Défense dans le monde - La sécurité de l'Europe centrale
Depuis la dissolution du pacte de Varsovie et leur retour à l’indépendance, les pays de l’Europe centrale s’attachent, dans certains cas difficilement, à définir les conditions nouvelles de leur sécurité. Constatant l’efficacité des institutions occidentales pour garantir l’intégrité territoriale de leurs membres, ils ont souhaité adhérer à l’Otan et à l’UEO. Ils multiplient depuis trois ans les démarches et les déclarations pour manifester leur aptitude à s’intégrer rapidement à ces deux organismes.
L’Otan et l’UEO, de leur côté, ont entamé une réflexion interne pour déterminer les meilleures modalités possibles de réponse à ces demandes d’admission. Deux documents font le point sur la nature des contacts établis entre les institutions occidentales et l’Europe centrale.
L’élargissement de l’OTAN
La pression des pays de l’Europe centrale est plus vive sur l’Otan que sur l’UEO. Il est donc naturel que l’Alliance ait été la première à réagir à ces sollicitations en publiant le 9 septembre 1995 une Étude sur l’élargissement de l’Otan épaisse de 38 pages.
Le Senior Political Committee (Reinforced)-SPC(R), directement subordonné au Conseil de l’Atlantique Nord, s’est efforcé de répondre au « comment » de l’élargissement en établissant la liste des questions et des problèmes soulevés par l’admission éventuelle de nouveaux membres géographiquement proches de la Russie. Le « qui » et le « quand » sont renvoyés à une date ultérieure.
L’étude énonce les points encore litigieux de l’élargissement et expose les différentes solutions parmi lesquelles il reviendra à l’Alliance de choisir. Le lien entre l’élargissement de l’UE et celui de l’Otan est constaté ; il fait l’objet de lignes à la rédaction particulièrement embarrassée qui traduit un difficile compromis entre le souhait américain de garder le maximum de liberté d’action en ne liant pas l’élargissement de l’Otan à l’avenir d’autres institutions, et la volonté européenne d’accompagner économiquement l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale (Peco), donc de corréler l’extension des deux organismes.
Les conséquences de l’élargissement justifieront probablement des procédures politiques dérogatoires à l’égalité des États signataires. Les rédacteurs s’interrogent en effet sur les moyens d’empêcher de nouveaux membres de mettre leur veto à l’adhésion ultérieure d’un autre Peco. L’imposition d’« engagements politiques spécifiques »est évoquée. Les péripéties qui ont précédé l’entrée de la Russie au Conseil de l’Europe justifient a posteriori ce souci. Il n’en demeure pas moins que l’on voit poindre ainsi une Alliance à deux vitesses.
Les membres de l’Alliance commencent à s’apercevoir que l’élargissement aura un coût considérable. Ce sont notamment l’interopérabilité et la mise aux normes des armées des Peco qui devraient représenter les plus gros postes de dépense. Les membres actuels tiennent d’ailleurs à faire savoir aux candidats qu’ils auront à supporter une lourde charge budgétaire.
Les conséquences militaires de l’élargissement font, comme il se doit, l’objet de développements substantiels. Trois questions se posent : la participation d’officiers des nouveaux États membres aux postes de commandement actuels, la création de commandements sur le territoire des nouveaux membres et le stationnement d’armes nucléaires.
Les préoccupations russes trouvent un large écho. L’Otan se promet notamment de donner satisfaction à la Russie en établissant un cadre politique aux relations bilatérales. On lit également un souci de s’engager dans la définition d’une « relation spéciale » avec l’Ukraine.
Enfin, l’Alliance commence à écrire qu’il y aura plusieurs catégories de candidats en fonction de leur vocation à adhérer. On voit même surgir le concept « d’autodifférenciation » qui laisse entendre que le choix sera plus fonction de leur zèle otanien que d’un choix politique des membres actuels.
Cette étude présente donc l’avantage de mettre le doigt sur la totalité des problèmes liés à l’élargissement. Toutefois, son imprécision sur les solutions à y apporter traduit la perplexité des rédacteurs et, peut-être, leur effroi devant l’ampleur de la tâche. L’inconvénient majeur de ces lignes est de donner l’impression que l’élargissement est d’abord une question technique. On aurait attendu une approche plus politique de la part d’un organe directement lié au Conseil de l’Alliance.
