Contrôler et Contrer – Stratégies politiques
Nous avons eu souvent, et récemment encore, l’occasion de présenter à nos lecteurs les ouvrages de François Thual, dans lesquels, progressivement, il a élaboré une méthode tout à fait originale pour l’étude théorique des problèmes de géopolitique, et qu’il met à l’épreuve, chaque fois, en analysant très finement les situations conflictuelles du moment. Aujourd’hui, après Les conflits identitaires (Défense Nationale, août-septembre 1995) et Le désir de territoire (Défense Nationale, mars 2000), il nous propose ce livre qui constitue, nous précise-t-il, le dernier tome d’une trilogie où il s’est efforcé de théoriser les formes et les causes de la conflictualité. Et afin d’expliquer le titre qu’il a adopté, il précise que, pour lui, « contrôler » veut dire « occuper, posséder directement ou maîtriser indirectement un territoire » ; alors que « contrer » consiste à empêcher de s’en emparer, ou encore de s’y installer directement ou indirectement.
Quant à cette « avidité territoriale », elle obéit, pour lui toujours, à trois motivations : la possession de richesses (agricoles, minières, énergétiques etc.) ; le renforcement de sa position stratégique, et par suite diplomatique, résultant de l’acquisition de ce qu’il appelle des « ruptures spatiales » (fleuves, lignes de crêtes, accès à la mer etc.) ; le « réflexe identitaire », qu’il s’exprime au nom de la nation, de la religion, de la langue ou de l’ethnie. Ces trois motivations, souligne-t-il sont, dans la plupart des cas concrets, mêlées et imbriquées, mais ce sont les motivations identitaires, ajoute-t-il, qui jouent un rôle majeur à l’époque contemporaine. C’est là l’apport original de notre auteur, puisqu’en contribuant activement à les mettre en valeur, il a fait progresser la « méthode géopolitique » ; c’est-à-dire, nous explique-t-il, cette « réflexion dialectique entre le désir et son objet », cette « recherche perpétuelle des intentions et de leur concrétisation » ; ajoutant, avec la modestie qui le caractérise : « il n’y a pas de savoir absolu en géopolitique ».
Après quelques réflexions en profondeur sur différents concepts de la géopolitique, ainsi que sur certaines de leurs évolutions actuelles (« limite des alliances », « siècle des séparatismes », apparition du « sous-impérialisme »), notre auteur passe à l’analyse des principales situations conflictuelles de l’actualité, et cela, bien entendu, en employant sa méthode, laquelle s’avère une fois de plus très éclairante. Il ne peut être question de nous y arrêter ici, et nous nous bornerons donc à signaler les sujets qui méritent une particulière attention. D’abord, « l’Angleterre post-impériale » (laquelle n’est pas, « comme souvent perçue en France, un simple prolongement géopolitique des États-Unis »). Puis « le tabou allemand » (« les objectifs économiques sont pour Berlin aussi importants que les objectifs de stabilisation politique »). Ensuite, sur la Russie, plusieurs chapitres méritent particulièrement d’être retenus : « Existe-t-il un éclatement de la Russie ? » (qui depuis des siècles vit « comme un pays assiégé ») ; « Vide et pauvre Russie » (pour laquelle « les phénomènes démographiques risquent d’être plus lourds de conséquences, bien plus que la crise tchétchène ») ; sans oublier le « nationalisme triphobique » de « l’ami georgien ». François Thual passe ensuite à la situation dans le Proche-Orient, analysant successivement la « pluralité du monde arabe » et « les derniers rêves ottomans » ; en rappelant utilement le passé historique récent qui « a marqué la région », à savoir la « construction britannique », et « la passion du Levant français » ; tout ceci avant un chapitre très intéressant sur Israël, qui « a toujours cherché à passer des alliances avec les pays qui se trouvent à la périphérie du monde arabe » (y compris en Afrique). Et pour terminer, notre auteur se tourne, avec une apparente délectation, vers les « nouvelles tempêtes », dont il trouve les prémices dans « la conflictualité africaine », et aussi, comme l’actualité l’y incite, dans « les avatars du pansomalisme », et les problèmes de « l’espace éthiopien » (où la montagne chrétienne est « détentrice de l’eau » et qui est « encerclée par des pays arabes et musulmans »). Et pour terminer son tour du monde conflictuel, notre auteur jette aussi ses regards prospectifs vers la situation au Bangladesh et en Indonésie (« soumise à une double expansion : démographique et nationaliste ») ; et enfin vers « l’Amérique latine fin de siècle », où ses pronostics sont, pour une fois, optimistes.
Dans la conclusion de son ouvrage, François Thual nous livre, de façon brillante, la synthèse des réflexions qu’il a tirées de ses recherches en géopolitique. Pour lui « le savoir géopolitique n’a ni à annoncer l’avenir, ni à le conduire, car il n’est pas normatif » ; « la géopolitique doit demeurer une démarche descriptive, afin de mettre en lumière les motivations et les intentions des acteurs politiques » ; « sa seule vocation est de détecter, au-delà des apparences, les causes et les arrière-pensées des conflits ». En définitive, notre auteur cherche, nous dit-il, « à faire passer les faits aux aveux, en débusquant les intentions », et il le fait brillamment et utilement en mettant l’accent, le plus souvent, sur les motivations « identitaires », qu’il est le premier à avoir mis en valeur. Nous attendons donc avec un intérêt particulier ses prochains ouvrages, lesquels ne manqueront pas de sujets où appliquer sa « méthode ». ♦