Afrique - La sécurité dans certains États africains reste un sujet préoccupant
Réformes économiques libérales et démocratisation des systèmes politiques marquent très fortement les profondes transformations dans lesquelles l’Afrique noire s’est engagée depuis le début de la décennie. À mi-parcours de cette dernière, le bilan de ces changements est sans nul doute significatif : la quasi-totalité des pays ont organisé des élections pluripartistes et démocratiques, les droits de l’homme sont globalement mieux respectés, la liberté de la presse est devenue la règle, les grands secteurs de l’économie sortent progressivement de la mainmise inefficace et arbitraire des États et le rôle du secteur privé formel est reconnu et favorisé… Bien sûr, les difficultés, pour la mise en place d’États de droit remodelés et modernisés ou pour attirer les investisseurs étrangers, sont encore importantes ; mais il est indéniable que les voies du changement politique et économique se précisent et progressent.
Il reste en Afrique un lourd handicap, dont le bilan, pour cette même période, paraît sans conteste beaucoup moins encourageant et qui concerne la persistance d’une insécurité de plus en plus difficile à maîtriser. Pourtant, globalement, depuis le début de la décennie, on constate dans ce domaine quelques tendances apparemment positives.
En premier lieu, les statistiques disponibles, même si elles ne sont que relativement fiables et précises montrent clairement que les dépenses militaires des pays d’Afrique noire, qui n’étaient déjà pas démesurément élevées par rapport à d’autres régions du Tiers Monde, connaissent une baisse continue. Elles représentaient, selon les sources, entre 3 et 4 % du PNB dans les années 80. Dans les années 90, elles sont tombées entre 2 et 3 % du PNB, ce qui est le taux le moins élevé du monde avec l’Amérique latine.
En second lieu, on note la même tendance pour ce qui concerne les importations d’armes. Celles-ci étaient évaluées pour l’Afrique au sud du Sahara à 3,6 milliards de dollars en 1993 (10 % du total des importations), atteignaient 5 milliards en 1987 (17 % des importations) pour retomber à 240 millions en 1993 (4 % des importations).
En troisième lieu, il apparaît que les progrès récents dans le règlement pacifique des conflits frontaliers, qui ont longtemps été un élément majeur de l’insécurité, se confirment. La Cour internationale de justice de La Haye devient une institution de référence pour le règlement de ces conflits. Après le différend tchado-libyen sur la bande d’Aouzou, celui entre la Guinée-Bissau et le Sénégal (frontière maritime) s’est soldé fin 1995 par un retrait de la plainte déposée par la première à la CIJ. De plus, le conflit entre le Cameroun et le Nigeria à propos de la presqu’île de Bakassi a également été transmis à la CIJ en 1995 où la procédure suit son cours normal. Enfin, il faut espérer que cette dynamique forte conduise l’Érythrée et le Yémen, qui viennent en décembre 1995 de s’affronter à propos des îles Hanish situées au milieu de la mer Rouge à proximité du détroit de Bal el-Mandeb, à recourir à la Cour de La Haye pour régler ce nouveau différend territorial.
En quatrième lieu, on constate, toujours depuis le début des années 90, un mouvement de plus en plus ample sur le continent dans le sens d’une restructuration des forces armées, avec pour objectif de réduire les effectifs pléthoriques inefficaces et coûteux, redéfinir les unités en fonction des nouvelles exigences de sécurité, professionnaliser davantage les hommes, mettre en œuvre des politiques d’équipement moins lourdes et surtout mieux adaptées aux besoins. Désormais, plusieurs dizaines de pays africains sont engagés sur cette voie. L’entreprise est difficile, coûteuse, mais nécessaire. Elle est en tout cas appuyée avec bienveillance par les partenaires et bailleurs de fonds du Nord.
