Gendarmerie - Vers une Europe des gendarmeries : la FIE (France-Italie-Espagne)
Dans le prolongement de la création, en octobre 1992, au sein de la direction générale de la gendarmerie d’une « division des relations internationales », et compte tenu de la présence d’attachés de gendarmerie à Rome et à Madrid, une initiative originale de coopération policière internationale s’est progressivement développée ces trois dernières années, à l’instigation de la gendarmerie française. Avec, comme acte de naissance officiel, la rencontre tripartite réunissant à Paris, le 18 février 1993, les directeurs généraux de la gendarmerie nationale, de la guardia civil ainsi que le commandant général de l’arme des carabiniers, prolongé par la signature à Madrid, le 12 mai 1994, d’une déclaration commune, ce projet de coopération entre les gendarmeries française, espagnole et italienne, baptisé tout simplement « projet FIE » (France-Italie-Espagne), a permis de multiplier les échanges entre ces trois institutions militaires latines chargées de missions de sécurité intérieure, laissant entrevoir la mise en place d’une véritable « Europe des gendarmeries ». La FIE est appelée, en effet, à constituer une base solide susceptible d’accueillir, par la suite, les autres forces de police à statut militaire de l’Union européenne (Portugal, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas et Autriche), mais aussi des pays de l’Europe de l’Est (comme la Pologne et la Roumanie). Cette initiative, qui entre parfaitement dans les objectifs et principes de la construction européenne, a donné lieu, entre autres, à l’établissement d’un calendrier prévisionnel d’actions de coopération pour les années à venir.
Ce projet témoigne d’une volonté de dépasser, dans la coopération policière, le domaine étroit des relations bilatérales transfrontalières, en relation avec la prise en compte de la dimension nécessairement européenne, si ce n’est internationale, de la lutte contre la criminalité organisée, la menace terroriste et l’immigration clandestine. Il s’agit aussi, il faut bien le dire, d’institutionnaliser et de concrétiser davantage des actions de coopération demeurées jusqu’à présent au stade d’échanges frontaliers ponctuels et de rencontres épisodiques entre les principaux responsables institutionnels. Sans remettre en causela prépondérance de ces logiques opérationnelles (confrontation à des menaces similaires) et géographiques (existence de frontières communes), la FIE consacre également le souci de rapprochement entre des forces qui, par-delà leurs particularités nationales, présentent de solides et profondes similitudes et affinités, d’un point de vue à la fois historique, organisationnel, culturel et fonctionnel.
Les études effectuées dans une perspective comparée révèlent combien il existe, en fait, entre la quarantaine de gendarmeries et polices à statut militaire européennes, mais aussi africaines, asiatiques et américaines, un creuset de règles d’action, de pratiques et de valeurs communes, de sorte qu’il semble fondé de parler de diffusion, à partir, plus ou moins directement, de l’institution française, d’un « modèle gendarmique », qui s’est effectuée selon un mouvement en trois étapes distinctes :
1) les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, qui ont permis à des gendarmeries d’essaimer en Belgique (une force qui a perdu son statut militaire avec la loi du 18 juillet 1991), au Luxembourg, aux Pays-Bas ou en Italie (avec l’arme des carabiniers instituée, par lettres patentes du roi Victor-Emmanuel Ier, le 13 juillet 1814), avant que, par la suite, ce modèle se propage en Espagne (avec la guardia civil, qui est créée, à l’instigation du duc de Ahumada, par les décrets du 26 janvier, 28 mars et 13 mai 1844), en Russie (de 1826 à la révolution bolchevique), en Grèce (de 1881 à sa fusion avec la police, en 1984, au sein d’une seule force civile de police), ou encore en Hongrie (de 1893 à sa dissolution, en 1945, pour fait de collaboration) ;
2) le mouvement de décolonisation des années 60, qui s’est accompagné de la création de forces similaires dans nombre d’États africains, comme le Sénégal, l’Algérie ou Djibouti ;
3) l’effondrement du bloc communiste dans l’Europe de l’Est depuis la fin des années 80, qui a conduit certains États, comme la Roumanie, la Slovaquie et la République tchèque, à se doter de gendarmeries, compte tenu du discrédit affectant les forces policières en raison de leur collusion avec le régime communiste.
Pour ce qui est, plus concrètement, des actions de coopération déjà entreprises, mentionnons la création, à l’issue de la réunion de Paris, de trois groupes de réflexion (gestion des ressources humaines, organisation du service, nouvelles technologies), avec pour objectif la mise en commun des connaissances et expériences professionnelles acquises séparément, de manière que chacune des trois gendarmeries puisse tirer profit, en ce qui concerne par exemple le développement de matériels de transmission, la protection de l’environnement ou les modalités de recrutement des personnels, des données communiquées par les deux autres institutions. À cette occasion, et afin de favoriser l’essor de cette coopération, l’apprentissage des langues étrangères a été élevé au rang de priorité dans la formation initiale des personnels. De même, afin de resserrer davantage les relations entre gendarmes, carabiniers et gardes civils, il a été décidé de procéder au jumelage des écoles d’officiers (Melun, Rome et Aranjuez) et de sous-officiers (Montluçon, Florence et Ubeda). Au-delà du renforcement des actions concertées de relation transfrontalière entre les unités de terrain et de la multiplication du nombre de visites, stages et détachements de personnels (un sous-officier de gendarmerie est ainsi détaché, pour une durée de trois années, auprès de l’École des carabiniers de Florence afin d’y enseigner les techniques de police judiciaire), la dernière mesure significative en ce domaine réside dans l’adoption du principe d’une rencontre annuelle entre les plus hauts responsables des trois gendarmeries.
Bien qu’il soit encore prématuré de porter une appréciation sur ce système novateur, qui paraît d’ailleurs complémentaire des structures internationales — où prédominent, il est vrai, les polices à statut civil — que sont Interpol et Europol, la FIE n’en constitue pas moins, dans l’état actuel des choses, une expérience remarquable de coopération multilatérale, d’autant plus opérationnelle et efficace qu’elle procède de l’initiative des acteurs qui, après avoir obtenu l’accord et le soutien de leur ministère de rattachement, ont pu engager, sur la base du dialogue et du volontariat, de la connaissance du terrain et du respect des particularités, des actions concrètes destinées à améliorer les conditions de travail et de vie des personnels engagés quotidiennement, de part et d’autre des Alpes et des Pyrénées, dans le combat contre la délinquance et la criminalité. Pour toutes ces raisons, la FIE ne peut que, simultanément, se développer et disparaître : se développer, d’une part par la croissance et la diversification des actions de coopération, d’autre part par l’association des autres forces de gendarmerie européennes, ce qui, s’agissant de la garde nationale républicaine portugaise, devrait être réalisé très prochainement ; disparaître, dans la mesure où il va de soi que ce sigle retenu jusqu’à présent devra alors céder la place à une appellation plus étendue, plus européenne. ♦