourcilleuse de la souveraineté nationale, y compris dans les eaux bordant la côte érythréenne, l’indépendance nationale et la mise sur pied de forces plus contractées mais rénovées, capables d’appuyer les ambitions régionales d’Asmara et de s’opposer à toute remise en cause des frontières terrestres ou maritimes.
Les structures actuelles du pouvoir conservent le caractère pyramidal des fronts de libération. Le chef de l’État, chef du gouvernement, chef suprême des armées, arrête la politique de défense. Il est assisté d’un ministre de la Défense, qui est également le deuxième personnage de l’État et qui est chargé d’exécuter la politique de défense.
Le chef d’état-major des armées a sous ses ordres un état-major général, quatre corps d’armée, des unités de réserve générales, des forces navales et une armée de l’air embryonnaire.
Les personnels militaires mènent de front des activités d’entraînement et des tâches civiles pour la réhabilitation de l’infrastructure du pays : travaux agricoles et forestiers ; préservation des sols et de l’environnement ; reconstruction de routes, de voies non bitumées et d’aérodromes ; construction d’écoles, de dispensaires et d’entrepôts.
Un équipement obsolète mais bien servi
L’armée de terre dispose de matériels d’une grande diversité, essentiellement d’origine soviétique, quelquefois occidentale, le plus souvent récupérés sur l’ancienne armée éthiopienne. La marine dispose d’une frégate type Petya en mauvais état général et de plusieurs vedettes rapides. L’ingéniosité du FPLE avait permis de « bricoler » des systèmes d’armes en fabriquant de manière artisanale des pièces de rechange.
L’armée érythréenne conserve le sens de la discipline, la disponibilité et l’efficacité hérités de la lutte de libération. La fraternité d’armes a créé entre les combattants d’hier une solidarité qui dépasse les clivages ethniques ou religieux. La qualité des personnels et l’excellente utilisation des matériels disparates en leur possession en font l’armée la plus structurée et la plus puissante de la sous-région. La démobilisation de plus de la moitié des combattants peut toutefois susciter des frustrations, aggravées par des conditions matérielles précaires. ♦