Nous avons te plaisir d’inaugurer une nouvelle chronique qui permettra à nos lecteurs de se tenir informés des évolutions réelles ou envisagées de la Gendarmerie. L’auteur en est François Dieu, maître de conférences de science politique et chercheur au Centre d’études et de recherches sur la police, qui a déjà écrit dans notre revue.
Gendarmerie - Le service de nuit des brigades de gendarmerie
Dans le prolongement de ce qu’il est convenu d’appeler le malaise de la Gendarmerie de l’été 1989, l’objectif d’améliorer les conditions de vie des personnels de ce corps s’est principalement traduit par le projet de dissocier la disponibilité du gendarme de celle de la Gendarmerie. La réduction de moitié des astreintes pesant sur les gendarmes (avec l’attribution, depuis 1990, de cinq quartiers libres par quinzaine aux sous-officiers et aux gendarmes auxiliaires servant dans les unités de gendarmerie départementale) a été réalisée au moyen d’une profonde réorganisation du service rendue possible, compte tenu de l’attachement au principe du maillage territorial (une brigade par canton) et d’une augmentation relativement limitée des effectifs, par la mise en place d’un système de traitement centralisé des interventions de nuit.
Véritable convention collective de la Gendarmerie, la circulaire du 30 mai 1991, tout en rappelant que « la continuité du service public dans l’espace et le temps est une obligation à laquelle il ne peut être dérogé », précisait ainsi que « si la disponibilité de la gendarmerie doit être permanente, celle des militaires de la gendarmerie peut connaître des interruptions ». Ce texte a été récemment abrogé et remplacé par une circulaire du 8 février 1994 qui opère, au terme de près de trois années de fonctionnement, certaines modifications du système des interventions de nuit qui, à en juger par diverses inquiétudes et récriminations d’élus locaux relayées par des parlementaires, ne semblait que partiellement répondre à l’idée de service public à laquelle les populations paraissent si attachées.
À maints égards, cette réforme est significative de l’étendue des attentes sécuritaires du monde rural vis-à-vis de la gendarmerie. En effet, dans le système mis en place à partir de 1990, chaque jour, de 19 heures jusqu’au lendemain 7 heures, tous les appels adressés par téléphone ou par le « portier de nuit » (Interphone installé à l’entrée de chaque brigade) aux différentes brigades étaient renvoyés automatiquement, grâce à un déviateur d’appel, à la salle de veille du centre opérationnel du groupement (COG). Dans l’hypothèse où l’intervention de forces de gendarmerie était jugée nécessaire, le COG dépêchait sur les lieux, selon la nature et le lieu de l’intervention, les patrouilles déjà sur le terrain et, éventuellement, les moyens des brigades d’intervention et des Pelotons de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie (PSIG). Celles-ci étaient donc réparties quotidiennement en deux catégories : les brigades d’intervention, dans lesquelles au moins deux personnels étaient disponibles pour les services et les interventions ; les brigades de veille, dans lesquelles les personnels, à l’exception d’un sous-officier « permanent de sécurité », bénéficiaient d’un quartier libre.
Malgré un effort particulier de communication, notamment avec la diffusion d’une brochure explicative « Réduction des astreintes des brigades. De quoi s’agit-il ? » ou encore l’organisation de visites de COG, les élus locaux et les populations ont pu avoir l’impression qu’au moins une nuit sur deux « leur » brigade était purement et simplement fermée et qu’en cas de nécessité, même si « leurs » gendarmes demeuraient à l’intérieur de la brigade, il n’était pas possible de compter sur leur intervention, cette dernière étant assurée par des « gendarmes venus d’ailleurs », qu’il s’agisse de ceux de la brigade voisine ou du PSIG de la compagnie.
Si le principe du traitement départemental centralisé des interventions de nuit et du regroupement des brigades (selon leur effectif et leur localisation, les brigades agissant, en effet, soit de manière autonome, soit en association avec une ou deux autres) n’a pas été remis en cause, le système expérimenté depuis le mois de février 1994 a, par contre, abandonné la distinction entre brigades de veille et d’intervention. Plus exactement, désormais, compte tenu des nécessités du service et des disponibilités en personnel, chaque brigade dispose d’un ou plusieurs « premiers à marcher » dont le planton, de sorte que si cette unité n’a pas les effectifs nécessaires pour intervenir dans sa propre circonscription (cette intervention sera alors effectuée, à l’initiative du COG, par la patrouille d’une autre brigade ou du PSIG la mieux placée sur le terrain ou en astreinte à sa résidence), dans le cas où se déroulerait à proximité immédiate de la brigade un événement grave, au moins un gendarme (en l’occurrence le planton) sera à même d’intervenir ou d’organiser cette intervention.
De fait, ce nouveau système ne présente pas de différences majeures par rapport au précédent, si ce n’est qu’il prévoit très expressément la possibilité pour le gendarme « permanent de sécurité » redevenu, de manière significative, « planton », de répondre à la sollicitation urgente d’une personne se présentant à la porte de la brigade. Ce n’est que dans ce cas de figure (présence de l’usager à la porte de la brigade et événement grave s’étant déroulé à proximité immédiate), et sur ordre du COG avec lequel la personne en détresse sera préalablement entrée en communication grâce au « portier de nuit », que cette intervention du planton (et, le cas échéant, des « premiers à marcher » ou des personnels présents à la brigade) est envisageable. Il n’empêche que cette mesure hautement symbolique (qui a été expliquée aux élus locaux par une lettre du ministre de la Défense du 10 mars 1994) a grandement contribué à l’acceptation de cette réorganisation du service et des interventions de nuit, même si, en ce domaine, nombre d’incompréhensions, de regrets et de critiques sont encore perceptibles au sein des populations rurales. ♦