Collet au galop des Tcherkesses
Collet, un « sabreur intelligent », pour reprendre le qualificatif que s’attribuent plaisamment les chevaliers du ciel voués à la reconnaissance par rapport à leurs confrères de la chasse. La formulation saccadée et évocatrice du titre choisi par le général Salkin s’applique d’abord bien au premier terme. Dès la fin d’une Grande Guerre commencée à 19 ans, un sous-lieutenant « banané », plusieurs fois blessé, mais inconnu, se porte volontaire pour un Orient baptisé de « proche » (mais qui n’en est pas moins « compliqué », selon le mot employé par un autre illustre militaire dans ses Mémoires) et débarque à Alexandrette avec un régiment qu’on dirait aujourd’hui « projeté » depuis Limoges.
Quelque vingt-cinq ans plus tard, il quitte la Syrie, général, titulaire de 21 citations dont 15 palmes, et reconnu par tous comme un chef de guerre redoutable. Il s’est produit entre-temps qu’une tribu de fougueux cavaliers venus du Caucase, et traditionnellement ennemis des Cosaques bien que leur ressemblant comme deux gouttes d’eau, les Tcherkesses, s’est imposée par leur ardeur auprès du commandement français comme troupe auxiliaire, et qu’un beau jour de 1922, Collet s’est imposé aux Tcherkesses. « Trouvant que les opérations traînaient en longueur, il s’est lancé à l’attaque à la tête d’un peloton… Dans ce galop victorieux, un courant de sympathie est passé entre l’officier baroudeur et les légendaires guerriers caucasiens ». Cette combinaison efficace va rencontrer un tel succès que se constituera progressivement un important groupement (créé, pour la petite histoire, par le général Gamelin) d’escadrons légers et d’unités de partisans qui se distinguera à maintes reprises et pour lequel Collet, dont « l’ascendant tient du prodige », mettra au point une tactique, presque une doctrine, au cours d’opérations menées tambour battant et ne faisant pas apparemment dans la dentelle. Voilà qui justifie dans ses notes la mention d’un caractère vif et indépendant (le contraire serait surprenant), mais aussi – petit coup de patte bien militaire – celle de la nécessité d’une formation théorique et orthodoxe plus poussée, seule à même de conférer l’aptitude à des commandements importants !
Or il se trouve que notre héros, sans être un intellectuel, a su aussi se muer en as de la psychologie et en tireur de ficelles de premier ordre au milieu de toutes les intrigues agitant cette région déchirée et grouillante du début des années 40. Plongé dans un environnement complexe, il fit preuve d’un sens aigu de la négociation, voire de rouerie (poussée parfois jusqu’à une « astuce diabolique »), d’abord envers les « multiples interprétations du terme de mandat » (avant de retrouver plus tard au Maroc les arcanes du « protectorat ») puis, après son ralliement sans hésitation à la France libre, au cours de cette phase si pénible qui vit de navrants combats fratricides, des pertes inutiles subies dans une « lutte impie », des problèmes compréhensibles de conscience… tandis que les amis anglais vont accumuler obstacles et vexations et créer un « océan de duplicité… dans un climat empoisonné ». Preuve d’ailleurs que Collet ne craint pas la difficulté, il a épousé une Anglaise, romantique, passionnée et… femme de lettres.
À 47 ans, cet homme de fer qui est aussi roseau est physiquement diminué par un infarctus. Il montre encore ses qualités de « diplomate opérationnel » dans les zones troublées dont il reçoit la responsabilité, à Meknès d’abord, où les différentes catégories de Français se regardent en chiens de faïence, puis à Toulouse où il parvient à mettre un peu d’ordre dans l’ambiance insurrectionnelle de l’été 1944. Son Oranie natale aura été le seul pays tranquille où il ait vécu.
Yves Salkin, qui expose sa méthode de travail dans un intéressant et modeste avant-propos, fait périodiquement, au long de son récit, le point de la situation du moment et en profite pour élever le débat. Cette démarche indispensable permet notamment de s’y retrouver dans les changements incessants de dénomination et de stationnement des unités, et aussi de se placer dans un cadre plus large, par exemple lorsque les événements qui agitent nos territoires sous mandat sont indissociables de ce qui se passe à Ankara, Bagdad, Le Caire ou Alger. Comme son modèle, l’auteur fait montre d’une louable « absence de sectarisme » et évite avec sobriété les effets de manche. Quelques cartes placées à la fin de l’ouvrage sont utiles, encore que peut-être insuffisantes en précision et en qualité. On regrette enfin de ne disposer, ornant la couverture, que d’une seule photo, plutôt compassée, où rien n’évoque un cavalier de légende. Elle correspond d’ailleurs parfaitement, physiquement, au portrait, tracé par cet « ami-ennemi » que fut le général Spears, d’un spécialiste des conjonctures délicates qui, quelques décennies plus tard, aurait sans doute fait merveille au Kosovo ou au Timor. ♦