Gendarmerie - Nouvelles instructions sur la participation des forces armées au maintien de l'ordre
Prévue expressément depuis la loi du 3 août 1791, la participation des forces armées aux opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre est indissolublement liée à leur rattachement à la fois symbolique et effectif à la « force publique », définie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dans son article 12 (1). Pour ce qui est plus spécifiquement de la gendarmerie, l’origine de sa participation à ce type de missions se situe antérieurement, avec l’adoption de la loi du 16 février 1791, qui marque la transformation de la maréchaussée en une « gendarmerie nationale ». Véritable baptême civique, cette loi lui confiait, en effet, la mission de « dissiper les révoltes et les attroupements séditieux », tout en la subordonnant alors à l’autorité civile qui seule pouvait ordonner le rassemblement de plusieurs brigades.
Force militaire depuis ses origines les plus lointaines, la gendarmerie ne prend part au maintien de l’ordre, mission de défense civile, qu’en raison de son appartenance aux forces armées (2). Le cadre juridique de cette participation a fait récemment l’objet d’une importante réforme, avec l’adoption de l’instruction interministérielle du 9 mai 1995, qui abroge et remplace celle du 20 juillet 1970 (3). Bien qu’elle ait permis d’améliorer la compréhension du texte (notamment en réduisant la longueur des articles et en faisant figurer, en annexes, l’ensemble des textes législatifs et réglementaires auxquels l’instruction fait référence), cette refonte du célèbre TTA 175 a été motivée, pour l’essentiel, par la nécessaire prise en compte des dispositions résultant de l’entrée en vigueur du plan « Armées 2000 », du nouveau Code pénal et du décret du 2 mai 1995 relatif à la dispersion des attroupements. D’ailleurs, et sous réserve de la disparition de certaines dispositions devenues sans objet (comme la notion de « mesures préparatoires » ou la distinction entre « procédure d’urgence » et « procédure normale » concernant la réquisition), cette nouvelle instruction, qui est strictement limitée au maintien de l’ordre hors la mise en œuvre d’un état d’exception, n’introduit concrètement que peu de modifications, son propos étant davantage de préciser, de clarifier et d’adapter certains points que de bouleverser un cadre juridique qui, il est vrai, s’est révélé, au moins jusqu’à présent, pour le moins satisfaisant aussi bien dans l’efficacité de l’action des forces de l’ordre que dans la préservation des droits et libertés du citoyen.
Ainsi, à maints égards, il est possible de considérer que la principale mesure qui se détache de l’instruction du 9 mai 1995 réside dans la réaffirmation du principe fondamental de l’action sur réquisition des forces armées. Acte juridique qui a pour effet de déclencher et de préciser les règles des opérations de maintien de l’ordre, qu’elles soient préventives ou donnent lieu à des mesures d’intervention, la réquisition est la conséquence directe de la subordination de la force armée à l’autorité civile, mais aussi du caractère somme toute exceptionnel que peut représenter, dans un État démocratique, l’intervention de militaires en cas de troubles à l’ordre public. Au-delà, la réquisition matérialise le partage de responsabilités entre, d’un côté, l’autorité civile chargée de la mise en œuvre des forces, et de l’autre, l’autorité militaire (le commandant de gendarmerie pour les réquisitions des forces de gendarmerie) chargée de l’exécution de la mission assignée.
L’instruction reprend, dans son article 23, la distinction entre les trois catégories de réquisitions : la réquisition générale, qui permet d’obtenir de l’autorité militaire un ensemble de moyens en vue de leur utilisation pour le maintien de l’ordre ; la réquisition particulière, qui confie à une troupe déterminée une mission précise et délimitée pouvant prescrire l’usage de la force, mais pas celui des armes ; la réquisition complémentaire spéciale, qui accompagne ou fait suite à une réquisition particulière et prescrit l’usage des armes. Sous peine de nullité, cette réquisition doit être écrite et respecter certaines conditions de forme. Si l’autorité militaire est tenue d’obtempérer à ces réquisitions, elle exerce malgré tout un précontrôle de légalité, dans la mesure où il lui est fait interdiction d’exécuter une réquisition non conforme à la loi. L’autorité militaire étant seule responsable de l’exécution de ces actions, l’autorité civile, bien que conservant le contrôle du développement des mesures mises en œuvre, ne peut s’immiscer dans la conduite des opérations de maintien de l’ordre ; les troupes utilisées sont ainsi placées sous un commandement militaire unique (et ne peuvent, de ce fait, recevoir d’ordre de l’autorité civile), l’autorité militaire étant seule juge des moyens à déployer et des mouvements à effectuer pour mener à bien la mission définie par la réquisition.
Pour ce qui est, ensuite, des principaux apports de l’instruction du 9 mai 1995, on peut mentionner la clarification des conditions d’engagement des forces armées (art. 19 à 22), selon qu’elles appartiennent aux forces de première (gendarmerie départementale et garde républicaine), de deuxième (gendarmerie mobile) ou de troisième catégorie (forces terrestres, maritimes et aériennes, formations de gendarmerie mises sur pied à la mobilisation ou sur décision ministérielle). Ainsi est-il notamment précisé que les forces de deuxième catégorie, qui constituent l’élément permanent spécialisé dans les différentes missions de maintien de l’ordre, ne peuvent être employées à des gardes statiques que de manière exceptionnelle. Dans le même ordre d’idées, la procédure particulière prévue par l’instruction commune police-gendarmerie du 18 juin 1992 est reprise dans ce texte (art. 29), la réquisition de forces mobiles ne pouvant intervenir qu’après que l’autorité civile a été informée du nombre et de la nature des unités mises à disposition, de manière à assurer ainsi un emploi équilibré des escadrons de gendarmerie mobile et des compagnies républicaines de sécurité.
Autres exemples des précisions apportées par cette nouvelle instruction : la distinction clairement marquée entre l’autorité civile qui est susceptible de requérir les forces armées (art. 27), celle qui est chargée, en cas d’usage de la force, d’effectuer les sommations (art. 11), et l’officier de police judiciaire qui, le cas échéant, est habilité à procéder aux interpellations (art. 43) ; la définition en détail des particularités du recours aux forces armées dans les départements et territoires d’outre-mer (art. 30) ; l’attribution sans équivoque de la décision d’emploi des moyens spéciaux (armements à grande puissance, véhicules blindés, bâtiments et aéronefs) qui relève du Premier ministre, les préfets de zone ayant désormais délégation permanente pour requérir l’emploi d’un peloton de véhicules blindés à roues de la gendarmerie (art. 40). ♦
(1) Dominique Pennacchioni : « Le recours aux armées, composante de la force publique » ; Défense Nationale, janvier 1994.
(2) François Dieu : « Maintien de l’ordre et défense » ; Défense Nationale, décembre 1994.
(3) Instruction interministérielle n° 500 SGDN/MPS/OTP du 9 mai 1995 relative à la participation des forces armées au maintien de l’ordre.