Afrique - L'espoir de la stabilité en Afrique australe
L’espoir soulevé dans tout le continent par la transition politique réussie en Afrique du Sud va-t-il enfin permettre à l’ensemble de l’Afrique australe de sortir de l’instabilité qui y règne depuis les indépendances des anciennes colonies portugaises ?
L’année 1994 aura été celle des élections réussies malgré les pires craintes en Afrique du Sud, et aussi celle de l’aboutissement du processus de paix au Mozambique : deux événements majeurs qui ont nourri tous les optimismes, alors que dans le reste du continent, du Rwanda à l’Algérie, en passant par la Somalie, le Soudan, le Liberia, la Sierra Leone ou le Tchad, on ne pouvait échapper aux pires inquiétudes. Cependant, ces deux notes d’espoir sont restées d’une portée relativement limitée tant que l’Angola ne parvenait pas à échapper à sa guerre civile. Après le rendez-vous manqué de 1992, l’UNITA de Jonas Savimbi, qui avait contesté le résultat du premier tour de l’élection présidentielle remporté par le président Dos Santos (49,57 % des voix) contre Jonas Savimbi (40,07 % des voix), avait décidé de retirer ses troupes du processus de restructuration des armées rivales et de reprendre les combats. De nouveau le pays s’était retrouvé déchiré, comptant ses morts par dizaines de milliers de Huambo à Kuito.
Emportée par ses victoires dans le courant de l’année 1992, l’UNITA a laissé les négociations se prolonger, mais surtout, ce mouvement d’opposition armé, qui contrôlait à cette époque les trois quarts du territoire, n’a pas réalisé que ses chances de victoire étaient à terme fort compromises dans la mesure où la communauté internationale se mobilisait en faveur d’une paix basée sur le processus politique engagé, et donc sur les premières élections. En mai 1992, les États-Unis qui avaient toujours soutenu Savimbi reconnaissaient le régime du président Dos Santos. L’ONU votait et appliquait un embargo sur les armes et les produits pétroliers contre l’Unita, et l’Afrique du Sud de Mandela devait opter pour la même ligne. Isolés, Savimbi et ses partisans allaient de plus en plus difficilement résister aux pressions internationales aussi bien qu’aux contre-offensives gouvernementales. En octobre 1994, à Lusaka, un nouvel accord de paix était signé : il allait permettre une relance du processus de paix impliquant un large engagement des Nations unies avec l’opération UNAVEM 3 ou Mission de vérification des Nations unies en Angola (voir la chronique « actions internationales », dans ce même numéro).
En mai 1995, en visite en Afrique du Sud, Jonas Savimbi déclarait officiellement qu’il acceptait en fin de compte les résultats des élections de 1992. « Le pays est épuisé par trente ans de guerre… l’Angola ne peut plus continuer à être un désastre », ajoutait-il, « si le gouvernement le veut, mon parti est prêt à partager la responsabilité d’instaurer la paix. Nous serons un partenaire crédible ».
Alors que les 6 000 casques bleus de l’opération de l’ONU au Mozambique quittaient Maputo après avoir globalement réussi leur mission, 7 à 8 000 autres soldats de l’Organisation se préparaient à s’installer en Angola. Forts de l’expérience mozambicaine et des leçons tirées de l’échec de 1992, ils ont commencé à s’occuper du problème le plus délicat, mais le plus décisif pour la réussite de l’ensemble du processus : celui de la démobilisation, du désarmement et de l’intégration des combattants de l’UNITA au sein des forces armées angolaises. En 1992, avant la reprise des combats, le processus de restructuration des armées avait été entamé et s’était déjà révélé difficile. Après trois nouvelles années de combats sanglants à peine achevés, le climat de méfiance entre les deux anciens ennemis va sans aucun doute peser très lourd. Les accords de Lusaka prévoient qu’ils doivent échanger des informations « sensibles » sur la localisation de leurs troupes respectives, leur importance et leur armement. On a pu mesurer au Mozambique combien les opérations de démobilisation et de reconstitution d’une armée mixte réduite pouvaient rencontrer d’obstacles. En Angola, les deux forces rivales sont beaucoup plus puissantes et sont déployées sur un territoire plus vaste et plus difficile à contrôler.
