La coopération policière européenne contre le terrorisme
On est prié de ne pas oublier la sécurité parmi les objectifs de la construction européenne. Qu’un enseignant lyonnais fasse paraître à Bruxelles un livre consacré à la lutte concertée contre le terrorisme constitue un pas encourageant dans la bonne direction.
Le lecteur voudra bien ne pas négliger l’avant-propos concis du contrôleur général Querry, lequel trace excellemment le cadre : banalisation du recours à la « diplomatie armée », lente prise de conscience des Européens face au péril commun, union réalisée non sans mal sous la pression des événements. Pour sa part, l’auteur souligne les trois grandes difficultés de l’entreprise : la délimitation du champ d’action face à des atteintes multiformes dans leurs manifestations, variées dans leur origine géographique aussi bien qu’idéologique, et ne se distinguant pas a priori d’autres types de grande criminalité ; le respect des sensibilités nationales et prérogatives étatiques parmi des pays inégalement concernés par le phénomène ; enfin le souci de concilier les inévitables mesures de prévention, de contrôle et de répression avec la religion des droits de l’homme.
L’ouvrage comporte de précieux tableaux récapitulatifs présentant les groupes terroristes agissant chez chacun des « Douze », les dispositions pénales, les moyens de lutte et la participation des États aux institutions internationales traitant exclusivement ou partiellement de l’antiterrorisme. Parmi celles-ci, l’auteur en privilégie deux sur lesquelles porte l’essentiel de l’étude, au moins en volume. Il s’agit d’une part des aspects de l’accord de Schengen qu’on pourrait qualifier de « correctifs », c’est-à-dire l’ensemble des précautions prises en 1990 par la convention d’application, en contrepartie de la liberté de circulation proclamée par les cinq pionniers réunis en Luxembourg un lustre auparavant (les textes, brièvement commentés dans la première partie du livre, figurent in extenso dans 70 pages d’annexe) ; d’autre part, toute la deuxième partie relate l’institutionnalisation de la conférence Trévi.
Est-ce l’effet d’un scrupule exagéré dans la description d’une lente gestation ? Celui de la déformation professionnelle dans l’emploi d’un langage juridique accumulant précisions et redondances pour éviter toute ambiguïté dans l’interprétation ? L’exposé nous a paru par moments d’une densité susceptible de l’enfoncer jusqu’au fond de la célèbre fontaine romaine. « La pratique est un élément du processus de création des textes… Le processus de création des textes… fait une large place à la pratique » (p. 56). « La tautologie plane, menaçante, comme le couteau du terroriste ». Pourquoi dire trois fois en 26 lignes (p. 109-110) que légèreté des structures et permanence ne sont pas contradictoires ? Il est également possible que l’auteur – qui en sait sans doute plus qu’il n’en dit – ait été gêné par les impératifs de confidentialité, là où de nombreuses dispositions revêtent par nature un caractère secret ; le professeur Chapal évoque cet obstacle dans sa préface.
Après tout, ce laborieux parcours ne fait que restituer les affres que connurent les diplomates bien avant le lecteur. Il permet au moins de suivre le passage de la concertation à la coopération, de comprendre la nécessité d’une « organisation au sens logistique et au sens des procédures » ainsi que celle d’un équipement informatique perfectionné comme celui de Schengen, de prendre en compte les conséquences financières, de réfléchir sur l’équilibre à réaliser entre centralisation et souplesse. En ouvrant le livre, chacun était déjà convaincu de l’intérêt présenté en matière de terrorisme par une volonté politique commune, des mécanismes adaptés et la mise en place d’un droit européen. Peut-être était-il possible à moindres frais de communiquer les informations détaillées susceptibles de renforcer cette conviction, de mesurer le chemin parcouru et de faire apprécier les limites de l’affaire ? ♦