Histoire du camp de Dora
M. André Sellier, ancien conseiller commercial, historien et géographe de formation, qui en même temps que son père fut déporté à Buchenwald, puis transféré à Dora, vient d’écrire une histoire de ce camp de sinistre mémoire, qui mérite considération.
Ce livre, qui se défend de n’être qu’un recueil « de souvenirs et d’histoires », sur un camp très peu connu des Français, constitue en effet une première. Il veut être un livre d’histoire, au sens scientifique du terme. Il est la conclusion d’un long travail de recherche de documents et de témoignages, entrepris avec le concours de l’Amicale des anciens de Dora, Ellrich, Harzungen, et Kommandos annexes. Comme le souligne fort opportunément sa préface, il vise à établir d’une manière scientifique, loin de toute affectivité et support émotionnel, en toute objectivité, l’histoire d’un camp de travail, en soulignant sa spécificité, en le situant dans la stratégie du désespoir qui fut celle des nazis au cours des derniers mois de la Seconde Guerre mondiale.
Peu connu en France, parce que situé au sud du massif du Harz, dans une zone d’occupation qui fut brièvement américaine avant de devenir soviétique, puis d’être intégrée à la RDA, ce camp fut verrouillé et en partie détruit par l’occupant, qui préféra reporter à partir de 1970 toute son action médiatique sur le camp de Buchenwald où fut élevé un monument gigantesque « à la gloire du communisme libérateur ».
Dora, parmi tous les camps de la mort, a eu pourtant un destin exceptionnel, lié à la destruction partielle en été 1943 de la base secrète de Peenemünde où, sous le contrôle du ministre de l’Armement d’Hitler, Albert Speer, l’armée allemande, avec le concours de nombreux savants dont Werner von Braun, avait développé des activités de recherche, d’essai et de fabrication d’armes secrètes, des fusées en particulier.
À la suite du bombardement de 1943, Speer, inspiré par von Braun, se rallie à l’idée de construire un tunnel abritant une énorme usine souterraine au sud du Harz, dont le personnel de construction sera prélevé sur les camps de concentration voisins, Buchenwald notamment, en raison de leur compétence. De novembre 1943 à juin 1944, les détenus construiront un tunnel, une fabrique souterraine, et des centres de production annexes dans le voisinage, à Ellrich et à Harzungen, dans des conditions particulièrement inhumaines de secret, de cloisonnement, dans le noir, en absence d’eau, de la moindre installation hygiénique, où la plus petite défaillance entraînait l’exécution du défaillant. C’est de Dora qu’à partir de juillet 1944 sortirent les V2, dont les effets furent si meurtriers dans le ciel de Londres et de Paris.
André Sellier décrit très bien ce que fut le travail du camp, en présentant de nombreuses cartes du lieu et de ses annexes, des témoignages sur les conditions de vie. Il décrit aussi minutieusement comment fut opérée la liquidation du camp à l’approche des armées alliées, quelles en furent les modalités d’évacuation, dans l’isolement et le secret, pour éviter de tomber aux mains des Alliés, les massacres collectifs qui l’accompagnèrent, dont l’horrible tuerie de Gardelegen où 1 100 détenus furent brûlés dans une grange, à l’instigation d’une châtelaine allemande, propriétaire des lieux et décidée à se débarrasser d’eux au plus vite.
Ce livre, par sa conception, sa volonté de description objective reposant sur des documents incontestables, est une première. Il serait souhaitable qu’il soit suivi d’une histoire, au sens scientifique du terme, de la déportation. Il intéressera tous ceux qui continuent à s’interroger sur le déroulement de la dernière guerre mondiale en Allemagne, et qui cherchent à savoir quelle fut la stratégie finale d’une armée allemande aux abois. Il montre en même temps de manière objective l’horreur des méthodes employées, l’homme étant devenu un outil, un robot dans un environnement monstrueux de destruction de l’âme humaine. ♦