Le secrétaire général adjoint pour les affaires politiques de l’Otan a ensuite fait le tour des capitales des Peco, pour présenter les conclusions du rapport. Comme on pouvait s’y attendre, l’accueil a été plutôt favorable. Les principales observations ont trait à la nécessité d’établir rapidement un calendrier du processus d’élargissement, et au souci de voir l’Otan être plus précise sur les relations futures avec la Russie. Il semble enfin que les Peco aient été plus prompts à se saisir des éléments positifs qu’à mesurer l’importance des efforts financiers et proprement militaires qui se profilent devant eux.
La sécurité à vingt-sept
En 1993, à son sommet du Kirchberg, l’Union de l’Europe occidentale a décidé d’organiser un dialogue politique avec les « associés partenaires ». Ce terme est utilisé pour désigner les neuf pays d’Europe centrale qui ont vocation à entrer dans l’Union européenne et qui peuvent, de ce fait, prétendre rejoindre l’UEO. Dans sa forme la plus large, c’est-à-dire celle du dialogue politique, l’UEO compte donc désormais 27 membres.
Depuis plus d’un an, ces pays réfléchissent ensemble aux nouvelles conditions de la sécurité sur le continent. Leurs réflexions ont abouti à un document de quarante pages intitulé La sécurité européenne : une conception commune des 27 pays de l’UEO, qui a été approuvé par les ministres des Affaires étrangères et de la Défense lors du sommet de Madrid le 14 novembre dernier.
Les signataires s’efforcent d’abord de déterminer les intérêts de sécurité de l’Europe. Cela donne lieu à une revue des institutions actives sur le continent où l’on réaffirme la position centrale de l’OSCE et le refuge qu’elle peut constituer pour les pays qui ne deviendront pas membres à part entière des organisations occidentales. Le paragraphe « Valeurs et intérêts communs » explique qu’une menace contre les réseaux de communication peut devenir une menace contre un État et entraîner la mise en œuvre des garanties de sécurité ; la dépendance énergétique des Peco pourrait devenir une affaire européenne. Les « Nouveaux risques » évoquent la possibilité de conflits armés en Europe et ajoutent à la prolifération, le terrorisme international et les dangers pour l’environnement. Quand ils abordent ensuite le contexte de la sécurité européenne, les 27 s’étendent sur la relation transatlantique et sur l’évolution des pays de l’ex-URSS, où ils distinguent l’Ukraine de la Russie où sont localisés les risques de conflit. Sur l’Europe du Sud-Est, les rédacteurs se demandent « comment concilier les différends interethniques avec la nécessité de respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté des États et d’assurer le bon fonctionnement des sociétés pluriethniques ». Le rapport détermine ensuite les intérêts de sécurité de l’Europe dans les autres parties du monde.
Le chapitre II est, sans le dire, une contribution des 27 à la préparation de la Conférence intergouvernementale de Turin. Il retient le rôle des forces nucléaires dans la dissuasion et la sécurité globale. Ce paragraphe, endossé par l’Italie mais contredit quelques jours plus tard par des déclarations gouvernementales, est à l’origine du raidissement français de décembre 1995. Pour tirer les enseignements du conflit en ex-Yougoslavie, il est nécessaire que l’UEO se dote des moyens politiques d’assurer les tâches de Petersberg. Dans le domaine militaire, il conviendra d’établir une communication entre le Conseil et les forces sur le terrain, d’installer une chaîne de commandement unique pour toutes les forces engagées et de coordonner plus efficacement les éléments civils et militaires. L’UEO y gagnerait, enfin, à disposer d’une capacité intégrée de renseignement et d’observation.
En conclusion, un document très complet mais un peu irritant : les rédacteurs ont ressenti l’obligation de faire régulièrement une révérence à l’Otan, ce qui nuit à la compréhension. Il s’agit cependant du premier document politique auquel les pays d’Europe centrale ont pu participer sur un pied d’égalité avec les Occidentaux. Ils ont pu y exprimer leur opinion et leurs préoccupations, singulièrement en ce qui concerne les relations avec la Russie et le rôle des minorités. Ils assimilent progressivement la cadence interne des institutions européennes.
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La comparaison des deux documents n’aurait pas grand sens. Ils relèvent de logiques différentes et traduisent des préoccupations qui ne sont similaires que par l’identité de certains signataires. Ils éclairent cependant l’avenir, mais ne dispenseront pas les États concernés d’envisager en priorité l’organisation politico-militaire de l’Europe centrale comme le résultat d’un compromis, à venir, entre l’Europe et la Russie. ♦