En cinquième lieu, on voit se créer depuis peu une dynamique régionale dans la prévention des conflits en Afrique, avec les efforts déployés par l’OUA pour la mise en œuvre d’un mécanisme ayant pour but, dans un premier temps, d’intervenir avant qu’un conflit ne risque de prendre des proportions désastreuses, et dans un deuxième temps de trouver les moyens de mettre en place une capacité militaire d’interposition et de maintien de la paix. Face aux désengagements des coopérations militaires bilatérales et aux limites des capacités onusiennes, un véritable consensus panafricain est en train de se former sur ce processus. Là encore, l’appui des grandes puissances, États-Unis, Grande-Bretagne, Canada et France, est tout à fait clair.
De plus, derrière ce processus panafricain engagé par l’OUA, on a vu se multiplier les forums de discussion sous-régionaux axés sur la sécurité : entre les pays d’Afrique de l’Ouest pour la mise sur pied d’une capacité sous-régionale de maintien de la paix ; toujours en Afrique de l’Ouest où les sept pays signataires de l’Anad (Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense) se sont réunis à Nouakchott à la mi-décembre 1995 pour redynamiser cette organisation ; autour du Sahara encore, où les États sahélo-sahariens ont notablement développé en 1995 leur concertation sur la sécurité de la zone ; en Afrique australe enfin pour ne citer qu’un autre exemple, où un comité interrégional de sécurité a été mis en place en septembre 1995, présidé par l’Afrique du Sud. Trafics de drogue et d’armes, criminalité, migrations clandestines, mais aussi éventualité de créer une force de maintien de la paix : les objectifs de ce comité incluent l’ensemble des questions de sécurité de la région.
Il n’en demeure pas moins que ces tendances nouvelles qui se dégagent en ce qui concerne la sécurité en Afrique depuis le début des années 90, ne produisent pas encore d’effets suffisamment significatifs. Ainsi, les conflits et crises graves qui avaient fortement marqué l’année 1994 n’ont pas été, en 1995, vraiment résorbés et n’ont pas permis de trouver des solutions politiques et militaires définitives et durables. En Algérie, en Angola, au Liberia, au Rwanda par exemple, des progrès ont certes été accomplis, mais rien en 1995 n’a vraiment abouti. Au Burundi, le pire a sans doute été évité, mais aucune solution convaincante n’a pu être dégagée. En Somalie, au Soudan, en Sierra Leone, les conflits internes et leurs effets désastreux ont persisté. Le conflit touareg et celui de la rébellion casamançaise, en dépit des notables efforts de négociation pour la conclusion d’accords, n’ont pas été vraiment résorbés.
Les crises internes au Nigeria ou au Zaïre ont au contraire accru les inquiétudes des Africains et de l’ensemble de la communauté internationale. La situation au Tchad ne s’est pas améliorée… La liste reste longue de ces conflits et crises qui paraissent interminables et qui conduisent un groupe de pays à subir une dégradation considérable de leur potentiel économique et humain, et à se retrouver en quelque sorte en marge des autres États du continent dans lesquels les réformes politiques et économiques récentes ont pu engendrer des raisons d’espérer.
Pire même, l’instabilité chronique qui s’est installée dans ces pays tend à devenir une menace économique, politique et militaire pour les autres. Ces conflits ont largement favorisé le développement du banditisme, de trafics et contrebandes en tout genre ; ils ont provoqué une dangereuse prolifération de bandes armées, un accroissement inquiétant du nombre des réfugiés et personnes déplacées… autant de phénomènes, particulièrement difficiles à maîtriser et qui font des ravages dans les pays voisins. Un des exemples les plus significatifs : la circulation sur le continent de stocks considérables d’armes légères échappant à tout contrôle gouvernemental, et qui permet aux mouvements d’opposition armés, autant qu’au banditisme transfrontalier, du Sahara à l’Afrique australe, de rendre le règlement de nombreux conflits extraordinairement difficile. Face à ce problème, devenu si préoccupant, on n’a pas vu en 1995 beaucoup de solutions apparaître. Il mériterait sans aucun doute de devenir une priorité pour la sécurité de l’Afrique en 1996. ♦