Actuellement, l’armée régulière telle qu’elle a été reconstituée après 1992 compte 100 000 hommes. Les parties en présence, conformément à l’accord de Lusaka, ont choisi la solution la plus sage et la plus sûre en décidant dans un premier temps la réintégration dans l’armée nationale de tous les officiers de l’UNITA avant d’engager le processus de formation de la nouvelle armée. Une fois désarmées et confinées dans leurs unités, les forces de l’UNITA doivent donc être incorporées dans les forces armées angolaises qui vont de fait atteindre un effectif de 150 000 hommes. Cette formule est effectivement économiquement très coûteuse, mais il est clair qu’une démobilisation soudaine et trop rapide des hommes de l’UNITA, sans un vaste programme de réinsertion non moins coûteux, constituerait un facteur d’instabilité et un risque de « hausse de la criminalité et d’aggravation de la crise sociale » selon les termes mêmes du général Joao de Matos, chef d’état-major des FAA (Forces armées angolaises). À terme, une fois la situation stabilisée, la future armée angolaise devra compter 90 000 hommes suivant l’accord auquel les deux parties sont parvenues, en mai 1995, à l’issue de négociations menées sous l’égide des experts des Nations unies.
La tâche, on le voit, ne va pas être facile, surtout dans un environnement aussi défavorable. Le pays a perdu depuis le début de la guerre près d’un million d’hommes, on y compte plusieurs millions de déplacés et de réfugiés. Le déficit budgétaire représente, en grande partie à cause des dépenses militaires, près de la moitié du PIB, l’inflation était de plus de 1 000 % en 1994. Même si le pétrole et les diamants doivent rapporter au pays cette année quelque 3,3 milliards de dollars, on sait que la reconstruction d’un État et d’une économie assainie sera fort longue.
On a vu, dans cette affaire angolaise, l’Afrique du Sud peser de tout son poids pour la mise en œuvre de l’accord de Lusaka. Nelson Mandela a largement mobilisé les chefs d’État de la région pour faire pression sur les parties en présence et arracher à Savimbi un compromis politique. Le président sud-africain a même confirmé le rôle politique futur du chef de l’UNITA en soulignant son importance sur l’échiquier politique angolais. Cependant, le rôle de Mandela et de l’Afrique du Sud est resté cantonné dans le domaine politico-diplomatique. Pretoria a bien montré l’importance primordiale que la stabilité dans la région pouvait représenter, mais aussi qu’il n’était nullement dans son intention d’y jouer les gendarmes. Près d’un an après sa transition réussie, l’Afrique du Sud est en effet dans une situation critique. Elle doit résoudre les problèmes de son instabilité interne due aux rivalités ethniques, à la très forte immigration en provenance des pays voisins, à la montée de la criminalité, de la corruption et des trafics. Elle doit aussi effectuer la restructuration de ses propres forces de sécurité, qui se révèle plus difficile que prévu.
Dans le domaine économique, elle a fait preuve de rigueur, ce qui lui a permis de maintenir une inflation modérée et une croissance encourageante, et de commencer à faire revenir les investisseurs étrangers ; mais ces efforts sont réalisés aux dépens des attentes des populations dans des secteurs aussi sensibles que l’éducation et le logement, ce qui n’a pas manqué de multiplier les frustrations et les déceptions.
L’Afrique du Sud sait qu’elle sera dans l’avenir la locomotive économique de toute l’Afrique australe ; elle sait aussi que, pour sortir de ses difficultés, elle a un besoin vital de stabilité chez ses voisins et de voir ceux-ci, la paix revenue, commencer à relancer leurs économies. Jusqu’à présent l’Afrique du Sud est restée méfiante, voire réticente à l’égard des projets de coopération économique dans la région. Une paix durable en Angola déclenchera-t-elle enfin cette dynamique régionale dont on parle tant, mais qui est toujours restée un vœu pieux ? ♦