La bataille de Normandie
L’auteur, natif du Calvados, sortait à peine de l’adolescence quand eut lieu le débarquement des forces alliées en Normandie. La célébration, en 1994, du cinquantenaire du succès de cette gigantesque opération militaire a permis de rendre un hommage émouvant « aux jeunes gens qui traversèrent la mer pour libérer notre patrie ». Les différentes cérémonies ont ainsi rappelé que « nous leur devons une reconnaissance durable pour avoir risqué leur vie, et pour beaucoup d’entre eux de l’avoir perdue, dans un pays qui n’était pas le leur ».
Charles Delamare regrette cependant que ce devoir de mémoire n’ait pas concerné les populations autochtones : « Ce qui a été le plus critiquable, ce qui a été douloureux pour moi, c’est qu’au cours de cette grandiose célébration la population civile n’a pas recueilli un témoignage de véritable sympathie de la part du président de la République, du Premier ministre, du gouvernement, des autorités constituées et ce qui est beaucoup plus important de nos jours de la part des médias ». En effet, personne n’a rappelé que les Normands ont eu plus de pertes humaines que les Américains et les Anglais. Dans son introduction, l’écrivain souligne d’ailleurs que « la bataille de Normandie a été une mêlée sanglante. Entre guerriers, comme au temps d’Homère, mais surtout entre eux et la population civile. Les Normands se sont trouvés alternativement mélangés aux soldats de l’un ou l’autre camp, bien qu’ils eussent choisi clairement le leur ». L’auteur a voulu réparer cet oubli en se penchant sur le sort de ses concitoyens entraînés dans cette dramatique épopée. Par le truchement de douze récits imaginaires, il tente ainsi de restituer les impressions que lui ont laissées le débarquement et l’atmosphère tragique d’un événement historique où les populations locales ont subi de manière cruelle le contrecoup de combats acharnés.
Dans cet ouvrage, la fiction est très proche de la réalité. Les personnages décrits par Charles Delamare ont probablement existé sous d’autres noms et vécu des péripéties similaires. C’est notamment le cas du mitrailleur allemand Otto qui, du fond de son abri bétonné dans la dune de Luc-sur-Mer, aperçoit une « nuée d’embarcations diverses » (« Sie kommen ! »), et du parachutiste anglais James Grant, qui, après avoir touché le sol normand, passe de nombreuses heures à demander son chemin à quelques habitants ébahis. Les histoires d’amour donnent également une touche d’émotion. Le lecteur sera très attendri par les différents épisodes de la relation affective de Claude et Madeleine, les deux amants de la Saint-Jean. Les poignantes et heureuses coïncidences se mêlent d’ailleurs souvent dans ce livre qui aborde un autre aspect de la bataille de Normandie.
Dans son dernier ouvrage, La civilisation en solde, Charles Delamare avait fait preuve d’un esprit railleur et d’un ton sarcastique. Ici le style est totalement différent. Il est plaisant et traduit avec une remarquable acuité les caractères des personnages plongés malgré eux dans le tourbillon infernal de la guerre. De ses origines normandes, l’auteur a hérité de ses ancêtres marins un mélange de rudesse et de sensibilité, et de ses aïeux terriens une très grande subtilité. Toutes ces qualités se retrouvent dans ce livre captivant de cet ancien inspecteur général des finances (sorti de l’ENA) qui, à sa manière, a commencé une carrière d’écrivain. ♦